John Huston
Walter Hill : Southern comfort et… the driver
Ça fait un mois que les sorties cinéma me laissent froid. Depuis le beau Félicité d’Alain Gomis, certains films portés haut par la critique ne sont-ils pas un poil surestimés ? Get out : un Scream amusant sur fond de question raciale, à la fin bâclée. The young lady : filmé avec rigueur, portrait d’une Bovary psychopathe, et après ? Ghost in the shell : belle enveloppe mais complètement insipide… La VOD est donc un bon moyen d’aller voir ailleurs, du côté de « seconds couteaux » du cinéma, habiles à vous transformer trois lignes de scénario en 1H40 de plaisir. Après Wake in fright de Ted Kotcheff, voici Southern comfort de Walter Hill (1981) – Titre français: Sans retour.
La garde nationale de Louisiane organise une manœuvre dans le bayou. La dizaine de gars de la patrouille du capitaine Poole (Peter Coyote) part joyeusement. A l’arrivée, Spencer (Keith Carradine) a prévu quelques amusements. Le quart d’heure d’introduction dans la base de départ, très dialogué, permet de situer les personnages. Ils sont représentatifs de la diversité sociale et raciale du Sud des Etats-Unis. On voit se dessiner les lignes de fracture, entre les agités de la gâchette et les autres, entre gradés et simples soldats, entre blancs et noirs... Le groupe part insouciant dans les marais mais s’embrouille avec des trappeurs cajuns qui le prennent en chasse. La règle dans un milieu hostile est de rester groupés. Or la patrouille est minée par ses divisions et diminue au fur et à mesure de l’intrigue. Southern comfort parvient avec un sens du rythme très affuté à alterner luttes de pouvoir et scènes d’action. L’action se resserre petit à petit sur les personnages de Spencer et d’Hardin (Powers Boothe), décrits comme les plus intelligents.
Piège parfait
Le bayou louisianais est magnifié par la photographie brumeuse d’Andrew Laszlo et par la slide de Ry Cooder, qui en souligne la touffeur abrutissante. C’est le piège parfait pour un film de survie. Comment se sortir d’un milieu qui n’offre ni repère, ni obstacle, ni cavité pour se protéger ? « Ils connaissent le terrain mais nous avons l’entraînement militaire » dit Spencer pour se rassurer. Ce dialogue comme tout le film renvoie à la guerre du Vietnam et à son gâchis. Les incapacités du commandement, les tiraillements de la troupe, la violence gratuite et l’invisibilité de l’adversaire dans la jungle : tout nous renvoie au Vietnam. Qui sont ces cajuns ? Des profils fuyant qui quadrillent le marais, comme les Viêt-Cong la jungle. La patrouille en attrape bien un mais il parle son patois proche du français, auquel ils ne comprennent rien. Le Vietnam, comme un leitmotiv. Ne comprenant pas l’ennemi, on ne voit que la violence comme solution. Le film dépasse son statut d’efficace série B quand Hardin et Spencer débouchent dans un village cajun. Avec son montage percutant et la musique entraînante, le dernier quart d’heure est une conclusion trépidante à cette chasse à l’homme. On voit enfin les visages de ces gens qu’on pensait primaires et menaçants, on découvre leur culture et leur identité. Mais le Vietnam est passé par là, avec son poids d’amertume et de pessimisme. L’homme reste un loup pour l’homme. Sa violence intrinsèque est soulignée par les plans d’animaux dépecés sur laquelle la caméra s'attarde longuement. Seule compte la survie des soldats américains, qui s’obtient par les armes. Bienvenue dans les années Reagan, années de repli militariste.
Nous ne sommes plus dans les années 70 mais le cinéma de Walter Hill en a toutes les qualités : regard sarcastique sur les hommes, sens de la tension et du temps qui s’étire. Ce film sans stars est sans doute l’un des meilleurs du réalisateur de 48 heures.
The driver ?
Que dire de The driver (1978), son film qui a inspiré Drive de Nicholas Winding Refn ? C’est un cran en-dessous de Southern comfort même si c’est bien fichu. Walter Hill, qui a écrit seul le scénario l’a trempé allègrement dans les atmosphères du film noir : les nocturnes de Los Angeles sont fascinants, les poursuites en voitures captivantes. On retrouve grâce aux acteurs le charme "pulp" de films comme les tueurs de Siodmak ou En quatrième vitesse d'Aldrich. Isabelle Adjani en Ava Gardner modernisée entretient le mystère. Bruce Dern en flic peu scrupuleux cabotine à fond. Quant à Ryan O’Neal, il est fade, tant pis. Cet acteur n’est pas fait pour l’action mais plutôt pour endosser des personnages veules comme dans Barry Lyndon (Kubrick) ou Papermoon (Bogdanovich). D’un scénario à l’intrigue tortueuse et avec peu de moyens, Walter Hill fait un film qui tient la route.