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Bâtiment 5 (Ladj Ly)

Jusqu’au titre du film, on perçoit une chute sensible de qualité entre Bâtiment 5, le dernier film de Ladj Ly, et les Misérables qui a tant fait parler. Vue dans une petite salle MK2 la semaine de sa sortie, on comprend que cette dernière production ne connaîtra pas le succès commercial alors qu’elle ne manque ni de moments forts, ni d’un véritable fond. Le point de vue sur la banlieue s’est déplacé du terrain sécuritaire vers celui de la politique. Alors que les Misérables décrivait la cité comme un terrain de jeu viril entre policiers, grands frères, dealers, jeunes, salafistes et gitans, Ladj Ly a peut-être entendu par-ci par-là le reproche de ne pas avoir donné la parole aux femmes. Il le fait au travers du personnage d’Habi (Anta Diaw, excellente), jeune femme qui milite pour l'autonomie des habitants des quartiers face à des politiciens qui les méprisent. Habi ambitionne d’être maire pour changer la vie de ses congénères.

Je parlais de moments forts et dès la séquence d’ouverture, très habile, Ladj Ly montre par la descente d’un cercueil dans les escaliers du bâtiment comment cet environnement sale et appauvri rend insupportable la vie des banlieusards jusques dans les moments essentiels de leur vie. Le logement dans un HLM dégradé est pourtant le dernier bien de gens qui n’ont plus accès à grand-chose. Mais la ville fictive de Montvilliers a des plans pour changer tout ça, « moderniser l’espace urbanistique » comme le disent les politiques, ce qui va impacter les familles. Les événements sont accélérés quand le nouveau maire Pierre Forges (Alexis Manenti) prend les rênes de la commune et qu’il décide d’incarner une certaine « fermeté républicaine ». Médecin pédiatre, bourgeois exhibant ses principes et sa distance sociale vis-à-vis de ses administrés les plus pauvres, Forges incarne face à Habi la droitisation d’une partie de la France de 2023. On devine un positionnement à gauche mais des tendances réacs faisant penser à un émule de Manuel Valls. Il ne fait aucun doute que ce film est une critique à peine voilée du macronisme et de sa politique appliquée aux banlieues : on parle « République » constamment, on choisit ses bons étrangers (ici des réfugiés syriens désireux de s’intégrer), on gentrifie à tout-va et on fait un usage immodéré de la police au moindre problème. De manière binaire et pamphlétaire, Ladj Ly décrit deux France face à face, celle incarnée par Habi et qui ne survit que par la solidarité communautaire, celle de Forges qui ne croit qu’à la fermeté et aimerait bien éloigner, voir se débarrasser des classes pauvres dites dangereuses. Dans cette confrontation entre deux camps, il y a des positions médianes comme celle de Roger, adjoint à la mairie, interprété par Steve Tientcheu, dont on avait vu un personnage similaire dans les Misérables et qui fait office d’interlocuteur "couleur locale" des habitants pauvres.

C’est sans doute parce que Ladj Ly reconduit des schémas binaires et disons-le caricaturaux et déjà vus que son dernier film a moins d’impact et d’intérêt. On retrouve en Roger l'archétype du descendant d’immigré complice du pouvoir mais surtout en Alexis Manenti le même visage de la répression des banlieues. Maintenant il est maire et son personnage ambitieux et falot a moins d’aspérités que le flic de la BAC qu’il jouait précédemment avec beaucoup de talent. Autre point problématique : le réalisateur-scénariste n’a pas pris le risque de mettre en scène une campagne électorale entre Forges et Habi, ce qui aurait pu donner davantage de pertinence à son point de vue, en posant la question essentielle : les habitants des banlieues peuvent-ils se constituer en force politique autonome et prendre leur destin en main ? Le fait qu’une jeune femme d’origine subsaharienne comme Habi puisse devenir maire n’a rien d’évident dans la France d’aujourd’hui. On représente un visage différent de la classe politique habituelle et on se prend des accusations de communautarisme, de complice de toute sorte de choses. Habi se revendique comme une Française d’aujourd’hui mais quand arrivent ces réfugiés syriens choyés par le maire et sa femme, on sent chez elle un malaise. Ces « bons » immigrés sont désignés comme meilleurs que ceux qui les ont précédés.

Parce qu’il exprime des convictions fortes sur le contexte politique français, le film aurait mérité une fin plus convaincante. On regrette les vingt dernières minutes qui par le personnage de Blaz (Aristote Luyindula) annoncent une colère prête à exploser, idée déjà utilisée dans les Misérables. La marmite qui va déborder, la violence qui va exploser à cause des injustices, cela a un air de déjà-vu. On se rapproche doucement de 2027, année fatidique vu le contexte politique et on aurait préféré que le personnage d’Habi s’incarne davantage dans une forme d’espoir concret. Pour le reste, Bâtiment 5 démontre les qualités formelles déjà vues chez ce cinéaste. Ladj Ly sait filmer avec rythme et un beau sens du découpage des séquences fortes comme celle de l’évacuation des habitants du bâtiment 5. Il utilise les plans aériens comme on filmerait un champ de bataille. Dans un mouvement de débandade très bien rendu, voir les habitants jeter par la fenêtre leurs biens modestes pour pouvoir les récupérer en bas ne manque pas de force. Les meubles balancés par la fenêtre des HLM, les médias ont l’habitude de les décrire comme des objets balancés par les « jeunes » sur des policiers de la BAC. Beau retournement visuel qui restera mais ne peut cacher que ce film se situe un cran en-dessous du précédent.

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