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L’île rouge (Robin Campillo)

J’ai été d’emblée surpris par certains des choix narratifs de Robin Campillo. J’ai souvent apprécié son travail passé (120 battements par minute, Eastern boys) mais ils font que L’île rouge est une œuvre inégale, fascinante et maladroite. C’est Fantômette, héroïne célèbre de Bibliothèque rose, qui ouvre le récit, chronique de l’enfance de Thomas (Charlie Vauzelle) sur une base militaire à Madagascar. On la voit déjouer les plans de ses ennemis dans plusieurs séquences fantastiques qui contrastent avec le reste du film. Ce n’est pas que la petite justicière née en 1961 soit un choix idiot pour un enfant de 8 ans dévorant de la littérature jeunesse au début des années 70 mais sa présence a parfois tendance à nous faire sortir du récit. L’ile rouge navigue entre la description naturaliste d’un milieu replié sur lui-même, les militaires français imprégnés de colonialisme, et des séquences flottantes et esthétiques à la Claire Denis. Le mélange est détonnant, parfois envoutant, parfois stérile.

Campillo s’est inspiré de sa propre enfance à Madagascar et on comprend que le personnage de Fantômette ait pu incarner ses aspirations de futur cinéaste. Justicière de la nuit, vive et intelligente, elle voit des choses que les gens ordinaires ne voient pas. Comme le petit Thomas, elle observe les situations et les gens, elle déjoue les faux-semblants. On voit le garçon écouter sous la table, épier ses parents, enfermé dans une caisse, mater une soirée derrière une vitre, c’est un motif récurrent. Il y a de quoi saisir des vérités mal dissimulées derrière les apparences de ce petit milieu. Une partie du scénario évoque la vie de famille de Thomas, entre ses frères, son macho de père Robert Lopez (Quim Gutiérrez) et sa mère Colette qui tient un rôle plus tendre (très belle interprétation de Nadia Tereszkiewicz). Le cinéaste décrit ce milieu militaire confronté à la fin de l’aventure coloniale, comme une bulle heureuse mais enfermé dans ses privilèges de blancs coupés des Malgaches. Tout en goûtant la sensualité d’une atmosphère tropicale, les couples s’observent, se jalousent, guettent le malaise chez les autres, comme chez Bernard (Hugues Delamarlière) et Odile (Luna Carpiaux) qui vivent mal leur expatriation. Madagascar est pour ces français moyens une bulle de confort et de bien-être loin de l’hexagone. L’objectif du cinéaste est d’en dévoiler le côté éphémère et factice. Le bonheur familial tiendra-t-il une fois que Robert et Colette seront retournés en France ? La photographie familiale n’est-elle pas la dernière d’une famille unie ?

Au-delà de la bulle, il y a ce pays à peine nommé, tout juste indépendant qu’est Madagascar. Le premier moment où j’ai ressenti de l’émotion est au bout d’une heure cette virée à vélo de Thomas et de sa copine Suzanne (Cathy Pham). Sur une musique envoûtante d’Arnaud Rebotini, ils parcourent comme dans un rêve le petit territoire fréquenté par leurs familles. La Nature singulière de l’île, ses espèces végétales surprenantes, ses paysages sont un décor fantastique et enveloppant très bien rendu par la photographie du film. Ils passent à côté de choses dont ils ne perçoivent pas la signification. Ils appartiennent au monde protégé de la colonie militaire, ils voient et entendent mais ils ne comprennent pas tout. Madagascar est en proie à des remous politiques et le réalisateur nous le fait sentir par de soudaines associations d’images créant des flashbacks qui, comme des aiguilles, percent la bulle étanche. Les parachutes servant à décorer le Noël de la base, que les jeunes employées malgaches ont préparés, ont servi à l’armée de leur pays encadrée par les Français à réprimer des révoltes populaires. Ce que l’enfant ne décryptait pas, le réalisateur adulte le dévoile, comme dans cette séquence étonnante où les prostituées malgaches, régulièrement visitées par les militaires, viennent revendiquer leurs impayés !

Les séquences de vie quotidienne ne sont pas les plus intéressantes. Même si on apprécie de retrouver Sophie Guillemin (assez rare, rappelez-vous L’ennui de Cédric Kahn) dans un rôle de femme de militaire pied-noir qui lui va bien, les petites mesquineries de la vie de garnison laissent sur leur faim. Les angoisses de l’appelé Bernard qui a fini par préférer Miangaly (Amely Rakotoarimalala) à Odile ne sont intéressantes que par le cheminement qu’elles créent vers un autre point de vue, celui de son copain serveur Andry (Mitia Ralaivita) et de la belle Miangaly. Les Malgaches ont une langue, une histoire et des aspirations singulières qui n’appartiennent pas à la France. Robin Campillo crée sur la fin du film un moment de rupture vraiment réussi, qui leur donne la parole alors qu’on ne s’y attendait pas. Le cinéaste n’oublie pas la dimension politique de son cinéma et c’est là que son film est le plus beau, quand il passe d’un registre impressionniste un peu flottant et désarticulé à un propos plus frontal. Les spectateurs déçus comme moi de la première heure apprécieront ce changement qui bonifie le film.

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