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Priscilla (Sofia Coppola)

Dire du bien de Priscilla, est-ce un combat perdu d’avance ? Les adjectifs pleuvent comme des flèches et les critiques sont acerbes : insipide, fade, lisse, ennuyeux… On a même renommé le film d’un assassin « Priscilla, molle du désert » et c’est plutôt bien trouvé même si ça me paraît injuste. Alors que dans son électrisant Elvis, Baz Luhrmann a choisi de célébrer le chanteur en ange de la musique foudroyé par la cupidité de son manager, Sofia Coppola brosse le portrait cotonneux d’un personnage des coulisses, secondaire pourrait-on dire, celui de l’épouse, de la « femme de ». Priscilla Beaulieu a 14 ans quand elle rencontre le chanteur pendant son service militaire en Allemagne en 1958, le couple divorce en 1973 alors que le King amorce son déclin physique et personnel. Quand elle lui annonce son départ, assommé de médicaments il a tout juste la force de dire son incompréhension : comment peut-elle quitter une situation dont toute femme rêverait ? C’est bien ça le sujet : quitter le conte de fée, le rêve illusoire pour pouvoir enfin vivre une vie à soi. Passer de jeune fille rêvant du prince charmant à femme débarrassée des illusions de l’enfance.

Pendant ces quasi quinze ans, elle aura vécu enclose dans une maison de poupée et c’est la lente sortie du rêve que raconte Sofia Coppola, dans ce style personnel fait de vignettes et de séquences épurées dont la majorité se déroule à Graceland, palais bâti par Presley pour sa mère. Comme Marie-Antoinette, Priscilla a épousé un roi, un palais et un univers de contraintes dont elle n’est pas censée sortir. Marie-Antoinette avait sa brebis pour jouer à la fermière au petit Trianon, Priscilla a son caniche à dorloter et elle peut multiplier séances de shopping et de coiffure : de quoi devrait-elle se plaindre ? Elle habite un palais majestueux filmé par Coppola sans moquerie ni kitsch excessif. Elle vit la pleine prospérité des années 60 que la réalisatrice reconstitue avec soin et dans le détail : voitures rutilantes, objets de décoration, billets de la Pan Am etc. C’était une époque où se confondait bonheur et confort matériel et la jeune femme s’y fond complètement.

Priscilla est la mise en scène d’un envoûtement matériel et sentimental. La prise de pilules, somnifères ou amphétamines, participe chimiquement à la domestication de la jeune femme. L’adolescente était vierge à tous les sens du terme quand elle a rencontré Elvis et elle n’a pas la maturité pour percer la bulle, rompre le charme. N’oublions pas que c’est son premier amour et que ça compte. Comme pour souligner la vulnérabilité de la jeune femme, Coppola utilise le physique petit et mignon de Cailee Spaeny qui mesure 40 centimètres de moins que Jacob Elordi jouant Elvis. Le géant du rock’n’roll, qui se rêve star de cinéma, a pris une compagne qu’il peut modeler à son envie, comme une poupée. Elle est sa chose aimante et le film capte avec beaucoup d’empathie sa lente transformation physique. Le spectateur est invité à scruter la métamorphose physique qui se traduira en remise en cause. Elle est d’abord collégienne sage puis poupée grimée par son homme, quand va-t-elle devenir une femme naturelle et indépendante ? Sofia Coppola nous fait guetter le passage de l’adolescente vers l'adulte prête à quitter la cage dorée.

Comment le film pourrait-il dessiner en Priscilla une personnalité originale et affirmée alors qu’elle ne s’appartient pas encore? C’est le malheur des « femmes de » : devoir vivre dans l’ombre, dans l’attente du grand homme célèbre. Le film porte un regard lucide sur la psychologie d’Elvis Presley qui était un macho bien de son temps. Priscilla Beaulieu apparaît quand le King vient de perdre sa mère et sans le savoir elle doit endosser le rôle de la gardienne du foyer, symbole de pureté et de bonté dont le jeune homme a désespérément besoin. Elvis était-il un mâle toxique ? D’une certaine manière car sa fragilité affective, sa dépendance aux médicaments, son côté puéril et possessif annihilent les velléités d’indépendance de sa compagne et la condamnent à l'ennui et à la solitude. Il lui refuse toute existence en dehors de lui-même et lui dénie toute possibilité de s’épanouir. Paradoxalement c’est un homme à la fois gentil et déséquilibré, qui cherche du soutien dans les substances chimiques et les nouvelles spiritualités. Le film aurait pu être plus franc sur les moments de crise du couple, sur les accès de jalousie et de paranoïa de Presley. Mais Coppola a cette façon très à elle et étrange d’évacuer la violence, de cacher les passions sous la surface des choses. Les quelques séquences de crise sont filmées en plans courts, avec la sécheresse d’une séance de piqûre, comme si ce n’était pas ce qui comptait le plus.

Puisque Priscilla Presley a co-produit le film, on s'attendait à trouver un regard rétrospectif plus acerbe sur la vie à Graceland mais c’est comme si la femme qu’elle est aujourd’hui devait admettre que malgré les turpitudes et les absurdités de cette existence, elle avait vécu dans le luxe, qu’elle n’avait manqué de rien et qu’elle avait aimé avec passion un type exceptionnel et en même temps très malheureux. Quand résonne la voix de Dolly Parton chantant I will always love you (que Whitney Houston reprendra avec succès), on saisit la mélancolie et la nostalgie de cette histoire d’amour qui était à la fois une première fois et un conte de fée des années 60.

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