Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Yannick (Quentin Dupieux)

On peut faire dire beaucoup de choses au cinéma de Quentin Dupieux, notamment politiques mais lui-même s’en défend : « Alors, politiquement, je ne pense rien, déjà. Il y a des artistes qui s’en chargent et qui sont parfaits. Mais, comme tout le monde, je vois les infos, je reçois tous les pépins de l’époque, ils viennent à moi. » (lire son interview sur le site Trois couleurs du réseau MK2) Effectivement, son cinéma absurde résonne de choses contemporaines, c’était très net dans Fumer fait tousser (2022), farce power-rangers habitée par l’angoisse de la fin du monde. Mais dans le temps assez court de ses long-métrages, qui durent rarement plus d’1h10, il n’est jamais question de discourir sérieusement en s’appropriant un sujet de société. Il y a toujours le goût prononcé du concept absurde, irréaliste, que le réalisateur se plaît à dérouler jusqu’au bout et qui l’emporte sur tout le reste. Son cinéma est comme un jeu nouveau proposé à des acteurs consentants, dont les spectateurs découvrent les règles au moment de la projection. Nous spectateurs sommes toujours un peu les cobayes du cinéma de Quentin Dupieux.

La dimension fantastique des derniers films, Fumer fait tousser, Incroyable mais vrai ou du très drôle Mandibules a disparu. Yannick part d’une situation réaliste. C’est un huis-clos dans une salle de théâtre où se joue Le Cocu, pièce de boulevard représentant l’absolue banalité du spectacle populaire. Un trio de comédiens (Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne) joue médiocrement une énième histoire de ménage à trois et arrive à arracher quelques rires à la salle. La ringardise de la recette est accentuée par les dialogues redondants. Tout se passerait bien, dans une relative bienveillance du public composé de toutes les générations, si un type seul du nom de Yannick (Raphaël Quenard), ne décidait d’interrompre la représentation en s’adressant aux comédiens. La situation n’a rien de totalement irréaliste : à l’heure des réseaux sociaux où tout le monde donne son avis, sans limite, pourquoi Yannick, gardien de parking, n’aurait-il pas droit de dire à la troupe que la pièce est ennuyeuse, mauvaise, et qu’il n’a pas fait 45 minutes de RER pour cela ? Il a pris un jour de congés, il se sent floué sur la qualité. Il va au-delà de la protestation : il demande à ce qu’on écrive une autre pièce et qu’on change le spectacle de fond en comble !

De la part du réalisateur-scénariste, l’irruption brutale d’un spectateur mécontent au cœur d’un spectacle culturel pourrait sonner comme une charge poujadiste. Yannick serait une sorte de gilet jaune dénonçant les recettes faciles du monde du spectacle, probablement celles du cinéma populaire français. Le mépris qu’il reçoit en retour n’est peut-être pas un simple artifice de scénario pour le faire devenir plus radical, mais une dénonciation franche du mépris social existant dans le milieu culturel. On n’est jamais 100% sûr avec ce cinéaste mais il touche juste pour quelqu’un qui ne travaille que le non-sens. La culture est devenue tellement sacrée dans la société française que ça ne se fait pas d’interrompre une pièce de théâtre. Et pourtant, le pas si con Yannick compare la mauvaise pièce à une prise d’otage. Pourquoi devrait-on rester otage d’un spectacle médiocre ? Si on n’aime pas, plutôt que de supporter en silence ou de partir, on peut éventuellement proposer quelque chose d’autre. Dupieux ne parle pas de proposer quelque chose de plus qualitatif ou de plus élevé intellectuellement mais quelque chose d’autre. En même temps qu’il nous amuse, car l’abattage de Raphaël Quenard fait souvent rire, il nous parle de sa conception du cinéma.

Film après film, concept après concept, Dupieux parle de son art à lui, fait d’idées loufoques et de renouvellements constants. Le film revendique un cinéma absurde et fantaisiste, pas forcément intellectuel, refusant les recettes aussi éculées que celles du boulevard. Plutôt que d’employer de bons acteurs à jouer des trucs sans intérêt, il préfère les emmener et leur faire retrouver du plaisir dans son univers absurde. En tant qu’habitué des cinémas, fuyant tous ces films de troupe français aux mêmes recettes ringardes (vacances entre amis, disputes conjugales, adultères), je préfère moi-même voir de bons acteurs comme Gilles Lellouche ou Pio Marmaï chez Dupieux que dans des productions qui s’appellent Plancha, Barbecue ou Persillade.

Yannick est un spectateur mais pas LE public. C’est un drôle de type qui décide de créer ce qu’il a envie de voir sur scène. Il se fout d’avoir les codes ou le niveau culturel, il prend le risque de se lancer tout seul. Au sens propre comme au figuré, il crée du danger là où ce n’est pas attendu. Si on peut envoyer quelques pics aux milieux culturels, on peut aussi en envoyer au grand public. L’inquiétant Yannick essaye de bousculer les spectateurs et de leur faire avouer qu’ils assistent à quelque chose de nul. Étonnamment, il constate que le public n’est pas forcément un allié et qu’il peut se montrer conformiste ou hostile au changement (voir la toute fin du film qui peut être interprété comme une simple pirouette conclusive ou bien un véritable retour de bâton).

Yannick dure 1H07 et certains trouveront tout ça inutile ou juste stupide mais à chaque film c’est pour moi comme un pari : une ou plusieurs idées saugrenues servies par d’excellents acteurs. Paradoxalement, on peut dire que c’est en soi une recette mais elle a le mérite d’étonner et de ne jamais produire le même goût de déjà-vu. « Si on n’essaie pas de se renouveler, on s’ennuie. » conclut-il dans son interview et on le croit sur parole.

Les commentaires sont fermés.