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Game of thrones: mais pourquoi ça marche?

Après 7 saisons de Game of Thrones voracement regardées sur deux années, je me suis demandé  pourquoi cette série m’avait autant passionné. 7 saisons passent vite et il y a un tel mille-feuille de personnages et d’intrigues qu’on en oublie beaucoup de choses. Regarder trois épisodes dans la même soirée, voire plus, n’est pas le meilleur moyen de retenir quelque chose. J’écris donc ce texte avec le risque d’oublier des éléments notables dans mon argumentation. Idéalement il aurait fallu revoir les saisons passées. Dans cette réflexion sur le contenu de cette série devenue culte, je vais donc exposer ce qui me plaît et en même temps ce qui me semble en faire le succès.

Fresque épique et guerrière, série politique

A propos de Narcos, j’avais dit qu’à la  base d’une grande série, il y a un grand récit. Celui de Game of Thrones peut être synthétisé très simplement : à l’issue de guerres entre sept familles nobles, qui va récupérer le Trône de Fer ? Game of Thrones est une grande fresque épique et guerrière. Je ne connais pas le livre de George R. R. Martin mais la série TV se focalise sur les menées conflictuelles entre les Targaryen, les Lannister et les Stark qui donnent au projet ses personnages les plus emblématiques : Daenerys Targaryen (Emilia Clarke), Cersei et Jaime Lannister (Lena Headey et Nikolaj Coster-Waldau) et Jon Snow (Kit Harrington) pour les Stark. Il y a à côté de ceux-là une multitude de personnages plus ou moins secondaires dont certains sont fondamentaux comme Tyrion Lannister (Peter Dinklage), nain à la fois traître à sa famille et stratège politique. En même temps que les familles se battent pour conquérir la domination des sept royaumes, un danger se précise au Nord : une mystérieuse armée de morts menace de détruire le monde. Du schéma très simplifié que je donne, on retiendra que Game of thrones est une série politique sur le pouvoir et sa conquête, doublée d’une série fantastique plus métaphysique, sur le combat entre forces de vie et forces du Mal. Les scénaristes ont créé un équilibre entre les deux. Les conflits de pouvoir occupent plus des trois quarts du temps de la série mais il ne pourra y avoir de résolution sans l’affrontement avec l’armée des Morts. Forme de résolution métaphysique sans doute : à quoi bon conquérir un trône temporel si on n’est pas capable de vaincre sur le plan spirituel. Pour pérenniser sa couronne acquise de chère lutte, il faudra aussi vaincre le Mal. Du point de vue politique s’affrontent des visions très verticales du pouvoir. Le peuple et ses révoltes n’ont pas de grande place dans Game of Thrones, c’est un constat. Tout se joue entre maisons rivales autour de deux visions du pouvoir. La vision purement féodale et autocratique des Lannister. On protège d’abord les intérêts de sa maison, de sa descendance et on utilise au mieux sa puissance pour dominer le peuple, par la violence, la menace, l’intérêt. La vision d’une souveraineté éclairée, incarnée par Daenerys Targaryen. On tire son pouvoir de son origine, de sa puissance (les dragons) mais aussi du bien qu’on fait au peuple. Dans un cas, le souverain domine parce qu’il est souverain. Dans l’autre, le souverain domine parce qu’il s'est rendu légitime aux yeux de ses sujets. Dans les deux situations, les leçons de Machiavel sont suivies. Le Prince ne dit pas que l’une des visions est meilleure que l’autre. Le florentin recommande d’étudier le contexte et les usages du peuple qu’on souhaite gouverner afin d’assoir son autorité. Daenerys a beau dire qu’elle veut régner par le Bien, elle s’impose par la force. Comme l’illustrent certains dialogues de la série, il est bon de savoir mentir et manipuler ses ennemis et ses alliés, cela fait partie du bagage royal. L’adhésion du peuple à sa politique peut être nécessaire dans la conquête du pouvoir. Si les Lannister sont déjà en possession de leur fief et rêvent de s’étendre, Daenerys est l’héritière d’une lignée massacrée, et repart de rien. Les moyens ne peuvent donc être identiques. Game of thrones discourt donc à partir d’une vision verticale et cynique du pouvoir dans lequel l’émancipation des humains est aussi bien un moyen qu’une fin lointaine. Cette philosophie du pouvoir est en soi assez peu originale. Le cynisme et la violence de la série résonnent dans l’air du temps, dans notre époque faite de guerres au Moyen-Orient, de contrôle violent des ressources et des populations, de mensonges généralisés alors que de grandes catastrophes nous guettent. Le récit introduit même le thème du fanatisme religieux avec le personnage du Grand Moineau (Jonathan Pryce), un Savonarole imposant l’humiliation aux puissants, érigeant le seul contre-pouvoir dangereux pour les familles régnantes. La série est riche de thèmes actuels développés sur un fond de pessimisme bien dans l’air du temps. Je me faisais la réflexion que Game of thrones est dénué de romances. L’amour n’est à aucun moment un moteur des intrigues. C’est plutôt l’inceste qui apparaît comme substitut puissant, permettant de rester entre soi et de préserver une lignée.

