John Huston
Civil War (Alex Garland)
A propos des Etats-Unis, on parle régulièrement de guerre culturelle ou de pré-guerre civile exacerbées par deux camps politiques, « progressistes » et « ultra-conservateurs » qui s’affrontent par discours interposés. Mais l’image d’une vraie guerre civile qui fait des morts a été rendue possible par Donald Trump et ses partisans lors de l’assaut du Capitole de janvier 2021. Ce qui était dans les têtes est devenu un réel violent, diffusé en direct par les télévisions du monde entier. Alors qu’on aurait encore du mal à imaginer une guerre civile massive dans un pays européen, Civil War présente une situation immédiatement familière. On peut parler de dystopie tout en considérant que le futur cauchemardesque décrit par Alex Garland est déjà inscrit dans le présent d’un pays qui compte des centaines de groupes paramilitaires armés et des millions d’armes en circulation. Un pays qui a souvent exporté la violence hors de ses frontières, jusqu’à provoquer des catastrophes, comme en Irak.
Un président des Etats-Unis dont on apprendra qu’il est à son troisième mandat répète nerveusement un discours belliqueux. A travers les vues aériennes de grandes villes, on aperçoit des feux et des explosions. Les images donnent à voir la guerre civile sans qu’aucun élément de compréhension ne soit donné. On comprend que la Californie, le Texas et peut-être la Floride sont entrés en sécession. Qu’est-ce qui a déclenché ce conflit ? Quelles sont les forces en présence ? Qui a tort ou raison ? On ne saura rien des origines de la guerre civile et c’est d’autant plus paradoxal que les personnages de l’histoire sont des reporters de guerre. Lee Smith est une photographe expérimentée, une habituée des situations violentes. Kirsten Dunst incarne une femme froide et réservée, dénuée d’idéalisme. Accompagnée de Joel (Wagner Moura) qui cherche l’adrénaline et de Sammy (Stephen McKinley Henderson) qui ressemble à un journaliste à l’ancienne, elle cherche la meilleure image possible. Le personnage de Jessie, joué par la très juvénile Cailee Spaeny, semble là pour donner un peu d’idéalisme à l’équipage qui a décidé de rejoindre Washington DC. Malgré le danger, ils s’approchent de la ligne de front et cherchent l’exploit : même si le camp présidentiel déteste la Presse, pourquoi ne pas essayer d’interviewer le Président ? Tandis que le pays est abandonné aux pires instincts (exécutions sommaires, lynchages, destructions), aucune analyse politique ne nous est proposée de vive voix. Ceux qui sont censés incarner l’idéal démocratique, les journalistes, ne font qu’alimenter le spectacle continu des images violentes. Comme le dit Lee, ils sont là pour enregistrer les événements afin que d’autres puissent les interpréter. A travers ces personnages habités par la peur mais sans aspirations, ayant évacué la politique et les idéaux, le film crée donc de la frustration chez le spectateur. La guerre civile est captée dans sa dimension crue et arbitraire.
Même s’il propose quelques séquences très efficaces, Civil War n’est pas un film spectaculaire de plus. Mais ce n’est pas parce qu’il met les mots de côté qu’il ne produit pas de discours. Alex Garland puise dans l’immense réservoir des images journalistiques et du cinéma pour nous montrer ce qu’est devenue l’Amérique, un pays contaminé par la violence et ses effets. Toute la violence qui autrefois se déchaînait en Irak, en Somalie ou en Haïti, semble s’être déversée sur le pays qui en a souvent été le déclencheur. Les hélicoptères survolant les zones ravagées font penser à Apocalypse now et aux films sur le Vietnam. Les séquences de guerre urbaine créent des réminiscences de films récents : les Black hawk down (Scott), American sniper (Eastwood), Démineurs (Bigelow) etc. Que dire de la Maison Blanche, qui est devenue un paysage de guerre comme un autre depuis les divertissants La Chute de la Maison Blanche ou White House down ? Ajoutons pourquoi pas que la vision de zones commerciales dévastées fait furieusement penser à Zombie : le Crépuscule des morts-vivants (Dawn of the dead) de George Romero dont un des personnages est un reporter. Les personnages de Civil war ont un peu un côté mort-vivant, ils sont à la fois immergés dans la survie et focalisés sur leur travail. Ils sont les protagonistes d’une société devenue fasciste au sens où la violence devient la règle générale et annihile les capacités morales des individus.
Je ne connais pas bien la filmographie d’Alex Garland. Je n’ai vu ni Men ni Annihilation mais je sais qu’il est scénariste de La Plage et de 28 jours plus tard de Danny Boyle. Son travail exprime une fascination pour les sociétés post-catastrophe, où la violence déshumanise les êtres humains. C’est pour lui une forme d’esthétique qui fait ressembler certaines séquences à du clip. On reconnaît d’ailleurs quelques chansons comme celle du groupe Suicide. La musique souvent planante fait écho à l’engourdissement psychologique des personnages. Dans sa première moitié surtout, le film produit une distance froide, une retenue comme s’il voulait nous éviter de tomber dans le divertissement et le feu d’artifice habituel made in Hollywood. On a peur parce qu’on ne sait pas reconnaître immédiatement un camp, celui des fascistes ou des autres. On tue parce qu’il le faut bien, il n’y a ni justice ni pitié. Ce côté nihiliste et glaçant fait que Civil War n’est pas un film aimable. Il ne laisse rien espérer, ne laisse rien entrevoir de positif.