Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

120 battements par minute (Campillo)

Etant né un peu avant que l’épidémie de SIDA ne se fasse dramatiquement connaître et s’étende, j’ai connu Act Up par l’intermédiaire de leurs actions. C’était toujours présenté dans les médias de façon expéditive, sous l’angle choquant, agressif, frontal. C’était de l’activisme minoritaire et ça ne se voulait pas consensuel. Maintenant le sujet, à tort sans doute, n’effraie plus tellement mais le SIDA c’était des contaminations et des morts en courbe exponentielle, c’était une cause nationale et une menace angoissante pour beaucoup. Act Up, qui existe toujours, c’est donc une partie de l’Histoire, qu’on apprécie ou pas leurs méthodes. Le film de Robin Campillo part de ce collectif-là, nous fait voir son fonctionnement, ses actions et ses dissensions pour glisser progressivement vers une histoire plus intime, plus personnelle. Est-ce que le film mérite les éloges qu’il a reçus depuis Cannes ? Je le pense sans restriction.

Bref retour sur le précédent film de Robin Campillo, Eastern boys, que j’avais classé parmi les meilleurs de 2014 (ici). Cela part d’un sujet d’actualité, les migrants de l’Est, jeunes hommes sans identité qu’on croise en Gare du Nord, débouche sur une rencontre homosexuelle tarifée puis prend un tour intime et romanesque. Les personnages quittent leurs enveloppes archétypales, s’incarnent en humains capables d’aimer et de se battre pour leur bonheur. Ce mouvement entre destin collectif et individualité se retrouve avec une puissance plus affirmée et tragique dans 120 battements par minute. Le volet documentaire du film est largement étayé par l’évocation des Réunions Hebdomadaires (RH) et par les actions entreprises pour secouer l’opinion. On observe le fonctionnement collectif, les gestuelles employées, les débats agités. On constate la créativité de ses initiatives et on se dit qu’Act Up a inventé le buzz bien avant les réseaux sociaux, outils dont l’association aurait profité à cette époque s’ils avaient existé. Intérêt documentaire et informatif donc, qui nous ramène à une cause quelque peu occultée aujourd’hui. Avant que la maladie ne devienne un enjeu grand public, il a fallu que les gays l’affrontent et avec d’autres la sortent de son ghetto. On comprend bien les enjeux et tensions liés à l’activisme d’Act Up: comment transformer une cause vue comme minoritaire en enjeu universel ? comment susciter bruyamment l’attention ou l’adhésion sans tomber dans le rejet? faut-il mieux y aller de manière « violente » ou plus consensuelle ? Faisant sienne la culture du débat, le film laisse les questions ouvertes. Les actions sont discutées en réunion et le spectateur n'est pas prié d'adhérer à ce qu'il voit.

Du collectif vers individuel, de la vie vers la mort

Le film n’aurait eu que peu de chair et de corps, s’il n’évoquait les destins individuels de ses membres dont la plupart sont issus d’une minorité peu visible à l’époque (les gays) et en même temps malades du SIDA. Il était indispensable pour comprendre l’objet et l’action de ce collectif d’incarner ses participants. Partir d'une forme de groupuscule activiste et minoritaire vers des visages universels. On voit de jeunes hommes comme Sean (Nahuel Perez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois) s’aimer et affronter la maladie ensemble. D’une façon directe, très premier degré, 120 battements par minute raconte ses personnages avec vitalité. Ils agissent, ils rigolent, ils dansent, ils baisent, ils souffrent. Ils ont un corps. A l’image de l’association qui n’aime pas le blabla, la réalisation ne fait pas dans le détour ou l’allusion pudibonde. Cette histoire n’a pas besoin de fioritures, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas subtile. Il y a comme une pente douce dans le film, du collectif vers l’individuel, mais aussi de la vie vers la mort.

Ici ou là on lui a reproché un rythme mécanique : RH puis action puis débriefe, mais le film n’a rien de monotone. Au fur et à mesure se développent comme des stases intimes, parenthèses qui se créent soudain en pleine réunion, élargissant les interstices du récit documentaire. La parole collective passe au second plan, les visages se rapprochent. On évoque le travail des uns et des autres en dehors de l’association, la vie tout simplement. Campillo met petit à petit le collectif à distance. Le spectaculaire des actions publiques, filmées caméra au poing mais sans grande virtuosité (les gays prides, les manifestations), se dilue dans l’histoire individuelle à portée universelle. Ce que Campillo nous montre de plus spectaculaire et d’émouvant, ce sont les corps qui s’aiment, les corps qui souffrent. Images crues de lésions, de cathéters, de mort. Il est tragique pour des jeunes gens d’être contraints par la maladie à avoir des préoccupations de vieillards (traitements, examens, séjours à l’hôpital). Plus tragique encore de mourir parce qu’on a aimé et satisfait ses désirs.

Refuge d’humanité et de solidarité

Il n’est pas innocent que ce soit Sean (excellent Nahuel Perez Biscayart), très actif dans l’association, qui soit le centre « intime » de cette histoire. Il est jeune, il est drôle et créatif, il devrait avoir tout l’avenir devant lui. En s’opposant à Thibault (Antoine Reinartz), il est une voix dissidente, marginale, contre les tentations médiatiques trop grand public. Il n’oublie pas l’urgence et les objectifs car il est malade. Il sait que le risque pour l’association est de renier ses objectifs premiers, protéger des gens fragiles, pour se perdre dans le spectacle permanent. Le film nous montre qu’on ne peut pas détacher l’association des malades et de la maladie. Ils font corps par nécessité. L’épidémie a créé en Act Up une communauté, une fraternité, critiquable, pesante, sans doute subie parfois mais nécessaire. Thibault que Sean n’aime pas l’exprime en lui disant : « On ne s’aime pas mais on est des amis. » La dernière partie du film est éprouvante. 120 battements par minute est un film dur, poignant, déchirant. La maladie, la peur de mourir, ça n’a rien de beau. Heureusement, dans ce malheur et malgré tout ce qu’on peut reprocher à Act Up – le film ne demande pas d’aimer l’association – il reste un refuge concret de joie, d’humanité et de solidarité pour des gens, parfois très jeunes, qui vont mourir. 

Les commentaires sont fermés.