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Ciné-club ambulant, voyage en cinéphilie - Page 47

  • Signore & signori: cochons de bourgeois !

    Ces messieurs dames (Signore & signori) de Pietro Germi a été primé à Cannes en 1966 exæquo avec Un homme et une femme de Claude Lelouch. Il paraît que le film italien a été sifflé par le public, qui lui préférait le film français. Je ne me souviens plus du film de Lelouch, ce qui ne dit rien sur sa valeur, mais celui de Pietro Germi est une excellente découverte. Que ceux qui n’ont jamais vu un film de ce réalisateur se précipitent sur Divorce à l’italienne, avec Marcello Mastroianni : c’est l’un des films les plus drôles que le cinéma italien nous ait donné ! Et Ces messieurs dames est presque à ce niveau si ce n’est qu’il lui manque une grande star de l’époque, un Ugo Tognazzi ou un Alberto Sordi mais peu importe.

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    Les bourgeois de la ville

    Au son de la musique de Carlo Rustichelli, la caméra survole la ville de Trévise. L’air de guitare est léger, acidulé, annonçant la couleur comique et satirique du film. La cité du nord de l’Italie est le décor de cette comédie divisée en trois sketches reliés entre eux par les mêmes protagonistes. Ce sont les bourgeois de la ville : Castellan le médecin,  Bisigato l’employé de banque, Gasparini l’homme d’affaire, Bebedetti le chausseur, Scodeller le fils à papa homme d’affaire, Soligo le pharmacien etc. Sans oublier les épouses, les maîtresses et un cortège de personnages parasitaires comme Scarabello le casse pieds ou Don Schiavon le padre. Les personnages sont nombreux et le montage, nerveux, permet de passer d’un groupe à l’autre sans qu’on perde le fil de leurs relations. Tout l’art de Pietro Germi et de son chef opérateur est de rattacher par les raccords et les mouvements de caméra les personnages à la toile que constitue la société bourgeoise de province. Ils arrivent tantôt à capter les mouvements de ce groupe uni par les mêmes vices tantôt à isoler les personnages dans leur médiocrité. Le premier sketch, au ton résolument grotesque, est une introduction à ce monde peu reluisant. J’ai eu pendant la première demi-heure, qui met en scène une soirée entre notables, l’impression d’assister à un jeu de massacre. Le scénario du célèbre duo Age et Scarpelli fait preuve d’une incroyable vacherie pour ses personnages. Bien qu’il y ait une réelle allégresse dans le jeu des comédiens, une impressionnante frénésie théâtrale, je n’aime pas rire jaune trop longtemps et je pensais que le film ne pourrait tenir sur ce premier registre. Arrive le second sketch où le personnage d’Osvaldo Bisigato (Gastone Moschin), simple employé marié à une harpie, décide de conquérir sa liberté en compagnie de la belle Milena (Virna Lisi). Le film ajoute à sa charge vacharde un comique de situation qui lui fait atteindre les hauteurs. On assiste à la tentative désespérée d’un personnage pour se libérer de cette société hypocrite et conformiste. Le scénario accumule en autant de scènes hilarantes les obstacles à l’émancipation d’Osvaldo et Milena. Le troisième sketch arrive et tente le jeu de quilles : ces bons bourgeois vont-ils tomber pour une affaire de détournement de mineurs ?

    Rapports de force

    Le deuxième sketch posait la question : peut-on s’émanciper de cette société hypocrite ? Le troisième va plus loin encore : la justice peut-elle la briser ? Je ne dévoilerai pas les réponses du scénario. Plutôt que de se focaliser sur les vices individuels, Signore & signori prend le parti de décrire les rapports de force au sein de la société italienne de l’époque. A côté de ces messieurs de la bonne société, il y a les femmes, assez peu respectées, sauf si elles ont de l’influence, et le petit peuple : le paysan du coin et sa fille, la caissière de bar, le gendarme sicilien, la tenancière d’hôtel de passe etc. Ils sont à la merci d’une classe qui a tous les leviers pour se protéger, celui de l’Eglise n’étant pas le moindre. A la vue du premier sketch et des nombreuses lettres anonymes qui reviennent dans le film comme un leitmotiv, on se dit qu’une telle société, rongée par la corruption, ne peut pas tenir. Or, l’instinct de survie des notables est beaucoup plus fort que leur désunion. L'amoralité étant répandue dans toutes les couches de la société, ils n’ont pas grand-chose à craindre de l’Etat ou du peuple.

