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The apprentice (Ali Abbasi)

Après les humains animalisés de Border (2018) puis le tueur psychopathe des nuits de Mashhad (2022), voilà que le cinéaste irano-danois Ali Abbasi évoque une autre figure monstrueuse : Donald Trump ! Le spectateur occidental un peu informé connaît la nature égocentrique, la mégalomanie et le rapport problématique avec la vérité de l’ex et peut-être futur président des Etats-Unis mais sait-il comment tout cela a commencé ? Avant l’homme politique effrayant que le monde connaît, il y a eu le magnat de l’immobilier star de télé-réalité (la fameuse émission The apprentice) mais avant la célébrité, il y a eu un apprenti ambitieux, héritier d’un petit empire new-yorkais et désireux de se faire un nom ou plutôt un prénom autre que celui du méchant paternel, Fred Trump. Voici donc le biopic de celui qui voulait absolument devenir quelqu’un et qui à la veille de l’élection présidentielle hurle au scandale, menace de représailles les distributeurs, le studio et l’équipe du film tant le contenu lui est défavorable. A la fin du film, son personnage le dit en présence du biographe qui va lui écrire son fameux livre « The art of the deal » : il déteste qu’on fouille dans son passé et qu’on fasse de la psychologie à son propos et à celui de sa famille. The apprentice remue justement tout ce que Donald Trump n’a pas envie de voir, la face particulièrement sombre de sa réussite.

Et pourtant, au début du film, il y a ce jeune entrepreneur maladroit interprété par un Sam Stan qui lui donne un côté presque attachant, du moins un peu humain. Ce n’est pas forcément un sale type mais plutôt un ambitieux qui cherche à réaliser un premier gros projet, l’hôtel Commodore à New York. L’entreprise familiale n’est pas en bonne santé ni reluisante puisqu’elle est accusée de faire de la discrimination vis-à-vis des gens de couleur et le jeune Donald cherche l’appui de Roy Cohn (Jeremy Strong), un avocat réactionnaire et sans scrupules, afin qu’il l’aide à obtenir un non-lieu. Le premier tiers du film décrit la relation affectueuse entre les deux hommes au cours de laquelle le jeune Donald apprend de Roy comment devenir un winner. Pour le faire court, le winner est un être agressif et menteur au comportement de prédateur, qui gagne toujours même quand il perd et qui n’hésite jamais à employer des moyens malhonnêtes pour arriver à ses fins. Jérémy Strong incarne en Roy Cohn un type tordu qui s’est créé un personnage et apprend à Trump à en devenir un aussi. Gay, cultivé raffiné, amateur d’éphèbes blonds, il est aussi un héritier assumé des années Nixon : réactionnaire, méchant, tricheur. Il apprend au jeune entrepreneur que la fin justifie toujours les moyens. Le film ne se résume pas qu’à un brillant duo d’acteurs. Derrière la reconstitution minutieuse des décors, des costumes, de la bande-son d’époque et des images télévisées, il y a le projet de reconstituer une époque de crise morale pour l’Amérique qui a profondément marqué le futur président. New York est sale et dangereuse, la pauvreté a explosé, les élus sont corrompus mais bientôt les républicains vont prendre leur revanche, les entreprises vont être favorisées et l’argent va couler à flot. Il y a de la revanche ou du cynisme dans l’air, même Andy Warhol le dit : l’important c’est de faire du fric. Plus que de Roy Cohn, Trump est l’héritier moral de ces années 70 qui voient l’honnêteté et la décence attaquées de toutes parts avant de s’effondrer.

Ayant digéré les leçons du maître et mettant de côté les notions d’amour, de pitié, de solidarité y compris pour son propre frère aîné, Trump n’a plus qu’à incarner les années Reagan, les années 80, celles de la vulgarité qui ne se cache pas, de la cupidité outrancière et de l’égo surdimensionné. Il y a un mouvement irrésistible dans The apprentice, un jeu de vases communicants entre l’immoralité incarnée par Cohn et l’amoralité soudain débridée de Trump. Alors que Cohn est un être plus affectif et fragile qu’il n’en a l’air, un être moral finalement, Donald Trump se dépouille de tout attachement envers les êtres qui l’entourent, pour devenir un véritable sociopathe, tel le Patrick Bateman d’American Psycho, roman féroce de Brett Easton Ellis sur les années 80. Sam Stan parvient de manière subtile à montrer cette transformation morale dans le corps même de Trump, dans ce visage qui se boursoufle légèrement, dans ses mimiques connues et par cette coiffure qui passe du volume ou à l’aplatissement artificiel. On voit le monstre se créer et le film va très loin dans le portrait glaçant du milliardaire. Il n’a plus aucune affection pour qui que ce soit à part lui-même. Il y a chez lui un dégoût viscéral pour les faibles, les malades, les losers. Même Ivana Trump (Maria Bakalova), personnage insolent qui apporte une touche de comédie et qui lui ressemble tant, est transformée en accessoire aux seins refaits, qu’il finit par détester et par violer. Peut-être est-ce parce qu’elle lui fait concurrence, qu’elle est trop intelligente ? Dopé par les pilules, il veut être au centre de tout, apposer son nom pourtant : Trump Tower, Trump Plazza, Trump Castle etc.

A ce point féroce, le film court le risque évident d’être accusé lui-même de jouer avec les faits, de mentir sur certains points – Ivana, divorcée en 1990, a démentie avoir été violée – et de jouer le jeu des Démocrates mais au-delà de quelques détails sûrement contestables, le portrait est au final extrêmement cruel. Quel genre d’homme ai-je enfanté ? semble se dire le Roy Cohn malade de la fin du film. Depuis qu’il est riche et célèbre, Trump s’est toujours vu comme un être exceptionnel. Or The apprentice, c’est un peu Dallas ou Dynasty version Trump, c’est un écrin de soap opera, idéal pour la mise à nu d’un homme mesquin, inculte et extrêmement vulgaire.

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