Barbie (Greta Gerwig)

C’est quand même problématique de chroniquer un film qui est le dérivé d’un produit célèbre du marketing américain. Certes, ce n’est pas une surprise car Mattel a supervisé et financé le film de Greta Gerwig mais on ne peut s’empêcher d’y voir un message publicitaire déguisé en production cinématographique. Si Barbie a son film et Mattel pratiquement deux heures pour défendre sa poupée stéréotypée, pourquoi Coca Cola n’aurait pas le droit de créer sa propre saga et de faire passer des messages pro-domo ? « Certes nous avons contribué à l’explosion du diabète et de l’obésité mais ce n’était pas voulu, nous sommes une marque synonyme de plaisir et de liberté depuis plus de 100 ans, il ne faut pas voir le mal partout ! » J’ai vu passer un soir une bande-annonce d’un film avec Matt Damon racontant la « passionnante » histoire de la Air Jordan de Nike, célèbre basket portée par Michael Jordan (Air, réalisé par Ben Affleck, une production Amazon Prime). C’est donc que Hollywood, désespéré de trouver des sujets, puise maintenant ses intrigues dans l’histoire des marques et des concepts marketing… est-ce que les céréales Kellogg’s auront leur grand film hollywoodien ? On a hâte de le savoir.

Une saga cinématographique comme Star Wars est parvenue à enfanter en même temps un univers visuel mythique et un vaste catalogue de produits dérivés. Là, avec Barbie, c’est le film qui arrive sur les écrans comme un produit dérivé du catalogue Mattel. On sent tellement le discours marketing et en même temps le besoin d’en faire la critique que le « récit » Barbie est dépourvu de toute accroche émotionnelle. L’œil aspergé de rose bonbon, le spectateur peut s’amuser et il en a souvent l’occasion mais rien ne crée d’attachement aux personnages, qui sont au sens propre des poupées. L’histoire est un prétexte artificiel pour confronter le monde féérique de la poupée Barbie au monde réel et à son expression féministe. La marque plaide la bonne foi d’une poupée émancipée, représentative de la femme moderne, qui aurait préparé les petites filles à autre chose qu’à la maternité. Mais comme pour s’excuser des stéréotypes véhiculés (la blonde sexy, maquillée, ultra-mince), il s’agira de faire la critique, souvent drôle, des représentations créées par l’univers Mattel. Barbie est en même temps un blockbuster et un film-discours qui zigzague entre féminisme light, dérision et satire très sage du capitalisme.

Voyons donc l’intrigue. Barbie blonde dite « stéréotypée », jouée par Margot Robbie, vit à Barbieland au milieu des autres Barbie qui sont toutes sûres d’elles et accomplies professionnellement. A côté, Ken (Ryan Gosling) se contente de vivre en bellâtre accessoire, qui passe son temps à la plage et ne sert finalement à rien. Au cours d’une soirée, Barbie se sent mal, elle découvre horrifiée qu’elle a les pieds plats et de la cellulite. Si son monde se dérègle, c’est parce que l’enfant dont elle est le jouet dans le monde réel a des pensées morbides. Pour résoudre le problème, elle va donc voyager dans le monde réel mais Ken s’est embarqué aussi et ils arrivent en Californie. Heureusement que Ryan Gosling est là car sa découverte au premier degré de la société patriarcale et de ses bienfaits pour lui est ce qu’il y a de plus hilarant. Son jeu enfantin et délicat maintient durablement l’attention du spectateur. Les péripéties californiennes de Barbie sont à côté assez insipides. Elle découvre qu’elle est la propriété de Sacha, une pré-adolescente qui ne supporte plus les messages sexistes véhiculés par la poupée mais qu’en fait c’est Gloria, la mère de Sacha, qui projette ses pensées morbides sur elle. Il y a des course-poursuites avec les cadres de Mattel qui veulent capturer Barbie et la renvoyer dans son monde mais on s’en fiche pas mal jusqu’à ce que Barbie et Ken reviennent à Barbieland. Ken prend alors le pouvoir et relègue les barbies à des rôles de potiches mais Barbie va finalement renverser la situation. Ouf ! Un univers de stéréotypes machistes a failli supplanter un univers féminisé à l’extrême.

La thèse du film, critique et sage en même temps, est la suivante et ressemble à un mea culpa de la marque : le personnage de Barbie a été créé de bonne foi pour donner confiance aux petites filles dans leurs capacités. Elles ont pu rêver d’être femme d’affaires, médecin ou avocates mais la marque n’a pas assez tenu compte des évolutions sociétales et de la diversité. Barbie a trop généré d’injonctions à la beauté, à la perfection physique, à une certaine image de la féminité blanche qui heurte celles qui s'en sentent exclus. Ken a failli tomber dans le même piège : inciter les garçons à être des brutes dominantes qui aiment les armes et les grosses voitures. Il n’y a rien de pire que ces stéréotypes genrés qui empêchent le bonheur individuel et la coexistence harmonieuse entre les sexes. Stop aux injonctions ! Apprenez à vous libérer des stéréotypes et des pressions genrées pour être vous-même. Barbie joint le geste de contrition à la parole : elle décide de rejoindre le monde réel et de vivre une vie de femme… elle a rendez-vous chez le gynécologue.

On m’opposera que ce n’est pas le service de presse de Mattel qui a écrit le film mais Greta Gerwig (réalisatrice de Frances Ha et du très bon Filles du docteur March) et Noah Baumbach qui viennent du cinéma indépendant et qui ne sont certainement pas idiots. Grâce à eux, le film est un divertissement POP plutôt amusant, riche en clins d’œil cinéphiles (Kubrick !) et qui a généré plus d’un milliard de dollars de revenus. C’est quand même plus efficace qu’une campagne de presse de Mattel et il paraît que les Barbie ne se sont jamais aussi bien vendues.