    Comique et lutte des classes

    Quand on veut dérouler une thèse, on a le choix entre la faire réciter par les personnages, voir par un scénario en forme de dissertation - c’est le défaut de beaucoup de films - ou bien la faire dire par la mise en scène, ce qu’a su faire Pietro Germi. Son cinéma se regarde avec grand plaisir parce qu’il  conjugue l’analyse marxiste des rapports sociaux ET le registre comique. Sa palme de 1966 avait été jugée « vulgaire et obscène ». Il fut avisé de rétorquer par une formule diablement pertinente: « Excusez-moi de vous avoir fait rire… »

  • The swimmer: viens plonger dans la piscine

    Le nom de Frank Perry m’était inconnu et après avoir vu The swimmer (1968), je me suis précipité sur IMDB pour découvrir la filmographie de ce réalisateur né en 1930 et ayant fait carrière à partir des années 60 jusqu’en 1992. Une carrière honorable avec certains films bien notés. Rien de célèbre, en France en tout cas, hormis ce très beau Swimmer avec Burt Lancaster, sorti en 1968, et qui mérite cette aura de film culte que j’avais notée ici ou là. Il faut ajouter que Sidney Pollack a terminé le film et notamment l’une de ses scènes les plus dramatiques, mais le projet artistique était bien, selon ce qu’on lit sur Internet, celui de Perry et de son épouse, qui ont adapté une nouvelle de l’écrivain John Cheever.

     

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  • Saint Laurent (Bonello) : sous l’égide de Proust, Huysmans et Wilde

    Les films qui évoquent ouvertement ou vous ramènent inconsciemment à Proust, Huysmans et Oscar Wilde sont choses rares. Saint Laurent (2014) de Bertrand Bonello est de ceux-là. A regrets, je l’avais manqué sur grand écran et la VOD m’a permis de me rattraper. Ces trois noms d’écrivains ne sont pas fortuits : ils ont bâti tous trois des œuvres marqués par une exigence stylistique, une esthétique raffinée et beaucoup d’érudition. Ils sont synonymes à des degrés divers d’esprit dandy et de décadence. Ils étaient des figures homosexuelles (Proust, Wilde) et des êtres réfractaires aux contraintes de la vie quotidienne. Leurs textes sont ouvragés comme des pièces de haute couture. J’en parle parce que ce portrait du grand couturier est travaillé par leur présence et leur influence. Même si Oscar Wilde n’est pas cité nommément, il vient en tête quand on se rappelle sa devise : « On doit être une œuvre d’art ou porter une œuvre d’art ». Les références à Proust et à Huysmans sont revendiquées. Saint Laurent détient un tableau représentant la chambre où l’écrivain de la Recherche s’est reclus à la fin de sa vie. Le couturier collectionne les camets et les antiquités dans son appartement somptueux comme des Esseintes dans A rebours collectionnait les cristaux et les œuvres d’art. Tout est esthétique et fortement référencé dans ce film mais rien n’est gratuit ni bêtement esthétisant. Saint Laurent s’est vécu comme ces artistes et s’est vu comme leur continuateur. Comme eux, il s’est inventé.

    Le mythe Saint Laurent

    A travers ces références littéraires, Bertrand Bonello dépeint Saint Laurent en artiste fin de siècle, inadapté à la vie quotidienne, reclus dans son passé et dans sa psyché tourmentée. Sa mère lui fait remarquer qu’il ne va jamais faire de courses et ne fait jamais rien qui se rapporte à la vie quotidienne, il rétorque qu’il ne voit pas à quoi cela sert. De même, filmé en split screen au bas des escaliers de sa maison de couture, on le voit traverser les défilés et les années tandis que l’actualité défile en parallèle, sur la droite de l’image (Mai 68 etc.). Saint Laurent est dans son temps et complètement en dehors. Bonello a créé un cocon filmique à la mesure d’un personnage qui n’aime que l’Art. Il en devient étouffant et très oppressant car plus le film progresse, plus le couturier s’enferme en lui-même et dans des intérieurs. Il était d’abord oiseau de nuit, croisant avec ses amies mannequins en discothèque pour devenir un véritable zombie, quand il rencontre le dandy Jacques de Bascher (Louis Garrel). Sa vie devient alors la quête désespérante de plaisirs d’un homme malheureux et séparé des autres.  Pour le spectateur, la question est de lever le voile du personnage Saint Laurent et de comprendre de quoi procède la souffrance du personnage. Quelques flashbacks sont distillés comme des indices : que s’est-il passé dans la jeunesse de Saint Laurent ? Pourquoi ne voit-on pas son père ? En quoi a-t-il été traumatisé par la guerre d’Algérie ? Au contraire des biopics américains comme Ray qui ont tendance à tout dévoiler, Saint Laurent reste allusif. Il n’a pas la prétention de dire la vérité et s’il la disait totalement, le mythe ne serait plus beau à voir. Saint Laurent se confesse à un journaliste mais Pierre Bergé (Jérémie Rénier) interdit l’interview. Il y a un mythe (et aussi un business) à protéger. Ce mélange de mystère qui persiste, de liaisons glauques, de décadence ne retire rien au mythe Saint Laurent. Au contraire il le nourrit encore plus et Bonello l’a compris. Il fait de Bergé un représentant de ce mythe au cours d’une scène de négociation commerciale, en rupture avec la tonalité du film, comme un retour à la réalité. Bergé dispose d’un grand artiste. Il s’est donné pour but dans la vie de capitaliser dessus et y a réussi parfaitement. Au milieu d’un monde capitaliste, soumis à l’argent, vit quelqu'un qui se fout de tout sauf de l’Art.

