John Huston
A touch of zen, réédition magistrale
A touch of zen du taïwanais King Hu a reçu le prix de la Commission Supérieure Technique du Festival de Cannes en 1975. Cette récompense sonne assez administrative mais elle était plus que méritée. Ce film sorti en 1971 à Hong Kong, échec commercial là-bas, est une merveille au sens technique du terme mais pas seulement. Il est rare dans une vie de cinéphile d’assister à un spectacle total, qui a sa source dans l’excellence « technique » des personnes qui l’ont produit (chef-op, monteurs, ingénieurs du son, bruiteurs, décorateurs, costumiers), mis en orchestre par un réalisateur perfectionniste. Ce film, tourné sur trois ans (!) dure 2h59 dans sa version rééditée et voulue par son réalisateur, ce qui est long pour un film de genre. Pourtant, Il ne perd pratiquement pas le spectateur tant il est beau, incroyablement dynamique et il s’y passe plein de choses ! Dans sa version restaurée, le film se regarde comme une tapisserie vivante, dorée à l’or fin, alternant les scènes nocturnes aux multiples éclairages, faisceaux de lumière, ombres, détails et les extérieurs jours grandioses, dans des paysages de forêt, de montages, de falaises rocheuses. Il a pour lui d’utiliser la nature et les éléments comme une matière vivante : les herbes et les fougères virevoltent, l’eau scintille, la rosée envahit le cadre. Un simple plan sur le héros se lavant les mains dans un seau où l’eau miroite comme un bouillon d’étoiles, dit tout des détails poétiques du film. La nature joue un rôle primordial, elle donne un caractère fantastique et spirituel au récit. Les premières images sont des travellings de montagnes et des plans inquiétants de toiles d’araignées capturant leurs proies. La nature dit la beauté et la sauvagerie qui règnent dans l’univers. Il faut attendre deux minutes avant qu’un humain sorte soudainement d’un paysage de ruines. On a le sentiment que l’ordre et l’équilibre de la nature sont perturbés par l’intrusion humaine, l’histoire peut alors commencer.
Plastique somptueuse et montage percutant
Nous sommes dans un village de province dans l’empire chinois, au 17ème siècle. Gu Shengzai (Shih Chun) est un peintre et scribe vivant chez sa mère, en face d’une forteresse délabrée qu’on dit hantée. Il rencontre dans le village un inconnu qui se révèle être un envoyé de l’eunuque Wei qui règne arbitrairement sur la province du Nord Est. Cet inconnu nommé Ouyang Nian recherche les membres d’un clan familial en fuite, qui ont été condamnés injustement par l’empereur de Chine, dans un complot ourdi par Wei pour les éliminer. Gu découvre que la forteresse voisine est occupée par une jeune femme, Yang Huizhen (Feng Hsu) à laquelle sa mère souhaiterait le marier. Il ignore que cette jeune femme est l’héritière du clan décimé, de surcroît une redoutable combattante, qui se cache de ses poursuivants, grâce à la protection de deux généraux. Dans la phase d’exposition du film, King Hu déploie sa dramaturgie progressivement, en jouant des mystères de la forteresse en ruine. La première scène de découverte par Gu de la forteresse est un modèle de montage jouant avec habileté des bruitages (vent, porte qui claquent, rumeurs au loin, envolées d’oiseaux). Cette scène est étirée pour maintenir le spectateur dans le mystère, sans qu’il y ait de combat dedans. On attendra d’ailleurs assez longtemps, au moins 40 minutes, avant que les premières violences aient lieu mais on ne s’ennuie pas car la dynamique du film de sabre imprègne le récit même quand il n’y a pas d’action. La plastique somptueuse est constamment couplée à un montage précis et percutant qui intervient dans une temporalité longue. Quand arrivent les combats au sabre, on se réjouit en plus de l’inventivité chorégraphique qui rythme ces joutes dont une contre Ouyang Nian, se situant dans une forêt de bambou et qui a ébloui tant de cinéastes – il me semble que ce paysage a été repris dans le beau Le secret des poignards volants de Zhang Yimou.
Des motifs anti-conventionnels
Gu fait alliance avec la demoiselle Yang et ses deux compagnons. Le film a des tournures étranges dont on devine qu’elles ont peut-être joué en défaveur de son succès commercial. De cette trame faite de poursuites et de combats entre un petit groupe et ses poursuivants, King Hu a tiré des motifs anti-conventionnels. Son héros Gu est, on le devine, un puceau qui vit absorbé dans son art et dans les lectures philosophiques. Il porte en lui un idéal d’éducation, il veut fonder une école. Gu ne touche pas un sabre du film et c’est Yang, personnage féminin, qui prend les attributs du combattant avec une redoutable efficacité. C’est même elle qui s’offre à Gu sans qu’il ait pris l’initiative. Gu est néanmoins un héros insolite qui joue de l’astuce et de sa connaissance stratégique pour se débarrasser des troupes du préfet, dans une séquence nocturne où se mêlent combats et fantômes. Il parvient à susciter les craintes superstitieuses des soldats, en se faisant véritable marionnettiste. Cette séquence stupéfiante, la meilleure du film et que j’ai cru la dernière précède un dernier mouvement qui porte la thématique spirituelle de A touch of zen. Yang avait raconté à Gu avoir été sauvée dans sa fuite et recueillie avec ses compagnons par un groupe de moines bouddhistes. Ces moines reviennent à la fin du film et lui donnent sa dimension mystique. On comprend que le monde décrit jusqu’alors est marqué par l’injustice et l’arbitraire. Si Gu, Yang et les deux généraux ont pu vaincre une première armée de combattants, un redoutable commandant en chef se met sur leur route. Il a ordre impérial de les arrêter. Avoir joué des superstitions et de la ruse n’a pas suffi, Gu est d’ailleurs mis hors du champ des combats. C’est maintenant à Bouddha, à travers ses bonzes, à faire pencher la balance en faveur des héros contre les représentants du Mal. Dans un film occidental, on aurait résolu l’intrigue en permettant à l’empereur de revenir sur sa condamnation et de rétablir la justice. Or la balance semble être irrémédiablement en faveur de l’arbitraire. Il semble que seul un renoncement des mauvais en faveur de la paix puisse sauver les héros. Le repli en Bouddha, confondu avec la lumière aveuglante du soleil est l’unique recours possible. Or les méchants ne sont pas prêts à prendre la voie juste…
Oui A touch of zen dure 2h59 et je ne suis moi-même pas toujours prêt à consacrer ce temps-là à un film. Mais quand le film en question est un poème visuel aussi virtuose, il faut aller le voir même si on n’a pas d’affinités avec le wu xia pian (film de sabre de Hong Kong) ! C’est un chef d’œuvre et, pour une fois, ce terme n’est pas galvaudé.