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Les fantômes (Jonathan Millet)

Belle métaphore que ces fantômes du titre. Jonathan Millet, dont c’est le premier film de fiction après avoir œuvré dans le documentaire, nous parle de ces gens qui aujourd’hui errent dans le monde comme s’ils étaient morts. Hamid (Adam Bessa), syrien réfugié en France, est de ceux-là. Victime comme des milliers de compatriotes d’exactions, de tortures, il est le produit d’une tragédie déjà oubliée. Il a connu la prison de Saidnaya, près de Damas, dont on dit que 30,000 personnes y ont perdu la vie dans les années 2010. En Occident plus personne de parle de la Syrie de Bachar al-Assad, d’autres conflits sont là. Dans ce silence, Hamid est un des fantômes de cette guerre atroce menée par le dictateur, qui a produit aussi bien des victimes que des bourreaux. Jonathan Millet donne une force documentaire au portrait des uns (Hamid, sa mère, Yara) tout en esquissant le portrait des autres.

Le fantôme est l’incarnation d’un mort qui revient hanter les vivants. On peut dire du jeune homme, qui n’a plus que sa mère, qu’il est un mort au sens figuré qui revient hanter son bourreau. Il a perdu ses proches et a subi de telles souffrances que la question de vivre se pose pour lui. En même temps, il fait partie d’une organisation secrète qui débusque les criminels de guerre. Il traque un dénommé Harfaz (Tawfik Barhom) qui était tortionnaire à Saidnaya. Sans avoir toutes les preuves, il est certain qu’il a été victime de cet homme qui étudie à l’université de Strasbourg sous un nom différent. Un dilemme se pose comme à ses semblables. Doit-il faire le deuil de son pays et son ancienne vie, retrouver une compagne et peut-être une nouvelle famille ? Doit-il renoncer à sa quête de justice ? Doit-il au contraire revivre indéfiniment le martyr passé et essayer de retrouver ses bourreaux pour obtenir réparation ?

Le récit est double. D’une part, c’est la vie d’un réfugié traumatisé qui nous est contée, avec ses souffrances psychologiques, son lot de démarches administratives, de relations avec la communauté de compatriotes, d’appels avec sa mère restée au Liban. D’autre part, Hamid suit et espionne le supposé Harfaz, avec l’aide ponctuelle d’une certaine Nina (Julia Franz Richter). Il y a ici un petit côté Marathon Man (Schlesinger) où le héros amène le spectateur à approcher la figure du Mal. Chacune des deux dimensions du récit se nourrit de l’autre. Le drame de l’exil et de la souffrance psychique se nourrit du récit « d’espionnage ». Les artifices de réalisation servent les deux faces du récit. Il y a beaucoup de séquences de filature et un jeu constant de champ-contrechamp, typique du film d’espionnage. En même temps, le scénario ne précipite pas les choses et garde le mystère sur un certain nombre d’éléments du thriller. Les membres de l’organisation ne sont que des voix restées en Allemagne et on mettra du temps à savoir qui est cette Nina qui ne ressemble pas à une Syrienne. En outre, le travail du son, remarquable, a créé une enveloppe d’angoisse autour d’Hamid. Les voix dans sa tête, échos de son passé sont amplifiés par les témoignages de victimes obtenus de son organisation. Encore prisonnier à l’intérieur, Hamid n'a d’autre choix pour se libérer et trouver la vérité que d’approcher son présumé bourreau. On ne dévoilera pas grand-chose en révélant qu’Hamid et Harfaz finissent par se rencontrer, ce qui crée un moment très intense, balançant entre rapprochement réciproque et répulsion. L’âge, le niveau d’étude, l’exil en France rapprochent les deux hommes qui auraient pu être amis dans une autre vie. La caméra est attentive à leurs corps, proches ne serait-ce que parce que la guerre civile les a marqué tous deux de stigmates physiques. Même s’il raconte les atrocités commises, le récit n’est jamais binaire ni schématique dans son appréhension des personnages.

Les fantômes est le portrait d’une figure qu’on ne voit pas beaucoup au cinéma : le réfugié de guerre venant du « Sud », portant le poids d’une tragédie lointaine. On quitte la statistique (« X millions de réfugiés syriens en Europe ») pour saisir la vie brisée d’un être humain, grâce notamment à l'interprétation bouleversante d'Adam Bessa, découvert ici. Jonathan Millet venant du documentaire, on n’est pas surpris du soin réaliste, du sens du détail et du grand dépouillement de ce film émouvant,  recommandable dans cette période estivale un peu creuse.

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