    Visage magnifique et âme très sombre

    N’ayant pas vu Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, je ne peux dire qui incarne le mieux le couturier entre Pierre Niney et Gaspard Ulliel. Ce dernier est tout à fait convaincant. A la beauté physique il ajoute un air d’enfant à qui on passe tout. Saint Laurent peut consoler une couturière fâcheusement tombée enceinte puis la faire congédier, sans aucune compassion, tout en gardant l’amour et l’admiration des autres. Ulliel incarne parfaitement ce personnage à la fois malheureux, cruel et attachant. Comme un moderne Dorian Gray, le couturier présente un visage magnifique mais une âme très sombre. Il me fait penser à Michael Jackson, autre mythe moderne d’un artiste-enfant inadapté, aux mœurs polémiques et aimant les médicaments. On a eu beau fouiller dans la vie du chanteur comme dans une poubelle, le mythe est resté. Jackson est Jackson. Saint Laurent est Saint Laurent. Personne ne leur ressemble. Ils se sont créés tout seuls.

    Le film Saint Laurent est à la hauteur du mythe qu’il décrit. Bertrand Bonello réussit à faire tenir en équilibre la vérité glauque du personnage, son génie et son mystère dans une œuvre à la photo, au décor et aux costumes somptueux sans que l’ensemble n’apparaisse figé – voir les très belles scènes en boîte de nuit - ou crâneur. Mon grand regret cinéphilique de 2014 : ne pas l’avoir vu sur grand écran.

  • Avengers : Age of Ultr(ac)on ?

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    Avengers : Age of Ultron n’a pas vraiment sa place sur ce blog. Déjà je ne me suis pas coltiné toutes les œuvres Marvel en Pléiade donc la genèse de Captain America ou les névroses de Iron Man.... Et puis ce déluge de cinéma numérisé, quand on aime le réalisme un peu cafardeux des années 70, je ne dis pas que ça n’est pas du cinéma, c’est juste un autre cinéma… qui n’est pas ma tasse de thé.

    Des dialogues, plein de dialogues

    Ça commence pendant l’assaut par les Avengers d’une forteresse en Sokovie, un pays imaginaire entre la Roumanie et l’Ukraine et c’est du gros badaboum en forêt, comme un shoot them up et là déjà on voit les limites du numérique : c’est impressionnant ça part dans tous les sens mais cette bouillie d’images est tellement peu réaliste que c’en est emmerdant, les soldats et les chars sont juste là pour se faire dégommer. Nos héros, Iron Man, Captain America, Thor, Hulk, Black widow et Hawkeye, défoncent leurs ennemis à tout va. Ils déboulent chez Strucker (qui ? j’ai loupé le premier Avengers donc je suis mal) et là il y a deux jumeaux « optimisés » qui ont des superpouvoirs et qui dans leur jeunesse ont été traumatisés par Iron Man. Il y a dans ce château un sceptre avec à l’intérieur une pierre de gemme et tout ça a des tas de pouvoirs qui menacent tellement le monde que c’en est effrayant. Surtout qu’on ne sait pas trop si Tony Stark alias Iron Man n’a pas été embobiné par la jumelle sokovienne qui s’appelle… je m’en souviens plus. C’est là que j’ai sérieusement décroché d’autant qu’avec le sceptre, Iron Man et Hulk redevenu Bruce Banner créent une sorte de programme hyper-chiadé qui va protéger le monde et qui en plus est beaucoup plus évolué que Jarvis qui est euh… un programme mais pas très évolué genre Windows XP. Alors le programme étant un peu infecté, il est animé de mauvaises intentions et va détruire l’Humanité en se répandant sur Internet et en fusionnant avec le très méchant Ultron et va donner un gars tout rouge dont on ne sait pas si il est gentil ou méchant. Mais en fait on s’en fout. Là je crois que je raconte n’importe quoi car je ne sais plus exactement à quel moment Ultron se manifeste. C’est pas fini : il y a une romance entre Natasha Romanoff (Black widow) et Hulk mais Hulk sent bien qu’être vert de rage n’est pas l’idéal pour filer le parfait amour avec Natasha. Il y a des flashbacks aussi. Et des dialogues, plein de dialogues pour faire tenir ça ensemble et pour justifier l’arrivée inopinée de Don Cheadle, de Samuel Jackson et de pages de scénario qui ont dû se mélanger dans la photocopieuse du studio Marvel. Ça n’est pas si grave car les acteurs, Downey Jr, Hemsworth, Ruffalo, Johansson etc., plutôt bons, jouent le jeu et débitent leur texte avec insouciance et sans faire dans le shakespearien.

