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Song to song (Malick)

“We thought we could just roll and tumble, live from song to song, kiss to kiss. “ (Nous pensions que nous pouvions dériver, vivre d’une chanson à l’autre, d’un baiser à l’autre). Song to song de Terrence Malick est tout entier contenu dans ces pensées de Faye (Rooney Mara). Le film vacille entre l’extase amoureuse, ce fameux « sentiment océanique » et la souffrance intérieure de ses personnages. Ils aspirent à une vie éternellement insouciante mais ils sont soumis au chaos des sentiments et à leurs propres insuffisances. La forme liquide du film imprime donc un rythme de flux et de reflux du bonheur. La caméra tangue et le montage crée un torrent continu d’images et d’impressions. Pour apprécier à minima le film, le spectateur doit se laisser submerger par le flot lyrique des voix intérieures. Mais l’effort est pénible car ce style torrentiel est appuyé et étouffant.

Anges déchus, abandonnés de Dieu

Je n’ai vu ni A la merveille ni Knight of cups, tous les deux décriés mais rien ne semble avoir évolué dans la forme depuis Tree of life. Loin de l’Amérique profonde, Song to song est un Tree of life en version bourgeois-bohème dans lequel on  croise Patti Smith, Iggy Pop ou les Red Hot Chili Peppers. Les décors sont sublimes et l’esthétique proche de publicités pour parfums de luxe. Cela ne me choque pas car la publicité et le cinéma se nourrissent l’un l’autre depuis longtemps. Et puis c’est cette beauté sophistiquée qui donne son caractère irréel, fantasmatique au film. C’est un écrin pour ce milieu riche et bohème qui vit dans une sensualité constante.

Cook (Michael Fassbender) est producteur de musique. BV (Ryan Gosling) est un aspirant rocker tout comme Faye qui a commencé comme réceptionniste pour Cook. Un ménage à trois débute puis Cook rencontre Rhonda (Nathalie Portman), qui le fait poursuivre ses expériences érotiques. La caméra donne une impression constante de flottement et de mobilité. Les décors et les paysages sont si beaux et irréels qu’on se croirait dans un conte de fée. Pourtant seul Cook a réussi matériellement, les autres aspirent à quelque chose de supérieur. Rhonda était serveuse, Faye réceptionniste. On voit celle-ci servir de plateau à sushis pour une fête chic (!). C’est comme si les personnages étaient des anges déchus, abandonnés de Dieu. Ils ont tout ce qu’ils veulent, l’amour, la célébrité à portée de main mais ils sont désespérés. Les voix omniprésentes, surtout celle de Faye, décrivent l’abîme ressentie entre ce paradis de façade et leur solitude absolue. A plusieurs reprises s’exprime un sentiment d'échec et de honte vis-à-vis des parents et notamment du père. Discret ou caché, le père est celui qui juge, qui prescrit le droit chemin et dénonce les errements des siens.

Song to song est une lamentation de plus de deux heures sur l’absence de ce père, de Dieu. On pourrait qualifier Malick de lyrique chrétien tant son cinéma récent est marqué par ce vide spirituel. L’enjeu pour les personnages est de sortir d’un monde empli de vanité (celui du show business) pour retrouver du lien avec le sacré. L’amour maternel était un moyen de le faire dans Tree of life. Dans celui-ci, c’est l’amour durable entre deux êtres qui le permet. On ne peut enlever à ce film plein de défauts la célébration constante qu’il fait de l’Amour, valeur suprême et transcendante entre toutes.

De l’enflure là où il faudrait de l’épure

Je suis sorti épuisé de ce film trop long (2h09). A un moment, je me disais qu’il faudrait rétablir les entractes, rien que pour ça. A la manière d’un dieu créateur qui contrôle et ordonne tout, le réalisateur ne m’a pas laissé le temps de souffler, de savourer ses images, de connaître ses personnages. Son film déborde de mouvements et d’effets mais il est incapable de nous fixer sur quelque chose. Il y a un hiatus entre son ambition métaphysique et l’impossibilité de contempler quoi que ce soit. Il y a de la saturation, de l’enflure là où il faudrait de l’épure, une forme de silence. Pourquoi ne pas avoir centré le film sur la relation entre Faye et BV ? A quoi bon ce casting de luxe pléthorique ? Pourquoi Cate Blanchett ?

Le film est massacré par la critique et le public et c’est injuste. Il n’est pas à condamner pour son vide, comme j’ai pu le lire, mais pour sa lourdeur emphatique. Je ressens à la fois du respect pour l’ambition esthétique de Song to song, son originalité, son côté symphonique mais aussi de la déception pour tant d’auto-complaisance. Les sentiments sont mêlés en un nuage de mots contradictoires : gracieux, irréel, enivrant, religieux, solennel, sentencieux, assommant…

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