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Ma vidéothèque idéale: Les choses de la vie de Claude Sautet

J’ai vu Les choses de la vie (1970) de Claude Sautet une première fois au détour d’une fin de soirée, sur France 2. Il a suffi de 5 minutes pour que je sois intrigué et que je décide de le regarder jusqu’au bout. C’est un très beau film des années 70, construit en flash-backs à partir d’un accident de voiture. L’un des premiers plans est celui d’un pneu, détaché d’une voiture accidentée. Séquence suivante : un couple est alité. La femme, Hélène, est nue et découverte. C’est Romy Schneider, au faîte de sa beauté, amoureusement allongée à côté de Michel Piccoli. Ils ont fait l’amour. Le film alterne entre deux reconstitutions de la vie de Pierre Bérard: celle de son accident de voiture, brutale, découpée au ralenti, celle de son existence passée, flottant entre incertitudes et moments heureux.

une tension permanente

Les choses de la vie du titre, c’est peu de choses dans la vie d’un humain mais c’est ce qu’il y a de plus précieux. Alors qu’il est mal en point, Pierre se souvient de sa rencontre avec Hélène, de ses sorties en bateau avec son fils, de son épouse, Catherine, évincée au profit d’Hélène. Cela pourrait paraître banal mais l’entrecoupement du film par les scènes d’accident instille une tension permanente. Une existence de bonheur sur plusieurs années se voit remise en cause par un accident qui aura duré 10 secondes. Est-ce inéluctable ? Quelque chose va-t-il se détruire à jamais ? Le spectateur le saura à la fin du film. L’accident coupe net la possibilité de réparer des actions, de revenir sur ses erreurs. Du fin fond de son coma Pierre espère qu’Hélène ne lira pas la lettre qu’il voulait lui envoyer. Il y dit des choses inéluctables. Il y a tellement de choses à faire dans la vie qu’elle ne peut être interrompue comme cela, par un accident idiot. La mort ne vient jamais au bon moment alors qu’elle s’annonce souvent, dans des détails minuscules - l’évocation de la mort du chien de la maison de l’ïle de Ré.

hommes sous Pompidou

Si Pierre voit sa trajectoire stoppée, c’est peut-être parce qu’il (se) conduit comme un homme pressé, insoucieux de la vitesse et de la mort. Il est un architecte qui a réussi. Il a plus de 50 ans, une vie installée et la volonté d’en profiter. Confronté aux élans passionnés d’Hélène, il préfère se taire que d’alimenter les conflits. Claude Sautet fait le portrait d’un homme soucieux mais heureux, qui s’approche lentement de la dernière phase de l’existence. Son amour de la vie est visible et se perçoit par la présence insistante de femmes croisées, regardées, qu’il ne laisse pas indifférentes. Se dessine à travers lui, son fils (Gérard Lartigau) et son père (Henri Nassiet) le portrait touchant d’hommes de la bourgeoisie sous l’ère Pompidou. Bien que les couples craquent et se recomposent déjà, il se dégage comme une insouciance, un sentiment que les attaches et les amitiés sont solides, que le confort et les plaisirs de la vie, pour la bourgeoisie en tout cas, sont bien là. On n’en est pas encore à des remises en cause radicales, aux crises des années Giscard puis Mitterrand. Hélène tempête par passion amoureuse tandis que Catherine s’est résignée à ce que Pierre la quitte. L’époque est à la prééminence de l’homme, à qui on pardonne parce qu’il est comme il est. Le film ne le dit pas mais le laisse penser. L’homme de 50 ans sous les traits de Piccoli apparaît comme un idéal viril, homme accompli à mi-chemin entre le jeune homme plein de de projets et le vieil homme qui a encore bon pied bon œil. Ce qui rend cet idéal si touchant est la fragilité de l’édifice. Face à l’accident, le mâle bourgeois bien installé égale l’employé ou l’ouvrier. Il ne peut rien.

regards sur la France

Il y a la crise du couple bourgeois, ce qui relève des tendances historiques et sociologiques et puis les images de la France de la fin des Trente Glorieuses. A la croisée des départementales se rencontrent le bourgeois et le petit peuple, Paris et la Province, le moderne et le pittoresque, la vitesse et la tranquillité. Deux France coexistent, qui profitent toutes deux de la croissance économique, inégalement cela va de soi. Il y a enfin l’image d’une époque où on roule comme un dingue et on fume comme un pompier – Piccoli a la clope au bec tout le film. C’est peut-être stupide a posteriori mais ça traduit une insouciance séduisante. En voyant Les choses de la vie, on se dit que c’était ça la France il y a 40 ans et on ressent une tendresse.

Pendant une petite heure et demi, Claude Sautet nous aura rendu encore plus attachantes ces choses de la vie qu’on ne vit qu’une seule fois.

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