    Ecrit avec les pieds

    Bon, c’est Joss Whedon le réalisateur qui a écrit ça et je ne le connais pas. Il a paraît-il réalisé le premier épisode. Je pense qu’il est sûrement agrégé en Marvelologie pour avoir pu remplir 2h22 de pages de scénario. Je ne parlerais pas de ce film si je ne pensais que ce cinéma-là, malgré toute sa technologie ne tient pas la route et vieillira aussi vite sur petit écran que les Matrix. Tu peux en mettre plein la vue sur un grand écran, il n’en reste pas moins que c’est écrit avec les pieds, incompréhensible, vaguement philosophique (l’avenir de l’humanité et tout ça…), saturé de personnages, gavé de dialogues abscons, parfois drôle et tellement pétaradant que je n’ai pas pu dormir comme devant Taxi Teheran – oui, la honte absolue mais j’étais crevé et les voyages en voiture me donnent le sommeil. Il faudrait avoir vu le premier épisode, connaître un peu cet univers bla bla bla, me soutiendront les fans. Non, avant d’aller voir un film, je n’ai pas besoin d’avoir vu les œuvres complètes. Je n’ai rien contre les super-héros et aller au cinéma c’est aussi découvrir de nouveaux univers. Ce n’est pas le genre qui pose problème. C’est un type de réalisation immédiate, qui veut en mettre tellement plein la vue qu’elle ne crée aucune tension, qu’elle ne prend jamais aux tripes et qu’elle se vautre dans le grotesque avec un scénario tiré par les cheveux. Mais comme ce grotesque vaut cher à produire et fait un carton, ça passe et la critique est plutôt bienveillante. En comparant ce machin avec un succès commercial du type Terminator 2, qui date de 1991 et intégrait des effets numériques, on a comme l’impression que quelque chose s’est perdu en route dans le cinéma commercial américain. 

  • Birdman : survol de la condition hollywoodienne

    Dans chaque décennie de cinéma, on pourra trouver un film-miroir dans lequel Hollywood adore se contempler. Ces films-là sont reconnus et récompensés par ceux-là même qui sont fustigés pour leurs vices: Sunset Boulevard (Wilder), The big knife (Aldrich), The player (Altman) et bien d’autres sont des charges virulentes contre le petit monde hollywoodien. A propos de Birdman, je pense à Quinze jours ailleurs de Vincente Minnelli (1962), pendant amer du très beau Les ensorcelés (1952), et j’y reviendrai.

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    bouger pour se sentir vivre

