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Making-of (Cédric Kahn)

C’est la bande-annonce qui m’a donné envie de voir Making-of. Après le peu aimable (pour moi) Procès Goldman, que Cédric Khan puisse faire une comédie sur un tournage qui tourne à la catastrophe, l’idée m’enthousiasmait. Encore un film sur le cinéma et une nouvelle vision de ce métier. Des Ensorcelés de Minelli jusqu’au film de Truffaut, du Redoutable (Godard par Hazanavicius) jusqu’à Il était une fois à Hollywood de Tarantino, je suis rarement déçu et me déclare bon public du genre. Voir la critique récente du Livre des solutions de Gondry, souvent vilipendé mais qui m’a amusé malgré ses défauts. Attention toutefois, même s’il est assez drôle et que Jonathan Cohen en est un des premiers rôles, Making-of n’est pas complètement une comédie. C’est une œuvre critique, qui étale sans complaisance les contradictions du milieu du cinéma.

Dans la séquence d’ouverture, des ouvriers se battent avec des vigiles pour reprendre possession de leur usine. Evénement classique dans la France d’aujourd’hui : dans une région sinistrée, des prolétaires luttent pour garder leur outil de travail. On découvre qu’il s’agit d’un film, dont les premiers rôles sont interprétés par Jonathan Cohen et Souheila Yacoub et dont le réalisateur, Simon, artiste et névrosé, est joué par Denis Podalydès. Vu de cinéphile, ça ressemble beaucoup à ce qu’a pu produire Stéphane Brizé, ces films âpres et militants sur le monde du travail, avec Vincent Lindon, comme La loi du marché, En guerre ou Un autre monde. Le fait que Jonathan Cohen, acteur star de la comédie française, incarne un syndicaliste en lutte et que dans un rôle pourtant sérieux, il fasse éclater de rires les gens présents dans la salle (oui beaucoup s’esclaffaient même quand c’était censé être dramatique), pointe immédiatement les contradictions flagrantes de l’industrie du cinéma, y compris quand elle produit des œuvres engagées. C’est vraiment cet aspect dialectique qui intéresse Cédric Khan et qui nourrit constamment le film. On peut évidemment s’amuser du tournage qui déraille parce que le premier rôle (Cohen, très drôle) tire constamment la couverture à lui tout en jouant comme une patate, parce que Simon s’appuie sur un producteur filou (Xavier Beauvois, hilarant également) qui n’arrive pas à boucler le financement. Mais l’intérêt du film réside surtout dans les paradoxes béants qu’il ne cesse de pointer.

Le cinéma, branche de l’industrie du divertissement, est capable de produire des œuvres « de gauche », critiques du capitalisme. Parfois il va jusqu’à employer des non-professionnels, comme ici les ouvriers du coin, dont c’est la véritable histoire. Mais pour obtenir des financements et espérer attirer des spectateurs, il est contraint à employer des stars et à accepter des compromis aliénants. Ce qui précipite la crise du tournage et le naufrage de son réalisateur est cette obligation à devoir tourner une fin optimiste « pour que la secrétaire qui va au cinéma à sa pause déjeuner puisse oublier ses soucis et le conseiller à ses copines » (dixit les jeunes producteurs têtes à claque). Cédric Kahn évoque une forme de prostitution aux financements, qui aboutit le plus souvent à précariser les équipes techniques, à faire qu’on travaille gratuitement, hors du droit du travail, « pour l’Art » ! Pouvant se revendiquer militant, le cinéma se vautre souvent dans les pires pratiques du capitalisme.

L’autre paradoxe du cinéma est que c’est une aventure collective, un ensemble de métiers qui fonctionnent ensemble mais de manière complètement inégalitaire. Le film est émaillé d’observations sur cette inégalité ancrée dans les habitudes : aussi largué qu’il soit, le réalisateur reste une figure de créateur sacrée et respectée, il peut prendre en grippe un membre de l’équipe jusqu’à la fin du tournage, les figurants et l’équipe technique n’ont pas le droit à la même cantine, on peut traiter les gens comme de la merde sans s’en émouvoir. Sans aucune aigreur et en utilisant des ressorts comiques, Making-of décrit le plateau de tournage comme une usine, avec ses chefs, ses financiers et ses ouvriers, qui à la fin doit se démanteler. On perçoit le parallèle entre l’usine qui ferme et le plateau entièrement démonté du dernier plan.

Pétri de contradictions, le petit milieu du cinéma n’échappe pas aux bassesses ordinaires. Et pourtant c’est une machine à rêve inépuisable comme l’illustre le personnage de Joseph. Joué avec conviction par Stefan Crepon, le jeune pizzaiolo plein d’espoirs rêve de faire du cinéma et de montrer son scénario. Khan fait de ce naïf provincial, engagé comme figurant puis filmant le making-of, le témoin privilégié des rêves et des misères engendrées par le cinéma. Il continue à exister parce qu’il y a des Joseph qui rêvent de mettre en film leurs propres histoires, qui tombent amoureux des actrices et veulent monter à Paris. Il y a un renouvellement entre des jeunes qui arrivent souvent par chance et des vieux qui s’épuisent comme Simon. Making-of met en scène un passage de relais constant entre générations, entretenu par des rêves à la fois individualistes et idéalistes. A côté de Joseph, Nadia, excellement jouée par Souheila Yacoub représente un aspect plus sincère et naïf du métier, celui de la jeune comédienne qui croit au collectif et encourage le novice à intégrer dans son making-of ceux qu’on ne voit jamais et qui sont aussi intéressants que le cinéaste : la cantinière, le machiniste, les costumières etc.

C’est donc une belle de troupe de comédiens (citons aussi Emmanuelle Bercot et Valérie Donzelli) qui tout en faisant rire, permet à Cédric Kahn de dévoiler les coulisses d’un 7ème Art tiraillé entre l’engagement et le divertissement, le prestige et la franche précarité. Un agréable moment que ce film drôle et politique.

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