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Ciné-club ambulant, voyage en cinéphilie - Page 47

  • Avengers : Age of Ultr(ac)on ?

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    Avengers : Age of Ultron n’a pas vraiment sa place sur ce blog. Déjà je ne me suis pas coltiné toutes les œuvres Marvel en Pléiade donc la genèse de Captain America ou les névroses de Iron Man.... Et puis ce déluge de cinéma numérisé, quand on aime le réalisme un peu cafardeux des années 70, je ne dis pas que ça n’est pas du cinéma, c’est juste un autre cinéma… qui n’est pas ma tasse de thé.

    Des dialogues, plein de dialogues

    Ça commence pendant l’assaut par les Avengers d’une forteresse en Sokovie, un pays imaginaire entre la Roumanie et l’Ukraine et c’est du gros badaboum en forêt, comme un shoot them up et là déjà on voit les limites du numérique : c’est impressionnant ça part dans tous les sens mais cette bouillie d’images est tellement peu réaliste que c’en est emmerdant, les soldats et les chars sont juste là pour se faire dégommer. Nos héros, Iron Man, Captain America, Thor, Hulk, Black widow et Hawkeye, défoncent leurs ennemis à tout va. Ils déboulent chez Strucker (qui ? j’ai loupé le premier Avengers donc je suis mal) et là il y a deux jumeaux « optimisés » qui ont des superpouvoirs et qui dans leur jeunesse ont été traumatisés par Iron Man. Il y a dans ce château un sceptre avec à l’intérieur une pierre de gemme et tout ça a des tas de pouvoirs qui menacent tellement le monde que c’en est effrayant. Surtout qu’on ne sait pas trop si Tony Stark alias Iron Man n’a pas été embobiné par la jumelle sokovienne qui s’appelle… je m’en souviens plus. C’est là que j’ai sérieusement décroché d’autant qu’avec le sceptre, Iron Man et Hulk redevenu Bruce Banner créent une sorte de programme hyper-chiadé qui va protéger le monde et qui en plus est beaucoup plus évolué que Jarvis qui est euh… un programme mais pas très évolué genre Windows XP. Alors le programme étant un peu infecté, il est animé de mauvaises intentions et va détruire l’Humanité en se répandant sur Internet et en fusionnant avec le très méchant Ultron et va donner un gars tout rouge dont on ne sait pas si il est gentil ou méchant. Mais en fait on s’en fout. Là je crois que je raconte n’importe quoi car je ne sais plus exactement à quel moment Ultron se manifeste. C’est pas fini : il y a une romance entre Natasha Romanoff (Black widow) et Hulk mais Hulk sent bien qu’être vert de rage n’est pas l’idéal pour filer le parfait amour avec Natasha. Il y a des flashbacks aussi. Et des dialogues, plein de dialogues pour faire tenir ça ensemble et pour justifier l’arrivée inopinée de Don Cheadle, de Samuel Jackson et de pages de scénario qui ont dû se mélanger dans la photocopieuse du studio Marvel. Ça n’est pas si grave car les acteurs, Downey Jr, Hemsworth, Ruffalo, Johansson etc., plutôt bons, jouent le jeu et débitent leur texte avec insouciance et sans faire dans le shakespearien.

    Ecrit avec les pieds

    Bon, c’est Joss Whedon le réalisateur qui a écrit ça et je ne le connais pas. Il a paraît-il réalisé le premier épisode. Je pense qu’il est sûrement agrégé en Marvelologie pour avoir pu remplir 2h22 de pages de scénario. Je ne parlerais pas de ce film si je ne pensais que ce cinéma-là, malgré toute sa technologie ne tient pas la route et vieillira aussi vite sur petit écran que les Matrix. Tu peux en mettre plein la vue sur un grand écran, il n’en reste pas moins que c’est écrit avec les pieds, incompréhensible, vaguement philosophique (l’avenir de l’humanité et tout ça…), saturé de personnages, gavé de dialogues abscons, parfois drôle et tellement pétaradant que je n’ai pas pu dormir comme devant Taxi Teheran – oui, la honte absolue mais j’étais crevé et les voyages en voiture me donnent le sommeil. Il faudrait avoir vu le premier épisode, connaître un peu cet univers bla bla bla, me soutiendront les fans. Non, avant d’aller voir un film, je n’ai pas besoin d’avoir vu les œuvres complètes. Je n’ai rien contre les super-héros et aller au cinéma c’est aussi découvrir de nouveaux univers. Ce n’est pas le genre qui pose problème. C’est un type de réalisation immédiate, qui veut en mettre tellement plein la vue qu’elle ne crée aucune tension, qu’elle ne prend jamais aux tripes et qu’elle se vautre dans le grotesque avec un scénario tiré par les cheveux. Mais comme ce grotesque vaut cher à produire et fait un carton, ça passe et la critique est plutôt bienveillante. En comparant ce machin avec un succès commercial du type Terminator 2, qui date de 1991 et intégrait des effets numériques, on a comme l’impression que quelque chose s’est perdu en route dans le cinéma commercial américain. 

