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Une vie (Brizé)

Comme beaucoup j’ai étudié Une vie de Maupassant au lycée, pour le bac français. Comme beaucoup j’ai été refroidi par le pessimisme du roman et par la fatalité qui pèse sur l’ « héroïne » Jeanne. « Mais Maupassant ça a toujours été sombre ! » me disait un proche. Quand on y pense, le disciple de Flaubert a une vision noire de l’humanité et ce qu’il raconte dans Bel Ami ou Pierre et Jean est in fine aussi triste que dans Une vie. Il était donc tout naturel que Stéphane Brizé, auteur du joyeux et sautillant La loi du marché (souvenez-vous : Vincent Lindon en chômeur), s’empare du destin désespéré de Jeanne pour nous livrer un nouveau film plombant au formalisme appuyé. C’est en tout cas le sentiment désagréable qu’on a quand apparaît le cadre carré enfermant les personnages. Ils sont captés de profil, dans des situations sociales filmées froidement.

Les exigences formelles apparaissent comme des commandements rigides du réalisateur à ses techniciens et à ses acteurs : éviter les plans explicatifs valant point de vue omniscient, éviter le sur-jeu, ne pas tomber dans l’artificialité des numéros dramatiques, alors qu’on dispose d’acteurs plutôt doués pour la composition comme Yolande Moreau ou Jean-Claude Daroussin. Filmer rigidement une société rigide dans ses rapports sociaux. Faire authentique et naturel dans l’atmosphère pour coller aussi aux conditions matérielles du 19ème siècle : une vie austère dans des intérieurs froids, mal éclairés, où on tombe malade facilement. Prendre donc le spectateur à rebrousse-poil.

Vivant et désespérant

Jeanne (Judith Chemla) qui a accepté un mariage avec Julien (Swann Arlaud), un aristocrate pauvre, se rend compte de son infidélité. Elle met tous ses espoirs de bonheur dans la réussite de leur fils Paul mais n’a guère plus de chances avec lui. La vie de Jeanne est une suite de malheurs dus à la malchance mais aussi à de mauvais choix. Contrairement à sa servante Rosalie (Nina Meurisse) qui a travaillé et connaît la vie, Jeanne est une jeune femme sortie du couvent, mariée rapidement, inexpérimentée et incapable de décision. Maupassant démontre dans son roman l’absurdité de mettre les jeunes filles au couvent, Brizé n’en parle pratiquement pas.

Il faut dépasser 45 minutes pour sortir du cadre formel étouffant qu’il a mis en place et surprise ! Le film révèle petit à petit sa beauté sombre et ses fulgurances émotionnelles. Par le charme d’un montage impressionniste, le spectateur entre progressivement dans la psyché de Jeanne. Il capte le passage du temps et des saisons, la beauté de la nature normande, le bonheur d’accomplir des gestes simples comme entretenir un jardin. Il reste suspendu à des images fugaces de bonheur : une partie de croquet, une étreinte dans la nuit, la vision heureuse d’un jeune enfant. Le film gagne en densité quand émerge la figure de Paul (Finnegan Oldfield), objet de tous les espoirs de Jeanne et hélas pour elle fossoyeur des dernières illusions de sa mère.

Le cadre rigide « cadrait » finalement très bien avec la situation sociale dans laquelle Jeanne s’était laissée enfermer, celui d’un mariage de raison. On l’oublie quand vient celui plus irrationnel de l’amour maternel. Le dernier tiers du film quitte son carcan austère pour des scènes plus physiques, plus chargées émotionnellement. Ce sont alors les corps qui se débattent et se révoltent, celui de Paul qui refuse de rester en pension ou celui de sa mère qui cherche par tous les moyens de l’argent pour venir en aide à son fils. Une vie est alors un film vivant, désespérant mais qui palpite.

Alors que La loi du marché jouait d’un trop plein oppressant et ne dégageait aucun espoir ni aucune beauté, Une vie parvient à surmonter son formalisme étouffant pour nous émouvoir. Il y a bien une vie qui  résiste et se révèle malgré les malheurs et qui tient à peu de choses. Face à l’absurdité d’une vie dans le monde social demeure la vie au sens le plus authentique: naturelle, organique.

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