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Emilia Perez (Jacques Audiard)

Emilia Perez est un film original. Voilà, c’est dit, on ne peut pas le nier. L’acceptation à minima du film tel qu’il est, passe par l’adhésion du spectateur à un projet d’écriture tout à fait original. Il s’agit pour un réalisateur français et son scénariste (Thomas Bidegain) de proposer une légende mexicaine, celle de la transformation aussi bien physique que morale d’un narcotrafiquant ultra-violent en une femme dévouée et sainte. Avec l’aide de l’avocate qui l’a aidée à changer de vie (Zoe Saldana), Emilia (Karla Sofia Gascon) rachète les péchés de son ancienne existence en devenant femme puis en exhumant les victimes des barons de la drogue. C’est une histoire sainte et tragique comme un pays de tradition catholique marqué par la violence peut en produire. L’insolite réside dans l’histoire, dans le brassage des genres, mais l’argument de l’originalité s’épuise et ne se suffit pas à lui-même. Pendant la majorité du film, je me répétais que c’était du jamais vu comme une méthode Coué car je n’étais pas vraiment convaincu par ce que je voyais.

Sur la forme, le dernier film de Jacques Audiard est un mélange entre Sicario (film de narco), une télénovela mexicaine et de la comédie musicale mais pas celle qui fait fredonner (non, pas West side story ou My fair lady) mais plutôt du genre Annette de Leos Carax ou Dancer in the dark. C’est-à-dire que la musique peu enthousiasmante de Camille et Clément Ducol n’imprime pas et n’a laissé aucune trace en moi. J’étais souvent à me dire que mon dieu ça allait bientôt chanter et que je ne voyais pas l’intérêt. Bien qu’elles soient la marque résolue de l’hybridité du film, les séquences chantées et dansées sont-elles ratées ? Disons qu’à part la dernière, les chansons sont assez peu mémorables, qu’elles ont tendance à surligner les situations et que Jacques Audiard ne se révèle pas un grand metteur en scène. Il multiplie les gros plans, les champs contrechamps et quelques effets clips mais ses séquences dansées comme d’ailleurs l’ensemble du film manquent terriblement de fluidité et d’ampleur. Il ne suffit pas d’évoquer les féminicides ou les narcos pour faire un grand film sur le Mexique. Il ne suffit pas d’avoir un projet scénaristique original pour produire une vision originale. Je n’arrive pas à dégager dans Emilia Perez une séquence ou une image qui me révèle ou me fasse sentir le Mexique contemporain.

Evidemment il y a l’aspect télénovela qui injecte sa dose d’invraisemblance et de tragédie. Dans les télénovelas, c’est bien connu, les morts ressuscitent et tel Jessi (Selena Gomez), les femmes d’hommes puissants se consolent de l’absence masculine dans les bras d’un beau macho. Tel Emilia remplaçant le cruel Manitas del Monte, Pedrito disparu dans un accident d’avion revient 20 ans plus tard sous les traits de Francisco, énigmatique homme d’affaires qui a réussi dans la banane. Ce genre est plein de retours invraisemblables et de miracles pas possibles. Alors que Selena Gomez se montre crédible en héroïne de télénovela mais un peu limitée pour le reste, Zoe Saldana, et Karla Sofia Gascon apportent dans leurs interprétations une conviction qui dépasse le genre. Toutefois, Emilia manque de failles et on aurait aimé que le scénario approfondisse son personnage, qu’elle soit le siège d’une lutte intérieure entre la sainteté et les démons de son ancienne vie.

Bref, Emilia Perez chante par tous ses pores son originalité sans vraiment convaincre. Pour moi, ce film est le fruit d’un projet scénaristique un peu hors-sol et factice. On utilise la transsexualité et le contexte tragique du Mexique comme des artifices de cinéma, comme on utiliserait des ingrédients de cuisine. La prochaine fois, Audiard et Bidegain pourraient pourquoi pas raconter l’histoire d’un taliban afghan à la gâchette facile qui explose sur une mine américaine, se fait soigner par un humanitaire français, découvre son homosexualité et finit par gagner une médaille de tir aux JO paralympiques de Paris, pourquoi pas ? En même temps et c’est là où le film provoque des sentiments contrastés, le spectateur peut sentir chez Audiard, dans sa filmographie récente, une volonté de démonter (déconstruire ?) les genres cinématographiques virils pour les transformer en autre chose.  La violence des films de narcos comme Sicario ou Scarface est une violence masculine, toxique, qu’il s’agit de contrecarrer en féminisant le genre, comme il l’avait fait dans son western les Frères Sisters (que j’avais trouvé mauvais). Emilia Perez tord le bras à la violence qui gangrène le Mexique en transformant une brute impitoyable en une femme admirable et pleine d’amour. Le féminin est amour, c’est bien connu, et Jacques Audiard est son prophète, pourquoi pas !

Tout ça produit un film assez inégal, ni ennuyeux ni génial, dont la seconde partie rattrape la première, gâchée notamment par les passages musicaux. Si une voix intérieure pouvait dire aux réalisateurs contemporains de ne pas toucher à la comédie musicale, un genre souvent mal servi, ce serait bien !

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