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Tout comme La colère d’un homme patient (Raul Arevalo) plus tôt dans l’année, Que dios nos perdone de Rodrigo Sorogoyen est un film de genre sans grande originalité. Le premier est un film de vengeance, celui-ci est un thriller où deux flics poursuivent un serial killer. Mais ces deux productions espagnoles ont pour elles l’efficacité dramatique et un ancrage naturaliste bien construit dans l’Espagne contemporaine. On pourra donc les revoir en VOD avec d’autant plus de plaisir qu’elles partagent en Antonio de la Torre un très bon acteur.
C’est parce qu’on ne connaît rien du nationalisme corse et de son histoire récente qu’on se précipite en salle pour voir Une vie violente de Thierry de Peretti. Sur une décennie, le film raconte le parcours militant et violent de Stéphane (Jean Michelangeli), jeune bourgeois qui voue sa vie à la cause nationaliste. Il y a une double promesse sur fond de saga criminelle : documenter des événements récents et une histoire particulière très mal connue, celle de la Corse, comprendre et s’identifier à une jeunesse proche de nous qui a choisi un parcours radical. Malgré son ambition et sa conclusion plutôt réussie, Une vie violente est hélas une déception.
Il ressortait du brillant Interstellar de Christopher Nolan que toute aventure humaine porte en elle son échec et que les réussites tiennent à pas grand-chose. Je me souviens de la première partie du film, du sentiment de déroute et d’incertitude qui entourait le projet de rejoindre un nouveau monde alors que la terre agonisait sous les catastrophes écologiques. L’espoir mettait du temps à se dessiner. C’est un sentiment assez proche qui saisit le spectateur de Dunkerque, tellement habitué aux grands spectacles qui se déroulent presque sans accroc. Le film raconte un épisode terrible du début de la Seconde Guerre Mondiale : l’encerclement par l’armée du Reich des armées françaises et britanniques dans la « poche » de Dunkerque, soit 400,000 hommes piégés attendant sur la plage et dans la ville, et l’évacuation miraculeuse des trois quarts d’entre eux grâce à l’aide d’embarcations venues d’Angleterre. C’est vraisemblablement grâce à cette évacuation que la Grande Bretagne a pu continuer la guerre et contribuer à la défaite de l’Allemagne. C’est donc un moment très emportant du conflit. Christopher Nolan, qui a écrit le scénario, nous fait sentir immédiatement la débâcle des troupes britanniques. Quelques cartons explicatifs s’effacent brutalement sur une patrouille anglaise essayant de gagner la plage sous les tirs. Se dispensant de présenter et de développer ses personnages, Nolan fait le choix d’un récit collectif autour de la survie, filmé à hauteur de soldat.
“We thought we could just roll and tumble, live from song to song, kiss to kiss. “ (Nous pensions que nous pouvions dériver, vivre d’une chanson à l’autre, d’un baiser à l’autre). Song to song de Terrence Malick est tout entier contenu dans ces pensées de Faye (Rooney Mara). Le film vacille entre l’extase amoureuse, ce fameux « sentiment océanique » et la souffrance intérieure de ses personnages. Ils aspirent à une vie éternellement insouciante mais ils sont soumis au chaos des sentiments et à leurs propres insuffisances. La forme liquide du film imprime donc un rythme de flux et de reflux du bonheur. La caméra tangue et le montage crée un torrent continu d’images et d’impressions. Pour apprécier à minima le film, le spectateur doit se laisser submerger par le flot lyrique des voix intérieures. Mais l’effort est pénible car ce style torrentiel est appuyé et étouffant.
Comme beaucoup j’ai étudié Une vie de Maupassant au lycée, pour le bac français. Comme beaucoup j’ai été refroidi par le pessimisme du roman et par la fatalité qui pèse sur l’ « héroïne » Jeanne. « Mais Maupassant ça a toujours été sombre ! » me disait un proche. Quand on y pense, le disciple de Flaubert a une vision noire de l’humanité et ce qu’il raconte dans Bel Ami ou Pierre et Jean est in fine aussi triste que dans Une vie. Il était donc tout naturel que Stéphane Brizé, auteur du joyeux et sautillant La loi du marché (souvenez-vous : Vincent Lindon en chômeur), s’empare du destin désespéré de Jeanne pour nous livrer un nouveau film plombant au formalisme appuyé. C’est en tout cas le sentiment désagréable qu’on a quand apparaît le cadre carré enfermant les personnages. Ils sont captés de profil, dans des situations sociales filmées froidement.
Animés d’une sympathie réciproque et d’un désir de travailler ensemble, la cinéaste Agnès Varda et l’artiste visuel JR ont décidé d’arpenter les routes de France. Leur feuille de route est minimale : rencontrer des gens « normaux » (des travailleurs), tirer leur portrait, raconter quelque chose par l’image. L’envie des deux artistes est sympathique, leur amitié sincère et la trame du film est légère. En tout cas, JR et Agnès Varda en artistes malins, nous font penser que tout cela est improvisé, organisé au dernier moment et que les choses s’enchaînent par associations d’idées.
L’œil et l’imagination
Sur une musique de M, ils prennent la camionnette photographique de JR, s’arrêtent dans un village donné, rencontrent des gens, ont des idées, les mettent en pratique. A un moment du film, Varda indique que leurs projets visuels n'ont d'autre but que d'apporter du bonheur aux gens. Exemple: ils collent le visage d’une des dernières habitantes d’un coron pour donner une incarnation à ce lieu chargé de l’histoire des mineurs. Ils le font aussi pour rendre hommage à cette dame qui ne veut pas quitter son quartier. Peut-on résumer Visages villages à un enchaînement d’idées visuelles généreuses ? Non, il y a autre chose derrière la démarche sympathique mais un peu superficielle des deux artistes. Ce ne sont pas les sujets qu’ils exploitent qui sont intéressants - en tout cas ils ne les approfondissent pas - mais plutôt ce qu’ils disent d’eux-mêmes. Varda et JR se mettent en scène et nous donnent à voir une démarche artistique fondée sur le regard. Visage villages fonctionne à l’imagination et aux associations d’idées. Une carte postale révèle le passé d’un lieu et donne envie de lui rendre hommage. Dans un village du midi, la photographie d’un couple de paysans du début du siècle débouche sur le portrait géant d’une serveuse. Le port du Havre se transforme en monument visuel à la gloire des dockers. L’œil et l’imagination travaillent ensemble. Varda et JR célèbrent le pouvoir évocateur et émotionnel de l’image. C’est un couple dans lequel la plus âgée transmet quelque chose au plus jeune : l’amour des artistes novateurs (Godard, Cartier-Bresson), le désir constant d’inventer et d’expérimenter.
Agnès Varda a 88 ans et souffre des yeux qui reçoivent régulièrement des piqûres. Elle a toujours l’esprit vif et JR, jeune homme de 33 ans, est un stimulant à sa créativité. Le photographe à lunettes noires a le côté hype et insouciant de la jeunesse. Avec l’âge, la réalisatrice pense de plus en plus au passé et à la mort. Quand elle évoque son ami Jean-Luc Godard, on perçoit les souvenirs, les regrets, sans doute la nostalgie d’une époque heureuse et créative. Derrière l’apparence légère du documentaire, où toutes les idées ne sont pas grandioses (les cornes de chèvre), il y a une pulsion de vie contrant le travail inexorable du temps. Visages Villages est un modeste objet dans la forme, beaucoup plus profond qu’il n’en a l’air.