John Huston
Visages villages (Agnès Varda et JR)
Animés d’une sympathie réciproque et d’un désir de travailler ensemble, la cinéaste Agnès Varda et l’artiste visuel JR ont décidé d’arpenter les routes de France. Leur feuille de route est minimale : rencontrer des gens « normaux » (des travailleurs), tirer leur portrait, raconter quelque chose par l’image. L’envie des deux artistes est sympathique, leur amitié sincère et la trame du film est légère. En tout cas, JR et Agnès Varda en artistes malins, nous font penser que tout cela est improvisé, organisé au dernier moment et que les choses s’enchaînent par associations d’idées.
L’œil et l’imagination
Sur une musique de M, ils prennent la camionnette photographique de JR, s’arrêtent dans un village donné, rencontrent des gens, ont des idées, les mettent en pratique. A un moment du film, Varda indique que leurs projets visuels n'ont d'autre but que d'apporter du bonheur aux gens. Exemple: ils collent le visage d’une des dernières habitantes d’un coron pour donner une incarnation à ce lieu chargé de l’histoire des mineurs. Ils le font aussi pour rendre hommage à cette dame qui ne veut pas quitter son quartier. Peut-on résumer Visages villages à un enchaînement d’idées visuelles généreuses ? Non, il y a autre chose derrière la démarche sympathique mais un peu superficielle des deux artistes. Ce ne sont pas les sujets qu’ils exploitent qui sont intéressants - en tout cas ils ne les approfondissent pas - mais plutôt ce qu’ils disent d’eux-mêmes. Varda et JR se mettent en scène et nous donnent à voir une démarche artistique fondée sur le regard. Visage villages fonctionne à l’imagination et aux associations d’idées. Une carte postale révèle le passé d’un lieu et donne envie de lui rendre hommage. Dans un village du midi, la photographie d’un couple de paysans du début du siècle débouche sur le portrait géant d’une serveuse. Le port du Havre se transforme en monument visuel à la gloire des dockers. L’œil et l’imagination travaillent ensemble. Varda et JR célèbrent le pouvoir évocateur et émotionnel de l’image. C’est un couple dans lequel la plus âgée transmet quelque chose au plus jeune : l’amour des artistes novateurs (Godard, Cartier-Bresson), le désir constant d’inventer et d’expérimenter.
Agnès Varda a 88 ans et souffre des yeux qui reçoivent régulièrement des piqûres. Elle a toujours l’esprit vif et JR, jeune homme de 33 ans, est un stimulant à sa créativité. Le photographe à lunettes noires a le côté hype et insouciant de la jeunesse. Avec l’âge, la réalisatrice pense de plus en plus au passé et à la mort. Quand elle évoque son ami Jean-Luc Godard, on perçoit les souvenirs, les regrets, sans doute la nostalgie d’une époque heureuse et créative. Derrière l’apparence légère du documentaire, où toutes les idées ne sont pas grandioses (les cornes de chèvre), il y a une pulsion de vie contrant le travail inexorable du temps. Visages Villages est un modeste objet dans la forme, beaucoup plus profond qu’il n’en a l’air.