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Borgo (Stéphane Demoustier)

Une prison, où qu’elle soit en France, est censée ressembler à une autre prison. La République impose des règles uniformes de détention sur le territoire. Mais quand Mélissa (Hafsia Herzi), surveillante pénitentiaire venue du continent, prend son poste à la maison d’arrêt d’Ajaccio, les choses sont différentes. Il y a un fonctionnement spécifique, en « régime ouvert », qui fait que les détenus, tous corses dans cette section particulière, peuvent circuler à leur guise et négocier certaines conditions de fonctionnement. Malfrats ou nationalistes de clans rivaux, vivant la trêve de la violence entre les murs, ils sont davantage chez eux que les gardiens qui les surveillent. Les scènes du quotidien, filmées dans un style réaliste très sobre, nous font sentir par les regards, les paroles échangées, les sous-entendus, qu’ici dominent des codes spécifiques à la Corse. L’île est petite, les murs poreux : tout ce qui est fait de bien ou de mal dans la prison peut entraîner des conséquences en dehors. Il est donc posé dès le début du film la nécessité de s’adapter à ce pays pour pouvoir y durer. Borgo sera donc pour Mélissa et sa famille l’histoire d’une intégration, voire d’une assimilation problématique.

Le scénario est inspiré d’une histoire vraie, celle de Cathy Sénéchal, une surveillante de prison mêlée à une histoire de double meurtre et dont le procès doit avoir lieu dans les prochains mois. Le film joue de la relation parallèle entre l’enquête menée par un commissaire (Michel Fau) et l’évolution de Mélissa qui entreprend de rendre certains services aux détenus. Le spectateur est amené à s’identifier à cette figure énigmatique, d’un côté « cheffe » de famille et de l’autre femme devant s’imposer dans le monde viril de la prison. La compréhension du film passe par le déchiffrement du personnage porté par Hafsia Herzi. On scrute avec fascination son visage, ses expressions, son regard. On cherche une vérité derrière son apparente froideur, on devine des failles sans se faire de certitudes. Elle est venue s’installer là avec son mari Djibril et ses deux enfants, pour vivre « un nouveau départ ». Le film est peu disert sur les raisons ayant poussé à un déménagement de la région parisienne. Le scénario a le mérite de dire des choses sans trop révéler. Stéphane Demoustier préfère ne pas éventer le mystère entourant chaque personnage ni surcharger son scénario de dialogues explicatifs ou psychologisants. Il fait en partie sienne la fameuse « omerta » corse, la loi du silence qui appliquée à chacun permet de ne pas tout savoir immédiatement. Qu’a fait tel détenu ? Pourquoi donner tel information à telle personne ? Il est bien de ne pas poser trop de questions…

L’adaptation dans un nouveau quartier est difficile d’autant que Djibril (Moussa Mansaly) est noir et sans travail. Mais les choses changent le temps qu’elle se lie à un jeune détenu, Saveriu (Louis Memmi) et qu’elle accepte de rendre des services. Qu’est-ce qui fait qu’elle renonce à sa déontologie de surveillante de prison ? On cherche tout au long du film les raisons tout en constatant la progressive montée d’un affect entre cette femme un peu seule et ces voyous qui la nomment affectueusement « matonne », comme une petite mère. Dans une scène insolite et touchante, elle est même célébrée par les détenus lui chantant une chanson, éveillant un sourire de plaisir sur son visage. Peut-être est-ce une facilité mais on est soi-même un peu fascinés par ces hommes énigmatiques, liés par des antagonismes invisibles. Ils séduisent, manipulent et rendent redevables l’air de rien. C’est comme un lien amoureux qui se tisse entre elle et Saveriu, la liant au monde mystérieux et violent qu’il incarne. Le « nouveau départ » peut se comprendre comme un attachement qui ne dit pas son nom, avec un jeune homme et un pays, qui la pousse à la transgression.

Le scénario a fait le choix de décrypter les motivations de Mélissa, en s’appuyant sur le magnétisme d’Hafsia Herzi. Sans nuire au film, cela crée un déséquilibre avec le reste du casting. On peut sans doute regretter le manque de place donnée à Moussa Mansaly, à Michel Fau ou à Florence Loiret-Caille, qui interprète la directrice de la prison. Mais je pense qu’il y a une certaine logique : ces personnages sont restés étrangers à la Corse, ils n’y sont pas intégrés. Représentant de la République Française, un Michel Fau agacé est confronté au peu d’indices laissés par les bandits. Il doit redoubler d’efforts dans son enquête laborieuse et c’est Mélissa qui va en constituer la clé de son problème. Ce n’est pas tant la fascination pour les bandits qui semble la motiver que l’envie de se fondre dans un pays (« borgo » ou village en corse) et une nouvelle identité. Peut-être une des clés du personnage est son identité métisse : nom de famille à consonance maghrébine (« Dahleb »), prénom « caucasien », mari noir. C’est affaire d’interprétation encore une fois : le charme mystérieux du film est en grande partie contenu dans le visage quasi impassible de son actrice.

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