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Simple comme Sylvain (Monia Chokri)

Si l’amour pouvait être aussi simple que ce Sylvain, beau gars fort avec qui baiser est sublime, la vie serait si belle ! Lorsqu’elle rencontre Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), Sophia (Magalie Lépine Blondeau) a besoin de vivre plus intensément que dans son couple plan-plan avec Xavier (Francis William Rhéaume). Ils n’ont pourtant pas grand-chose en commun. Elle est universitaire, enseignant la philosophie à des adultes et elle fréquente un milieu bourgeois d’intellectuels et d’artistes. Il n’a pas fait d’études supérieures, il est artisan et d’origine populaire. En France on dirait que c’est un beauf. D’ailleurs, le spectateur français comprendra l’accent de Sophia, proche du sien, alors que la langue de Sylvain semble moins élaborée et nécessite des sous-titres. L’opposition est marquée et c’est ce type de schéma archétypal, assez cliché, qui fait souvent de bons films comiques.

Dans son troisième film, Monia Chokri, actrice et réalisatrice, se régale des clichés du film romantique. La forme du film est en elle-même une célébration de ces clichés. Dès lors que Sophia et Sylvain sont plongés dans les délices du sexe et de la romance, le film prend des allures drôles de roman-photo. La musique aux accents acoustiques et planants des années 70, composée par le Français Forever Pavot, laisse les amants s’égayer au ralenti tandis que les oiseaux volent au ciel. Les couleurs de la photographie sont chaudes et sensuelles. La dominante de beige et d’essences de bois donne à l’image un aspect vintage. Avec ces gimmicks de réalisation et son sens de la parodie, Simple comme Sylvain m’a évoqué certaines comédies italiennes qui moquent l’amour et ses illusions. J’ai du mal à croire que Monia Chokri n’ait pas vu Drame de la jalousie d’Ettore Scola ou bien certains films de Lina Wertmüller, Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été par exemple, qui traitent de l'articulation entre sentiments amoureux et rapports sociaux.

Sophia étant professeur de philosophie, elle possède les armes intellectuelles pour définir ce qu’elle ressent. Qu’est-ce que l’amour ? Une aspiration à un être rêvé, idéal et lointain comme dans l’amour platonique ? Une passion et un désir exprimés par le corps comme le conçoit Schopenhauer ? Un sentiment irraisonné qui nous fait aimer quelque chose qui n’a pas vraiment de valeur en soi comme le prétend Spinoza ? La réalisatrice s’amuse à nous perdre entre ces définitions diverses et nous propose un panorama des amours possibles. Si entre Sylvain et Sophia, cela ressemble à du Schopenhauer, ne dérive-t-on pas vers un mélange de Platon et de Spinoza quand il s’agit de la relation entre elle et Xavier ? Il est vrai que Xavier, universitaire comme elle (qui lui offre du Gaston Bachelard !), a peu d’attrait et d’entrain sexuel mais leur complicité intellectuelle n’est pas négligeable. Par ailleurs, les couples établis et âgés comme les parents de Xavier sont un sujet d’étonnement et d’embarras aux yeux de Monia Chokri. L’amour n’est-il pas ce ciment à jamais mystérieux qui tient ensemble deux êtres paumés, parfois pendant plus de cinquante ans ?

Des clichés dans ce film il y en a beaucoup mais le ton et les dialogues sont si amusants que Simple comme Sylvain produit un bon moment. Le scénario joue sur une forme d’attente du spectateur quant à la fin de cette idylle improbable. Quand est-ce que les deux amoureux vont se rendre compte qu’ils ne font pas partie du même monde et que leurs positions sociales, intellectuelles et politiques sont incompatibles ? Ne voient-ils pas que le Canada (comme la France) est une société de classe où les gens ne se mélangent pas ? Dans ces définitions de l’amour que les philosophes ont contribué à créer, il en est une qui est présente à l’esprit du spectateur et qui ne veut pas se manifester (tentative toute personnelle de définition) : « sentiment d’attachement entre deux êtres, constitué et renforcé par leur appartenance à une même position sociale ».

Si l’amour pouvait être aussi simple que Sylvain, il serait débarrassé de tous ces obstacles sociaux qui nous séparent. Ce serait la liberté ! Comme dans les comédies italiennes, on se prend à rêver qu’on ne fait plus partie de classes sociales distinctes et qu’on peut s'aimer librement. Consciente des trop grandes différences sociales dans la société québécoise, Chokri finit par les faire ressortir à la fin de son film, sans doute de manière trop caricaturale, quand elle met en scène face à face les beaufs votant pour des idées proches de Trump et les bobos de gauche progressistes, artistes et LGBT++. Elle exprime du regret devant cette séparation et peut-être devant le racisme social des gens progressistes, de sa propre classe. Une pointe de lucidité triste se dilue dans le comique des clichés. Ce film malin et bien interprété donne envie de voir les autres films de Monia Chokri.

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