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Le règne animal (Thomas Cailley)

La chair qui mute, qui dégénère pour le pire, c’est un thème que j’ai découvert à travers le cinéma de Cronenberg. Dans Rage (1977), une greffe de peau échoue et crée sur le corps d’une femme accidentée un dard assoiffé de sang. Dans la Mouche (1986), le code génétique d’un scientifique fusionne avec celui d’une mouche, provoquant sa longue agonie. La science transforme les corps en un autre chose qui s’apparente au monstrueux. L’humanité pénétrée de technologie accélère la catastrophe de sa propre chute. Dans Le règne animal de Thomas Cailley, remarqué pour l’excellent les combattants (2014), le thème de la transformation est traité de manière plus terre-à-terre et moins tragique que le cinéma glacial de Cronenberg. Centré sur un noyau familial auquel on peut s’identifier facilement (un père et son fils voient leur mère se transformer en animal), il tire son succès (plus de 600,000 entrées en salle) de sa proximité avec le spectateur: nous raconter quelque chose d’inquiétant, tout en utilisant les codes du film de genre (teen-movie, fantastique), de manière positive.

La science ? En la personne d’une médecin des hôpitaux de Paris, elle constate une mutation dont elle ne sait pas l’origine. Des médicaments et de la chirurgie esthétique semblent les seules solutions pour stopper la transformation d’êtres humains en animaux. Le film de Thomas Cailley ne donnera aucun indice sur les origines de la « maladie ». A l’image de François (Romain Duris) et de son fils Émile (Paul Kircher), la société s’adapte, avec crainte mais sans psychose ou fin du monde. Tout en maintenant une forme d’inquiétude et des moments de forte tension, le film cultive avec ses personnages une proximité naturaliste très française. François et Émile quittent la région parisienne pour le sud-ouest, où se trouve un centre de traitement pour « bestioles ». François sera cuisinier dans un camping et Émile ira au lycée du coin où il se fera de nouveaux amis. Une mère de substitution est incarnée par le personnage de gendarme protecteur d’Adèle Exarchopoulos, dont le rôle est assez peu développé. La coloration provinciale fait penser à Teddy des frères Boukherma, où un adolescent se transforme en loup-garou dans une petite ville des Pyrénées-orientales.

Les mutants dont la femme de François devaient être transférés dans le centre tout proche mais un accident de la route a provoqué leur fuite dans la nature. L’inquiétude s’installe, le père et le fils entreprennent des recherches. On sent la volonté du réalisateur de ne pas suivre les canons du cinéma de survie américain. La présence proche des « bestioles » réveille des peurs ancestrales mais le réalisateur désamorce toute vision millénariste d’une humanité maudite et condamnée. Le fait d’avoir transféré l’action dans le sud-ouest, terre de tradition où on va fêter la St Jean, nous ramène à des temps anciens, dominés par la peur. On pense bien sûr à ce loup monstrueux du Gévaudan, qui terrorisa la Lozère ou bien aux incarnations du Diable en bête mais Thomas Cailley nous mène sur d’autres chemins que ceux de la terreur pure et de la superstition, plus positifs.

Il faut évidemment parler d’Émile, fils de François, personnage qui porte le film sur ses épaules (attention spoilers !). Atteint comme sa mère, il se transforme mais ne nous dégoûte pas. Son adolescence, âge ingrat, hormonal, un peu malpropre nous rend sa mutation à la fois inquiétante et profondément familière. Émile est ce personnage qui fait pont entre l’humanité ordinaire et les nouvelles créatures. Il vit dans son corps une mutation douloureuse qui n’est pas une damnation mais une voie nouvelle. A force d’arpenter les chemins forestiers, il entre en contact avec les bêtes, les apprivoise et apprend à en devenir une lui-même. L’histoire d’Émile ressemble à celle d’une libération, d’une émancipation. La beauté du film de Cailley tient dans cette brèche qu’il ouvre entre vie humaine et vie animale. Dans une forêt dense et magnifiquement filmée surgissent des instants de poésie qu’on a rarement vu dans le cinéma français, peu enclin au fantastique. Le surnaturel créé par des effets spéciaux plutôt réussis nous rapproche des Marvel. A l’image de ce personnage d’homme-oiseau, l’humain hybridé à l’animal se découvre des pouvoirs et une connaissance nouvelle. La transformation est aussi celle du regard qui passe de la terreur à l'identification. Dans les yeux d’Émile, ces humains animaux ressemblant à des créatures de Jérôme Bosch dévoilent leur beauté mystérieuse, ils ne sont plus des monstres mais du même monde et de même nature que lui. Quand soudain la forêt est prise d’assaut et enfumée par des colonnes de militaires, l’optique a changé et l’œil du spectateur s’identifie à celui de l’animal dont on détruit le milieu naturel. Séquence toute en frénésie qui nous rappelle la catastrophe climatique. Affranchi de la peur et des préjugés, l’homme se rappelle qu’il est un animal et que ça n’a rien d’horrible ou de tragique.

Ce n’est pas une critique que de dire que Le règne animal est un film très habile. En s’inscrivant dans la lignée des films de genre, il se rend très proche du spectateur puis s’envole vers son horizon animal dans sa dernière demi-heure, d’une manière audacieuse.

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