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The swimmer: viens plonger dans la piscine

Le nom de Frank Perry m’était inconnu et après avoir vu The swimmer (1968), je me suis précipité sur IMDB pour découvrir la filmographie de ce réalisateur né en 1930 et ayant fait carrière à partir des années 60 jusqu’en 1992. Une carrière honorable avec certains films bien notés. Rien de célèbre, en France en tout cas, hormis ce très beau Swimmer avec Burt Lancaster, sorti en 1968, et qui mérite cette aura de film culte que j’avais notée ici ou là. Il faut ajouter que Sidney Pollack a terminé le film et notamment l’une de ses scènes les plus dramatiques, mais le projet artistique était bien, selon ce qu’on lit sur Internet, celui de Perry et de son épouse, qui ont adapté une nouvelle de l’écrivain John Cheever.

 


Rentrer à la nage

Les premières images sont tournées en vue subjective dans une forêt. On y voit un lapin, un écureuil, animaux fuyant un danger, et soudain un homme en maillot de bain surgit de cette nature. C’est Ned Merrill, joué par Burt Lancaster et une sorte d’étrangeté s’installe. Ned vient faire un petit plongeon chez des amis. Il a sa serviette mais ses amis ne l’ont pas vu depuis des mois. Pourquoi est-il là ? D’où vient-il ? Où est sa famille ? C’est un très bel homme, athlétique, apprécié on dirait. Il semble attaché à un passé heureux, à des souvenirs de jeunesse mais quand ses amis veulent l’emmener dans le voisinage, il est pressé d’aller voir ailleurs. Appréciant le panorama, il contemple la vallée et comprend que toutes les propriétés ont une piscine. Il décide de « rentrer à la nage » jusque chez lui. Il appelle ce chemin de retour la rivière Lucinda du nom de son épouse.

C’est une entame très insolite, qui laisse au spectateur beaucoup de portes ouvertes sur Ned Merrill. Le jeu de Burt Lancaster y contribue. On le voit joyeux, naïf, idéaliste puis en plein doute, souffrant, incrédule. Il donne la curieuse impression de flotter dans la réalité. On ignore s’il sort d’une commotion ou d’une dépression. Cette impression se renforce au fur et à mesure qu’il plonge dans les piscines de ses voisins et « amis ». Le film est au diapason de son acteur, alternant des séquences kitsch, qu’on croirait rêvées (la promenade avec l'ex baby-sitter de ses filles) ou de purs moments de comédie sociale où se dévoilent la rancœur, l’envie ou le respect que Ned Merril a pu susciter dans son passé. Mais le personnage lui-même ne semble plus conscient de ce passé et cherche à le retrouver. L’eau joue dans le film un rôle métaphorique. A mesure qu’il revient chez lui, qu’il remonte la rivière Lucinda jusqu’à sa source, il retrouve la mémoire et chaque piscine s’apparente à un bain amniotique dans lequel il plonge pour échapper à ce qu’il découvre.

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De Elia Kazan à Desperate housewives

The swimmer est un film puzzle qui dévoile quelque chose de la face sombre de la réussite à l’américaine. On se situe dans le riche Connecticut où se mélangent aristocratie WASP et nouveaux riches de la côte Est. Les dialogues ont l’art de semer des indices sur les relations sociales et le passé de Ned Merril, sur la personnalité de son épouse, sur ses filles. Frank Perry a eu la délicatesse de ne pas nous servir des flashbacks qui auraient tué le mystère. Le spectateur reconstitue lui-même le passé d’un homme qui n’a rien d’idéaliste ni de sympathique. Un homme caractéristique d’une société basée sur la réussite matérielle et les faux semblants. Je retiens l’arrivée à la party donnée par les Biswanger dont on devine que ce sont des nouveaux riches et que Ned les a snobés. De cette séquence, on tire de nombreuses observations sociales : la folie dépensière des nouveaux riches, le conformisme matériel, les rapports de classe teintées de jalousie et de ressentiment.

Mais le film n’est pas qu’un précurseur avant l’heure de Desperate housewives et de sa vision acerbe de l’Amérique, il a une tonalité mélodramatique soulignée par sa partition musicale et par l’accumulation de souffrances que rencontre Ned Merrill. L’homme magnifique du début du film finit épuisé et humilié dans une piscine publique, dernière station de son calvaire avant l’arrivée à la maison et la découverte de la vérité. Je donne un léger indice en indiquant que sa maison à lui n’a pas de piscine comme chez les autres. La piscine semble avoir été un signe extérieur de réussite pour la bourgeoisie des années 50.

The swimmer est un bijou d’écriture et de mise en scène subtile, porté par une star qui excelle dans les registres virile et fragile. Il a comme un goût d’Elia Kazan, celui de l’Arrangement, autre portrait d’un homme qui a réussi avant de déchoir. Le film de Perry montre une versatilité de tons qui en fait un film remarquable et original. 

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