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Le livre des solutions (Michel Gondry)

Sommé de s’expliquer par son producteur et ses financeurs atterrés devant les premiers extraits de son film, Marc Becker (Pierre Niney) n’a d’autre choix que d’en voler les images pour fuir Paris et terminer le montage dans les Cévennes chez sa tante Denise (François Lebrun). Il emmène avec lui son assistante Sylvia (Frankie Wallach) et sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin). Quelque chose se joue pour Marc loin de la capitale : la préservation de son intégrité artistique mais peut-être davantage, son équilibre personnel rongé par la peur de l’échec et la dépression.

Sur la route, Marc fait allusion à son travail de clippeur et laisse entendre qu’il est suffisamment connu pour ne pas avoir de problèmes matériels. Le livre des solutions est à n’en pas douter un autoportrait de Michel Gondry qui lui-même a beaucoup clippé (Björk, Chemical brothers, The White Stripes…) et est apprécié comme Marc pour ses concepts fantaisistes. On se demande juste quel degré de névrose il partage avec ce cinéaste qui alternant phases de paranoïa et d’exaltation, est l’archétype du maniaco-dépressif. Cette figure de créateur tourmenté, faisant vivre le calvaire à son entourage, est très bien portée par Pierre Niney qui a cette expressivité et cette capacité à incarner des personnages exaltés.

Gondry fait de Becker un astre en perdition qui projette ses idées comme des météorites destructeurs sur les satellites qui l’entourent. Est-il un génie incompris ? Ce n’est pas ce que le réalisateur d’Eternal sunshine semble nous dire. Le cinéaste tel qu’il le conçoit est celui qui crée l’imaginaire vu à l’écran mais surtout invente les protocoles nécessaires à sa fabrication. Le fameux livre des solutions est une réponse aux blocages et aux problèmes qui surviennent pendant toutes les phases de fabrication. C’est un livre de recettes qui se crée en même temps qu’on cuisine. Difficile par essence, le processus mène à l’impasse si le créateur est tout seul et sans soutien. Becker explore sans cesse de nouvelles idées (créer un dessin-animé au milieu du film, fabriquer un camion de montage, composer la musique…), parfois incongrues parfois géniales, mais c’est comme si ses idées servaient aussi à le mettre à distance de son propre film. Hanté par l’échec, pris dans les mouvements contraires qu’il a lui-même créé, le rapprochant ou l’éloignant de la finalisation de son film, il a besoin des autres pour atteindre ses objectifs. Pas de film sans une équipe soudée autour du réalisateur, aussi dingue soit-il.

L’autoportrait n’est-il pas trop complaisant pour une figure de démiurge typiquement masculine ? Après tout, Marc se conduit comme un petit garçon égocentrique et toxique qui sans cesse casse et réclame de nouveaux jouets à sa maman. Comble du stéréotype, il est entouré de femmes qui supportent sa folie et jouent le rôle de mères de substitution. Frankie Wallach, Blanche Gardin et surtout Françoise Lebrun, en tata très tendre, ont ce jeu tout en rondeur et patience qui contraste avec l’interprétation fiévreuse de Niney. Il y aura des froncements de sourcils féministes qui se comprennent mais on peut voir les choses un peu différemment. Si l’insécurité de Marc le mène à la destruction, ce sont les femmes de son entourage y compris sa tante Denise qui sauvent le film. Non seulement le cinéma est un métier de plus en plus féminin mais c’est d’abord un métier collectif. On peut reprocher à un scénario trop occupé par les délires de Marc de ne pas avoir donné à Charlotte et à Sylvia l’occasion de s’exprimer en dehors de sa présence. Mais finalement qui est la personne la plus importante pour terminer le film : le réalisateur effrayé de voir son propre travail ou la cheffe monteuse qui est arrivée au résultat final ?

Alimenté par la profusion créatrice et la névrose de Marc, le film pourra sembler à certains trop mécanique dans son déroulement :  le cinéaste trouve une idée saugrenue / il la réalise / elle fonctionne plus ou moins bien / il s’excuse / ça recommence. Malgré ce mouvement répétitif, en quasi-surrégime, le tout fonctionne car les dialogues sont drôles et les situations surprenantes. L’outrance de Marc est assumée comme principe comique et au moment où on se dit que ça devient répétitif, il y a une idée, un bout de dialogue brillant ou une séquence qui vous remettent dedans. Ce cheminement foutraque qu’on a vu dans d’autres films sur le cinéma comme La nuit américaine de Truffaut, n’est pas nouveau mais Gondry apporte sa propre pierre au genre. On a beau utiliser des protocoles, trouver des solutions, nous dit-il, un film est toujours le résultat d’accidents heureux et malheureux.

Avec cet autoportrait, le cinéaste ne grandit pas sa statue, ne crée pas de piédestal. Tyrannique, plein d’ingratitude et à la limite de la perversité, il sait qu’en mettant en avant la figure aimante de Denise, joliment jouée par François Lebrun, ou celle de la mystérieuse Gabrielle (Camille Rutherford), il rend hommage à ces êtres humains eux-mêmes souffrants mais pleins d’amour, sans qui il ne serait pas ce qu’il est.

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