John Huston
The substance (Coralie Fargeat)

A côté de Coralie Fargeat, Julia Ducournau c’est Robert Bresson ! Assister aux 2H20 de The Substance, c’est s’offrir un long délire gore et tape à l’œil. La première pensée en sortant de la séance a été de se dire que cela faisait longtemps que je n’avais pas assisté à un film aussi dégueulasse et ultra-violent, pensée tout de même accompagnée d’un éclat de rire salvateur largement partagé par la salle. A écouter les premiers résumés, je croyais à une réflexion « féministe » et donc critique sur notre inaptitude sociale à accepter le vieillissement du corps féminin, habilement camouflée en film de genre. Le film a tout de même obtenu le prix du scénario à Cannes. A croire que les jurés ont accordé à ce film hyperbolique, divertissant et de très mauvais goût un fond, un propos critique, une… substance ?
En un plan plongeant, une nouvelle étoile est créée sur le Hollywood Walk of Fame. Elle est dédiée à Elisabeth Sparkle (« éclat » en anglais) qui est une star de la TV. Incarnée par Demi Moore, dont on se souvient du statut de sex symbol dans les années 90, Elisabeth est montrée comme une beauté sculpturale animant une émission quotidienne d’aérobic. Mais la voyant atteindre 50 ans, son producteur Harvey, joué au-delà de la caricature par Dennis Quaid, décide qu’il est temps de la virer pour la remplacer par une jeune femme beaucoup plus jeune et désirable. Elisabeth perd son job et par là tout ce qui faisait la substance de son existence : la célébrité, le désir des spectateurs et surtout des hommes, ce qui in fine masquait sa solitude. A la suite d’un accident, elle découvre qu’une mystérieuse substance pourrait résoudre son problème. Une injection de liquide vert lui donne le pouvoir d’enfanter un double d’elle-même, de devenir la matrice d’un corps beaucoup plus beau et jeune qui fait partie d’elle-même. Elle engendre Sue, incarnée par la très belle Margaret Qualley, qui va prendre sa place à la TV.
Coralie Fargeat filme dans un style outrancier, avec zooms, gros effets de profondeur, musique criarde, effets sonores et couleurs agressives. Voulant illustrer la vulgarité du monde qui entoure et façonne Elisabeth, essentiellement un monde de mâles avides et obsédés sexuels comme Harvey, elle multiplie les gros plans vulgaires, sa caméra captant les entrejambes et fesses galbées avec insistance. La « naissance » de Sue exacerbe ce filmage saturé de « male gaze » qui manque terriblement de subtilité. Il aurait pu être donné à Elisabeth Sparkle de remettre en cause les stéréotypes sexistes qu’elle a acceptés et intériorisés, qui lui ont valu sa célébrité mais qui ont aussi causé sa très grande solitude. Le scénario aurait pu dessiner quelques doutes quant à sa volonté de rester jeune et célèbre, peut-être que quelques scènes auraient fait entrevoir un peu de dilemme, la tentation d’accepter l’âge et le vieillissement, pourquoi pas ? Mais l’idée même de la substance entraîne le scénario vers une pente outrancière et grotesque. Elisabeth et Sue ne font qu’une biologiquement parlant mais pour que Sue s’épanouisse 7 jours d’affilée, elle doit être désactivée et nourrie pendant 7 jours par Elisabeth. Le système ne peut fonctionner que si les deux femmes coexistent dans un parfait équilibre. Le problème est que Sue, enivrée par sa célébrité et dégoûtée par la « veille » Elisabeth décide de prendre de plus en plus de temps sur l’existence de sa génitrice, accélérant ainsi son vieillissement et sa déchéance.
Autant le dire, Fargeat transforme progressivement son récit en une guerre grand-guignolesque entre la matrice et sa créature. Il ne s’agit plus que d’une pure lutte de survie entre deux entités biologiques en concurrence pour la célébrité. Dans ce combat d’un corps contre son double rajeuni, l’horreur explose et le récit prend une tournure caricaturale. L’organique y compris la nourriture devient tout autant un sujet de dégoût que de rire, ce qui rend le film à la fois grotesque et souvent drôle (le fameux cadeau français d’Harvey). La monstruosité et l’ultra violence se répandent en autant de séquences gore qui mobilisent un minimum de réflexion mais un vaste réservoir de références cinéphiles. Les images font penser à Elephant Man, aux Aliens, au Seigneur des anneaux (Golum !), à Carrie au bal du diable (De Palma) avec ses geysers de sang. J’ai pensé aussi aux esbrouffes de Gaspard Noé. Avec sa profusion monstrueuse, le film inspire plus le dégoût que le malaise. On se sent loin du style épuré et glacial de Cronenberg, qui lentement faisait surgir l’horreur de la normalité.
Un peu comme lorsque l’héroïne de Revenge, son précédent film, se met à tuer ses violeurs, The substance règle ses comptes avec les hommes (tous des crétins la langue pendante), avec la société du spectacle et le culte de la célébrité. Dans ses 30 dernières minutes, il les noie dans des hectolitres de sang et de tripes. Rien ne peut vraiment sauver Elisabeth et Sue, qui sont condamnées à la destruction par le scénario et par une en scène très virtuose, dans une orgie mutante de chair et de viscères. La réalisatrice montre une fascination pour les corps féminins qui se transforment, se déforment, dégénèrent. Film d’horreur, The substance est fasciné par l’horrible jusqu’à la complaisance. Quand cela s’arrête on est enfin soulagé, on réalise qu’on ne s’est pas ennuyé, qu’on a souvent ri ou grimacé de dégoût. Énorme regret toutefois : n’avoir jamais vraiment éprouvé d’empathie pour les deux femmes montrées à l’écran alors qu’elles évoluent dans un monde répugnant. Dommage pour un film à message féministe.
NB : ma première critique laisse penser que The substance est un amas assez simpliste de références cinéphiles, que c’est avant tout de l’horreur surfant malignement sur me-too. Le film continuant à me travailler après vision, je conviens qu’il n’est pas si dénué de substance que ça. Je confirme qu’il est très complaisant dans l’horreur et qu’il ne donne à ses « héroïnes » aucun moyen de se sauver et de remettre en cause leur statut d’objets sexuels dans l’industrie du divertissement. Elles ont accepté et intériorisé leur sort. Finalement c’est Coralie Fargeat qui les venge par sa mise en scène provocatrice, en montrant avec insistance l’obscénité du regard masculin et ses effets dévastateurs sur les femmes. Sa réalisation assume l’hyperbole et se décline comme autant de coups de boule ou de crachats à la gueule des phallocrates de l’entertainment. Il est évident qu’elle prend un grand plaisir à venger les femmes des désirs salaces de l’industrie et du public : « vous en voulez hein du nichon ? Tenez ! ». Un sein gonflé sort du magma de chairs dégoutantes qu’elle étale à l’écran, ce qui était sexy devient dégueulasse. Encore une fois, ça n’est pas de bon goût mais c’est assez punk et percutant pour qu’on n’oublie pas !