Racoleur mais efficace

La série porte donc une vision sombre de l’humanité qui parle au public d’aujourd’hui. Mais si la saga est aussi célèbre, c’est d’abord parce qu’elle est spectaculaire, utilise d’excellents acteurs et se tient du point de vue narratif. Sa réalisation bénéficie des moyens du cinéma. Les décors sont variés et grandioses – ces paysages nordiques ! Les réalisateurs employés savent filmer aussi bien la guerre que les moments de faible tension. Les acteurs sont pour la plupart d’excellentes découvertes, qui ont dû se régaler à endosser ces rôles de composition. Jouer une reine sanguinaire comme Cersei (Lena Headey) ou un intriguant comme Lord Baelish (Aidan Gillen) sont plus excitants que figurer des bons bourgeois. Il y a en tout cas peu de cabotinage et l’histoire fourmille de personnages ambigus (Arya Stark, Sandor Clegane, Jorah Mormont par exemple) dont on ne sait pas comment ils vont évoluer. Dans les détails de l’intrigue, il y a des rebondissements et des facilités qui font sourire, notamment sur les sauvetages de Jon Snow. Mais sur la conduite générale du récit, sur l’équilibre entre l’intrigue principale et les sous-intrigues, sur la capacité à donner vie à une multitude de personnages dans un monde multiple et cohérent, la série est remarquable. On peut aussi admettre qu’elle possède des ingrédients pas très nobles, racoleurs mais efficaces pour l’excitation primaire du spectateur : une extrême violence, du sexe, de la nudité, du langage cru. Avant de devenir la mère des dragons et de se transformer en souveraine, Daenerys est un corps jeune à la peau laiteuse, aux cheveux blonds purs, érotisé par la mise en scène. On la voit nue entrer dans son bain, servir d’appât pour s’allier le peuple barbare des Dothrakis. Les premières saisons n’hésitent pas à forcer sur la dose pour poivrer le récit. Quant à la violence et la cruauté, elles sont utilisées à dessein pour choquer le spectateur (la mort horrible d’Oberyn Martell) ou pour rehausser le caractère méchant d’un protagoniste, tel le bâtard Ramsay Bolton, grand amateur de tortures.

Jeu de plateau

Cette série est un mélange de différentes esthétiques de la culture occidentale. Elle donne à voir un immense jeu de plateau qui mixe les influences avec facilité. Jetons quelques noms : Tolkien, Shakespeare, Machiavel, les peplums, la Volsunga saga nordique, Les rois maudits - que G R R Martin a cité comme influence. La saga médiévale voisine aussi avec l’exotisme antique : regardant le parcours de Daenerys, je pensais à Salammbô de Flaubert,  à ce goût occidental pour le kitsch des vieilles civilisations. Temples et monuments géants, marchés d’esclaves, arènes de gladiateurs : l’aspirante reine affronte un monde beau et barbare à la fois. Ailleurs, est mis en scène une société moyenâgeuse agitée d’intrigues shakespeariennes alors qu’au-delà du Mur, on croise des géants et des créatures de légende nordique. Mais le médiéval est lui-même contaminé de références à la Renaissance, dans ses décors, ses armures, ses savants et ses religieux. Cette diversité géographique, culturelle et esthétique donne à l’ensemble une ampleur inégalée: le spectateur a l’impression d’assister à une histoire du monde croisant les mythes et les époques. Ici, le primaire cohabite avec le sophistiqué, le racoleur avec le grandiose. Toutefois, on n’échappe pas à une vision occidentale mâtinée de racisme (oui quand même) avec ces peuples du sud barbares comme les cruels Dothrakis ou les Immaculés, esclaves émasculés que la blonde Daenerys libère de ses chaînes. Tout n’est pas subtil et indiscutable, loin de là, dans cette série.

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L’époque contemporaine est à la fusion et au mélange tout azimut des cultures, en même temps qu’elle produit de la régression. Elle fait se côtoyer l’émancipation avec la réaction (religieuse, politique et sociale), les revendications au progrès avec les instincts primaires. Game of thrones, c’est pour moi un peu tout ça : un récit spectaculaire et stimulant, grand patchwork esthétique à la fois intelligent et barbare. C’est une série monstrueuse comme notre monde.

Commentaires

  • Merci pour cet article intéressant. J'ai essayé de débuter cette série, mais je n'ai pas du tout accroché ni compris quelque chose. Maintenant je comprends mieux grâce à ces explications, mais cela me repousse totalement et je ne comprends toujours pas pourquoi elle suscite autant de passion, même si je ne juge personne, chacun ses goûts. Sachant que je déteste tout ce qui est horreur, cette série n'est définitivement pas pour moi, trop de violence.

  • Oui je comprends qu'on puisse rejeter cette série dès les premiers épisodes. Beaucoup de violence crue dedans et des facilités. Mon avis est dans l'article: ça fonctionne comme un jeu de plateau avec plein de décors et de personnages. C'est spectaculaire et il y a de très bons acteurs. Ce que je ne comprends pas, sans doute comme toi, c'est que la presse dite sérieuse nous fasse des tartines sur chaque nouvel épisode. C'est un phénomène culturel, qui échappe à la raison, un peu comme quand Star wars est arrivé, ça parle à l'inconscient collectif car ça manie beaucoup de mythes.

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