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Loving de Jeff Nichols est un film d’une très belle facture classique. Sa photographie lumineuse magnifie les paysages de Caroline du Nord tout en captant de manière naturaliste un monde rural et populaire en mutation. Son enjeu est simple : Richard (Joel Edgerton) et Mildred (Ruth Negga) vont-ils pouvoir vivre ensemble alors que leur union mixte contrevient aux lois locales contre le métissage ? Le juge de la ville interdit leur cohabitation dans l’Etat de Caroline mais ils peuvent le quitter. Pour fonder leur foyer là où ils sont nés, leur cas sera porté jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis.
Mais qu’est-ce qui « comes at night » ? Des monstres ? Des zombies ? Des sorcières ? Rien de tout cela. C’est sans doute pour cela qu’It comes at night recueille autant de mauvaises critiques. Cette petite série B efficace et oppressante n’est pas un film d’horreur mais un huis-clos dominé par la paranoïa. Dans ce faux film de genre donc, le terrifiant survient davantage de l’intérieur que de l’extérieur. Ce qui vient la nuit, ce sont surtout les cauchemars, les angoisses, la peur.
En juin 2013, Wirathu, moine bouddhiste très puissant en Birmanie, a fait la couverture du magazine Time en tant que « face of buddhist terror ». D’habitude, terreur et bouddhisme ne sont pas associés mais le vénérable W., comme le titre le documentaire de Barbet Schroeder, est bien l’initiateur de persécutions violentes contre la minorité musulmane des Rohingyas. Il y a un paradoxe saisissant à ce que le porte-parole d’une sagesse et d’un message d’amour soit la cause d’une haine profonde. Le décalage est si puissant et habilement montré qu’on finit par assimiler ce personnage à Hitler ! Les mécanismes destructeurs du racisme peuvent donc se reproduire dans un pays bercé de culture bouddhiste.
Bertrand Tavernier n’est pas mon cinéaste préféré mais il est lié à mon passé cinéphile. Voilà un homme qui symbolise l’amour érudit du cinéma. C’était en 2000 ou 2001 et il était venu présenter ça commence aujourd’hui à la cinémathèque royale de Bruxelles. Je me souviens parfaitement de sa grande dégaine, de son strabisme et de sa voix passionnée. Il avait commencé par dire que sa mère était morte ce jour-là puis, comme si sa cinéphilie lui permettait de surpasser de grandes douleurs, il s’était jeté dans la description de films français qui l’avaient marqué. Voyage à travers le cinéma français, documentaire sorti en 2016, est l’aboutissement de sa vie de cinéaste et de cinéphile. Par ses choix bien tranchés, c’est un autoportrait qu’il nous propose pendant 3H12 passionnantes.
Après la pudeur mélancolique de Frantz, l’exhibitionnisme de l’Amant double ! Un vagin en gros plan se convertit en œil : François Ozon examine le corps et la psyché de la femme. Cela commence par l’auscultation gynécologique du corps de Chloé (Marine Vacth) puis sa psychanalyse par Paul Meyer (Jérémie Rénier). Si Chloé a depuis si longtemps des maux de ventre, c’est sans doute psychologique. Elle attend de ses séances avec Paul qu’il identifie son problème et qu’elle se sente mieux. Plus les séances passent, plus elle guérit et s’attache à lui. La psychanalyse fait place à une histoire d’amour. Tout devrait s’améliorer mais elle ressent un vide qui la pousse à reprendre des séances. A l’insu de Paul, elle choisit de les suivre avec son frère jumeau Louis, également psychanalyste, avec qui elle connaît une relation plus perverse. Construit sur le thème fascinant de la gémellité maléfique, Ozon déploie un récit échevelé qui fonctionne à l’outrance.
Une grande série se confond souvent avec un grand récit. Narcos, série Netflix lancée en 2015, en est un bel exemple. Les deux premières saisons décrivent les efforts qu’il a fallu aux autorités colombiennes et aux américains pour neutraliser le criminel le plus riche de la planète, Pablo Escobar. On rappellera que son florissant trafic de cocaïne lui rapportait à son apogée (fin des années 80) des dizaines millions de dollars par jour, de quoi devenir la septième fortune mondiale. Par l’argent qu’il déversait sur la ville, il était idolâtré de Medellin et quasi intouchable dans son pays. Depuis le génial Scarface de De Palma, l’esthétique « narco » est rentrée dans la culture populaire mais c’est en fait une esthétique outrancière, très « nouveau riche » de Miami, que Narcos évite largement. La série est certes violente mais pas excessivement et elle a pour elle des atouts irrésistibles : un récit haletant nourri par l’histoire récente de la Colombie, de multiples personnages longuement caractérisés et une identité latine affirmée par ses acteurs, ses décors et ses musiques. Pour qui a fait un peu d’espagnol, il y a le plaisir de suivre une version originale qui ne soit pas, pour une fois, intégralement yankee. En termes de réalisation, ont été privilégiés des réalisateurs sud-américains expérimentés, à même de donner un ancrage très réaliste à la ville de Medellin tout en respectant certains codes du thriller (nocturnes inquiétants, montage dynamique des poursuites et des fusillades). De bons techniciens, scorsesiens et naturalistes dans la forme.