John Huston
Dunkerque (Christopher Nolan)
Il ressortait du brillant Interstellar de Christopher Nolan que toute aventure humaine porte en elle son échec et que les réussites tiennent à pas grand-chose. Je me souviens de la première partie du film, du sentiment de déroute et d’incertitude qui entourait le projet de rejoindre un nouveau monde alors que la terre agonisait sous les catastrophes écologiques. L’espoir mettait du temps à se dessiner. C’est un sentiment assez proche qui saisit le spectateur de Dunkerque, tellement habitué aux grands spectacles qui se déroulent presque sans accroc. Le film raconte un épisode terrible du début de la Seconde Guerre Mondiale : l’encerclement par l’armée du Reich des armées françaises et britanniques dans la « poche » de Dunkerque, soit 400,000 hommes piégés attendant sur la plage et dans la ville, et l’évacuation miraculeuse des trois quarts d’entre eux grâce à l’aide d’embarcations venues d’Angleterre. C’est vraisemblablement grâce à cette évacuation que la Grande Bretagne a pu continuer la guerre et contribuer à la défaite de l’Allemagne. C’est donc un moment très emportant du conflit. Christopher Nolan, qui a écrit le scénario, nous fait sentir immédiatement la débâcle des troupes britanniques. Quelques cartons explicatifs s’effacent brutalement sur une patrouille anglaise essayant de gagner la plage sous les tirs. Se dispensant de présenter et de développer ses personnages, Nolan fait le choix d’un récit collectif autour de la survie, filmé à hauteur de soldat.
Efficacité et tension privilégiées
La grande force du film, mais on verra que c’est aussi une faiblesse, est de privilégier l’efficacité et la tension de l’événement, de nous faire patauger comme les soldats anglais dans une déroute peu héroïque, pour in fine nous faire entrevoir un peu d’espoir. C’est le fameux caractère « immersif », devenu un gage de qualité, et que Nolan sait très bien donner à son récit. On se croit vraiment au milieu de la déroute que le scénario nous raconte minutieusement. Il y a ce montage éclaté en temporalités différentes, qui distribue de façon équilibrée les points de vue des combattants britanniques, sur terre (la jetée), sur la mer, dans les navires qui tentent de quitter la ville ou dans les embarcations qui portent secours aux troupes, et dans les airs où se joue un duel entre aviations anglaises (RAF) et allemandes (lutfwaffe). Ce montage nerveux et oppressant permet de montrer ces menues actions, modestes, parfois réussies, surtout ratées, qui font de Dunkerque un épisode unique en son genre. Une défaite cuisante qui se transforme petit à petit en minuscule réussite qui va créer l’espoir pour la suite de la guerre. Il y a aussi cette bande son stridente et angoissante de Hans Zimmer qui illustre parfaitement le stress des soldats encerclés et en fuite. L’atmosphère sonore est conjuguée à des images choc, dignes de films catastrophes: la destruction d’un destroyer par exemple. Nous sommes dans un grand spectacle qui sait créer de multiples suspenses autour de l’enfermement, comme celui de cet aviateur qui tente de sortir de son cockpit alors que son avion coule.
Absence de personnages
Dunkerque est un efficace exercice de filmage, basé sur des choix scénaristiques très tranchés. En effet, on ne montre jamais l’ennemi pas plus qu’on ne montre les forces décisionnelles derrière l’action. Pas de vue sur les états-majors ayant fait des choix lourds de conséquences. On aurait aimé qu’aux micro-actions héroïques sur le terrain s’ajoute celles qui ont été prises ailleurs et qui ont permis de sauver l’armée britannique. Il est dommage que le film ne prenne pour lui cette complexité qui l’aurait enrichi. Autre choix dominant : l’absence de réels personnages, que je trouve beaucoup plus regrettable. La caractérisation des soldats dans Il faut sauver le soldat Ryan ne nuisait pas du tout à la grande efficacité du film de Spielberg. Dans Dunkerque on a l’impression de voir des pions déplacés d’une catastrophe à l’autre. On ne saura rien de Tommy (Fion Whitehead) ou pas grand-chose de Gibson (Aneurin Barnard) et de tous ces hommes qui ont subi l’événement. Nolan prend un peu plus de temps pour nous embarquer avec M. Dawson (Mark Rylance), un ancien combattant traversant avec son fils la Manche avec son bateau pour récupérer des soldats. Mais ces personnages-là permettent surtout d’exalter l’héroïsme et le sacrifice du peuple britannique. Néanmoins se dessine timidement avec eux un point de vue presque eastwoodien sur la guerre : son injustice puisqu’elle anéantit les plus jeunes, qu’elle rend les survivants fous mais il souligne aussi le désintéressement et le sacrifice qu’elle contribue à faire naître. On contemple donc un grand récit épique et collectif mais au final un peu glaçant.
Je prends Dunkerque comme la preuve que Christopher Nolan sait épurer son cinéma et nous livrer des œuvres moins alambiquées qu’Inception par exemple. Il est toutefois dommage que dans ce souci de virtuosité parfaitement accompli il manque un peu d’épaisseur humaine qui emporte le film du côté du chef-d’œuvre qu’il aurait pu être.