    Où en est la star de cinéma dans les années 2000, à l’époque des reboot, sequel, prequel, super-héros et du tout twitter ? Il n’est question que de ça dans Birdman de Alejandro Gonzalez Inarritu. Reggan Thomson (Michael Keaton) est une star grâce à Birdman, une franchise de super-héros. Il est depuis devenu un has-been essayant de monter une adaptation théâtrale de Raymond Carver. La préparation de la pièce est une souffrance car Reggan doit affronter le birdman qui est en lui, excroissance monstrueuse de son égo de star, qui lui souffle que ce projet est nul. Il est aussi confronté à une palette de comédiens déjantés ou névrotiques joués avec enjouement par Naomi Watts, Edward Norton et Andrea Riseborough. On retrouve aussi Emma Stone qui joue la fille ex-junkie de Reggan, lui rappelant à l’occasion le ratage de sa vie de père. Tout ça met en péril les générales qui arrivent et se regarde avec amusement, mais ça n’est pas très original : une suite de clichés appuyés, prétextes à mettre en valeur les acteurs du film, qui se font mousser au maximum. Inarritu ne refait pas une version d’Opening night de Cassavetes qui parlait de la souffrance et des doutes des comédiens à l’approche de la première. Ici, la mise en scène tourbillonnante prime sur l’écriture des personnages et des situations. La valeur de Birdman réside dans cette caméra –oiseau mobile, voletante, simulant un tourbillon ininterrompu entre réalité et délire, une caméra elle-même transformée en un Icare qui vole et risque à tout moment de se brûler et de s’écraser. La condition de star, acteur ou réalisateur est celle-ci selon Inarritu : bouger en permanence pour vivre et se sentir vivre, carburer à l’ego, à la toute-puissance, pour ne pas devenir un raté. Reggan a besoin de se sentir voler, comme toutes les stars de son espèce car il sait qu’il doit sans cesse bouger et dominer les événements pour ne pas s’écraser. Ce qui vaut pour un acteur vaut aussi pour le réalisateur mexicain : il est aujourd’hui un « génie » célébré par la mecque du cinéma, qu’en sera-t-il demain, après un éventuel échec ?

    de la merde et de l’Art

    Reggan a débuté sa carrière en récitant sur scène du Carver et il se retrouve quelques années après à faire le super-héros dans un costume ridicule. L’imposture et le grotesque ne sont jamais loin. C’est le lot permanent à Hollywood : faire de la merde pour le grand public mais en gardant à l’esprit qu’il y a aussi de l’Art dedans et que tous viennent de là. D’où le regard compréhensif porté sur le projet théâtral de Thomson. Certes, il monte la pièce de Carver pour regonfler son ego d’un succès. Mais il se considère avant tout comme un artiste et a foncièrement besoin qu’on le prenne au sérieux. Il mise sur un projet, il prend un risque, crie-t-il à la figure de la critique new yorkaise qui n’a que mépris pour lui. C’est l’histoire récurrente des acteurs célèbres : un Shia LaBeouf qui joue dans l’horrible Transformers de Michael Bay ET dans Nymphomaniac de Lars Von Trier. Pour une star, la légitimité commerciale ne vaut rien sans légitimité artistique.

    Quinze jours ailleurs

    Birdman, c’est donc une forme d’autoportrait critique du monde du cinéma, avec tout le côté divertissant d’une production hollywoodienne. Il y a de la satire mais ça reste très édulcoré à côté de productions passées. Le film m’a fait beaucoup penser à Quinze jours ailleurs de Minnelli dans lequel Kirk Douglas jouait une star déchue qui accepte de se remettre en cause lors d’un tournage à Rome. Là où Birdman est volontairement virevoltant et survole ses personnages, le film de Minnelli est le constat profond et cruel de la condition hollywoodienne. Dans un style théâtral dominé par des dialogues et confrontations, les relations humaines y sont décrites dans toute leur férocité et on attend longtemps avant de trouver une rédemption pour le héros. Kirk Douglas y frôle le suicide et le film le tragique. Birdman est loin de ça tout comme il est loin d’All about eve de Mankiewicz, autre tableau féroce sur la célébrité. Par son côté superficiel, il me fait penser au Celebrity de Woody Allen mais dans une version réussie. Pas un chef-d’œuvre donc mais un film habile et enjoué dont on comprend qu’il ait plu à l’industrie du divertissement, qui lui a donné quatre Oscars.

  • American sniper (Eastwood)

    Si on apprécie le film de guerre classique et les scènes d’action bien menées, American Sniper est un bon divertissement fabriqué par Clint Eastwood. Si on veut un éclairage critique sur le conflit irakien, l’héroïsme guerrier et toute cette culture militariste ancrée dans la psyché américaine, on sera déçu. A travers le portrait de Chris Kyle, sniper pendant la Guerre du Golfe, Eastwood raconte l’histoire d’un héros embrassant sans complexe les valeurs d’un certain public américain, celui qui a fait le succès du film : famille, patrie, bible, flingues. Le problème ici est que le film est une adaptation de l’autobiographie de Kyle et qu’Eastwood n’a pas cru bon porter un point de vue alternatif à celui de Kyle. Au plus peut-on dire qu’American Sniper est une hagiographie traversée de moments d’incertitude.

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