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Cinéclub : Un vrai crime d’amour (Luigi Comencini)

Une romance prolétaire qui se transforme en mélodrame. Peut-être que cette ébauche de résumé n’est pas tentante à propos d’Un vrai crime d’amour mais précisons qu’il s’agit d’un film de Luigi Comencini datant de 1974 et qu’il vaut largement la peine d’être vu. Quand on évoque Comencini, on cite L’argent de la vieille (1976), excellente comédie avec Alberto Sordi, Casanova un adolescent à Venise (1969), tiré des mémoires de Casanova ou encore L’Incompris (1966), considéré comme un modèle de mélodrame. Sa riche filmographie se caractérise par son éclectisme, une œuvre comme Un vrai crime d’amour en est la preuve.

Il s’agit de l’idylle entre Nullo Bronzi (Giuliano Gemma) et de Carmela Santoro (Stefania Sandrelli), qui travaillent tous deux dans la même usine de pièces métalliques. L’un est issu d’une famille d’ouvriers anarchistes lombards, l’autre est une immigrée sicilienne, dont la famille catholique vit dans un faubourg misérable de Milan. La séparation culturelle entre les deux est un trait essentiel du scénario. Les italiens du Sud, dits « terroni » (traduire par bouseux), notamment les siciliens, font alors figure d’étrangers pour les italiens du Nord. Ils sont victimes de mépris et de racisme y compris par leurs camarades ouvriers, ce que dénonce le film. Même si Nullo et Carmela s’aiment sincèrement et partagent les mêmes conditions de travail, leur vie est structurée par cette différence d’origine et par les préjugés qu’elle engendre de chaque côté. L’impossible bonheur de la classe ouvrière me paraît être le sujet central du film. Ils s’aiment mais tout concourt à leur malheur et alimente le mélodrame. Ils sont victimes à la fois de leur position sociale qui entraîne des conditions de vie dégradées et des préjugés culturels qui fragmentent la classe ouvrière. On verra tout de même que malgré les motifs de désespoir qui imprègnent le film, Comencini est parvenu à n’être ni plombant ni monocorde.

L’aspect formel le plus frappant du film est sa photographie grise et excessivement triste en extérieur. Le ciel sans soleil de Lombardie est constamment brumeux et humide, dominant des paysages moches d’usines, de hangars, de routes et de faubourgs bétonnés. On se situe dans les grandes banlieues ouvrières, polluées par les fumées et particules d’usines proches. La pollution, subie sur le lieu de travail et en dehors, est un thème majeur du film. Peut-être faut-il sortir de la ville, aller à la campagne pour avoir un bon air et profiter des joies de la vie champêtre ? Une séquence de promenade nous montre que cela n’a rien d’évident, qu’une rivière où on se baignait enfant peut se transformer en un canal fétide. Sans décrire ce moment en détail, il m’a remémoré le passage d’une autre romance ouvrière, Drame de la jalousie d’Ettore Scola où les personnages joués par Marcello Mastroianni et Monica Vitti se baladent en amoureux sur une plage transformée en décharge d’ordures ! Sans doute est-ce un motif qui revient beaucoup dans le cinéma italien : où qu’ils aillent, les pauvres sont exposés à la saleté, à la pollution et à la laideur. Comencini utilise beaucoup les mouvements de zoom pour montrer les situations dans toute leur crudité. Nullo et Carmela s’embrassent en gros plan, il dézoome et on les voit adossés à un mur crasseux, au milieu d’un faubourg grisâtre.

La triste froideur du dehors ne fait pas pour autant de ce Delitto d’amore (titre original) un film déprimant. Les scènes d’intérieur peuvent avoir des colorations chaudes. Celles qui se déroulent dans les vestiaires des ouvriers, hommes et femmes, ont même une tonalité comique. C’est le moment où les gens plaisantent, colportent des ragots, parlent abondamment de sexe et étalent leurs préjugés. Nullo entend les clichés sur les femmes méridionales, comprend de ses camarades ouvriers que c’est toujours bien pour un homme de corriger sa fiancée. Le scénario n’hésite pas à pointer sans adopter un ton moralisateur tout ce qui empêche les ouvriers de progresser, comme leurs préjugés sexistes et racistes. Un vrai crime d’amour parvient à se montrer léger grâce à la prestation de Stefania Sandrelli, actrice de référence de l’âge d’or du cinéma italien (Divorce à l’italienne, Séduite et abandonnée, Nous nous sommes tant aimés…). Elle incarne en Carmela Santoro une femme façonnée par la culture patriarcale sicilienne. Ayant intériorisé les interdits et les valeurs traditionnelles de sa culture, elle concourt à son propre malheur en ne voulant pas s’en libérer. Terrorisée par la réaction de sa famille, surveillée par un frère arriéré (Brizio Montinaro) qui pense qu’une femme doit connaître un seul homme dans toute sa vie, elle passe son temps à empêcher la réalisation de son amour avec Nullo. Changeante dans ses réactions, un peu femme enfant, elle est très touchante face à un Giuliano Gemma qui essaie de la comprendre. Le couple pudique et sans malice qu’ils forment a un côté enfantin, hélas exposé au malheur. Disons-le, le film s’achemine vers une fin tragique comme semble l’illustrer la complainte déchirante chantée par Rosa Balistreri (à écouter ici ).

Je cherche l’équivalent de ce type de films dans le cinéma français de la même époque, sans trouver. L’écrivain Ugo Pirro qui a écrit le scénario est aussi celui de La classe ouvrière va au paradis (1971). Dans les années 70 donc, des cinéastes et scénaristes italiens, communistes pour la plupart, racontaient des histoires d’ouvriers, sans embellir leurs personnages mais en réussissant à décrire avec justesse des réalités crues d’exploitation et de lutte des classes. A la fin, ce qui empêchait l’ouvrier d’être heureux et épanoui, c’était la cupidité des patrons, c’étaient ces maudites usines, empoisonnant les corps et abrutissant les esprits, donnant des idées de violence à certains. Un vrai crime d’amour nous dit que dans ces conditions, y compris l’amour revenait à une forme d’utopie.

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