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Killers of the flower moon (Martin Scorsese)

Il n’y a plus d’adrénaline dans le cinéma de Martin Scorsese. Le dernier shoot date de 2013, de ce Loup de Wall Street gorgé de mauvais goût et férocement satirique. Après cette farce dont je ne me suis pas remis, j’ai dû capituler devant Silence (2016) puis The Irishman (2019) qui à ma grande honte m’ont tiré des bâillements d’ennui. Depuis 10 ans, il n’y a plus de bande-son rock’n’roll ni d’énergie morbide comme dans Casino (1995) mais la violence est toujours là et Scorsese a réussi à renouveler son cinéma, gardant le tragique mais troquant l’énergie animale pour quelque chose de funèbre. Les quasi 3H30 de ce Killers ont le rythme oppressant et l’ampleur d’une série documentaire effrayante, une sorte de Shoah dédié aux indiens d’Amérique. On parle ici de l’histoire véridique du peuple Osage, réfugié en Oklahoma, dont le malheur a été de découvrir du pétrole sur leurs terres. Tiré du livre enquête de David Grann, Killers raconte comment dans les années 20 ce peuple a été victime d’assassinats organisés qui ont conduit à une enquête du FBI.

Dès le début du film, le réalisateur créée une grande confusion pour le spectateur. On assiste à une cérémonie funèbre où les Indiens déplorent la mort de leur peuple. Mais la découverte de l’or noir nous montre ensuite des gens enrichis, photographiés en businessmen dans une apparence de bonheur. Malgré leurs malheurs passés, les Osage auraient-ils réussi à atteindre l’American Dream ? Certes on sent le racisme qui les entoure mais des mariages se font avec les blancs. Une société métissée semble se constituer. Vétéran de la Première guerre mondiale, Ernest Burkhart (Leonardo di Caprio) épouse Molly (Lily Gladstone) qu’il apprécie sincèrement et ça ne semble pas provoquer de scandale. Son oncle William Hale (Robert de Niro) qui a toujours eu de bons rapports avec les Indiens lui donne sa bénédiction. Pas plus mal d’épouser quelqu’un qu’on aime et qui a des parts dans de l’exploitation pétrolière. Le montage insère soudain dans cette histoire positive de courtes séquences d’assassinats. Des Indiens meurent brutalement. On comprend tout en douceur qu’un petit groupe de blancs, constitué d’Ernest, de son frère Byron (Scott Shepherd) et de Kelsie Morrison (Louis Cancelmi), commandé par Hale, se débarrasse sans scrupule des Osages pour s’approprier leur pétrole. La violence est montrée froidement, sans effusion et avec distance. On se sent tétanisé par la proximité entre bourreaux et victimes qui vivent dans une société restreinte où tout finit par se savoir.

La bêtise et la cupidité se conjuguent pour le malheur des Indiens. Elles sont implacablement personnifiées par les interprétations complémentaires de DiCaprio et De Niro. Il en a fallu du temps et parfois des interprétations grimaçantes et lourdes pour que le beau Leo, idole des jeunes filles, devienne cet acteur de composition à la Brando qui incarne en Ernest Burkhart un abruti plus vrai que nature. C’est une sorte de salaud innocent, banal et servile dont on guette les signes de mauvaise conscience sur le visage déformé. Il est sous l’emprise de Hale, véritable ordure que De Niro joue au dernier degré du mielleux. Leur duo et cette petite cohorte de voyous qu’ils emploient est décrite par Scorsese comme une mafia. On retrouve dans ce film la thématique scorsesienne de la contamination mafieuse qui corrompt une société américaine avide d’argent. Mais il y a un thème que Scorsese avait effleuré dans plusieurs de ses films mais sans en faire un argument de premier plan, celui de l’ordre raciste qui régit la société américaine. Le cinéaste multiplie les signaux furtifs : des images d’actualités cinématographiques parlent de quartiers noirs incendiés, on croise le défilé du Ku Klux Klan, organisation qui se relance dans les années 20. Qu’est-ce qui fait qu’Ernest, tout en étant amoureux de Mollie, ne voit pas de problème à assassiner sa famille et des natifs en général, si ce n’est un ordre racial intériorisé pour lequel les tuer est moins grave que tuer un chien ?

Le rythme est lancinant, oppressant, accompagné par la bande-son bourdonnante composée par Robbie Robertson. Les Indiens meurent lentement d’une épidémie dont les facteurs sont la cupidité, la bêtise et le racisme. Tout est orchestré et tout se ligue pour les faire disparaître. Scorsese décrit en détails leur dépendance économique, l’alcoolisme qui ravage leur vie, les maladies comme le diabète dont souffrent Mollie et ses sœurs. La société est empoisonnée à un tel degré qu’on ne voit pas d’échappatoire. Le spectateur se sent suffoqué par la litanie des morts et des malheurs qui s’abattent sur les Osage. Killers of the flower moon est le récit d’un génocide de proximité, tranquille et sournois. On croit que ce rythme va changer quand arrive le FBI de Hoover en la personne de l’enquêteur Tom White (Jesse Plemons) mais le récit demeure long, tortueux et accablant. L’enjeu final n’est pas de découvrir la vérité que tout le monde reconnaît à demi-mot mais de faire germer quelque part, notamment dans le cerveau d’un Ernest Burkhart un sentiment sincère de culpabilité. Qu’à travers ce personnage médiocre, l’Amérique voit son passé honteux et sa responsabilité. C’est sans doute pour cela que la fin du film a cette pesanteur qui met le spectateur à la torture : il faut qu’à un moment le Mal soit reconnu, que les assassins reconnaissent leurs fautes et veuillent l’expier. C'est un travail de longue haleine.

Toute flamboyance abandonnée, Martin Scorsese nous livre un film fleuve accablant qui tout en pointant le racisme de la société blanche rend hommage aux amérindiens, à leur volonté de ne pas disparaître. C’est une élégie pour un peuple poussé à une lente agonie.

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