  • Birdman : survol de la condition hollywoodienne

    Dans chaque décennie de cinéma, on pourra trouver un film-miroir dans lequel Hollywood adore se contempler. Ces films-là sont reconnus et récompensés par ceux-là même qui sont fustigés pour leurs vices: Sunset Boulevard (Wilder), The big knife (Aldrich), The player (Altman) et bien d’autres sont des charges virulentes contre le petit monde hollywoodien. A propos de Birdman, je pense à Quinze jours ailleurs de Vincente Minnelli (1962), pendant amer du très beau Les ensorcelés (1952), et j’y reviendrai.

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    bouger pour se sentir vivre

    Où en est la star de cinéma dans les années 2000, à l’époque des reboot, sequel, prequel, super-héros et du tout twitter ? Il n’est question que de ça dans Birdman de Alejandro Gonzalez Inarritu. Reggan Thomson (Michael Keaton) est une star grâce à Birdman, une franchise de super-héros. Il est depuis devenu un has-been essayant de monter une adaptation théâtrale de Raymond Carver. La préparation de la pièce est une souffrance car Reggan doit affronter le birdman qui est en lui, excroissance monstrueuse de son égo de star, qui lui souffle que ce projet est nul. Il est aussi confronté à une palette de comédiens déjantés ou névrotiques joués avec enjouement par Naomi Watts, Edward Norton et Andrea Riseborough. On retrouve aussi Emma Stone qui joue la fille ex-junkie de Reggan, lui rappelant à l’occasion le ratage de sa vie de père. Tout ça met en péril les générales qui arrivent et se regarde avec amusement, mais ça n’est pas très original : une suite de clichés appuyés, prétextes à mettre en valeur les acteurs du film, qui se font mousser au maximum. Inarritu ne refait pas une version d’Opening night de Cassavetes qui parlait de la souffrance et des doutes des comédiens à l’approche de la première. Ici, la mise en scène tourbillonnante prime sur l’écriture des personnages et des situations. La valeur de Birdman réside dans cette caméra –oiseau mobile, voletante, simulant un tourbillon ininterrompu entre réalité et délire, une caméra elle-même transformée en un Icare qui vole et risque à tout moment de se brûler et de s’écraser. La condition de star, acteur ou réalisateur est celle-ci selon Inarritu : bouger en permanence pour vivre et se sentir vivre, carburer à l’ego, à la toute-puissance, pour ne pas devenir un raté. Reggan a besoin de se sentir voler, comme toutes les stars de son espèce car il sait qu’il doit sans cesse bouger et dominer les événements pour ne pas s’écraser. Ce qui vaut pour un acteur vaut aussi pour le réalisateur mexicain : il est aujourd’hui un « génie » célébré par la mecque du cinéma, qu’en sera-t-il demain, après un éventuel échec ?

    de la merde et de l’Art

    Reggan a débuté sa carrière en récitant sur scène du Carver et il se retrouve quelques années après à faire le super-héros dans un costume ridicule. L’imposture et le grotesque ne sont jamais loin. C’est le lot permanent à Hollywood : faire de la merde pour le grand public mais en gardant à l’esprit qu’il y a aussi de l’Art dedans et que tous viennent de là. D’où le regard compréhensif porté sur le projet théâtral de Thomson. Certes, il monte la pièce de Carver pour regonfler son ego d’un succès. Mais il se considère avant tout comme un artiste et a foncièrement besoin qu’on le prenne au sérieux. Il mise sur un projet, il prend un risque, crie-t-il à la figure de la critique new yorkaise qui n’a que mépris pour lui. C’est l’histoire récurrente des acteurs célèbres : un Shia LaBeouf qui joue dans l’horrible Transformers de Michael Bay ET dans Nymphomaniac de Lars Von Trier. Pour une star, la légitimité commerciale ne vaut rien sans légitimité artistique.

    Quinze jours ailleurs

    Birdman, c’est donc une forme d’autoportrait critique du monde du cinéma, avec tout le côté divertissant d’une production hollywoodienne. Il y a de la satire mais ça reste très édulcoré à côté de productions passées. Le film m’a fait beaucoup penser à Quinze jours ailleurs de Minnelli dans lequel Kirk Douglas jouait une star déchue qui accepte de se remettre en cause lors d’un tournage à Rome. Là où Birdman est volontairement virevoltant et survole ses personnages, le film de Minnelli est le constat profond et cruel de la condition hollywoodienne. Dans un style théâtral dominé par des dialogues et confrontations, les relations humaines y sont décrites dans toute leur férocité et on attend longtemps avant de trouver une rédemption pour le héros. Kirk Douglas y frôle le suicide et le film le tragique. Birdman est loin de ça tout comme il est loin d’All about eve de Mankiewicz, autre tableau féroce sur la célébrité. Par son côté superficiel, il me fait penser au Celebrity de Woody Allen mais dans une version réussie. Pas un chef-d’œuvre donc mais un film habile et enjoué dont on comprend qu’il ait plu à l’industrie du divertissement, qui lui a donné quatre Oscars.

  • American sniper (Eastwood)

    Si on apprécie le film de guerre classique et les scènes d’action bien menées, American Sniper est un bon divertissement fabriqué par Clint Eastwood. Si on veut un éclairage critique sur le conflit irakien, l’héroïsme guerrier et toute cette culture militariste ancrée dans la psyché américaine, on sera déçu. A travers le portrait de Chris Kyle, sniper pendant la Guerre du Golfe, Eastwood raconte l’histoire d’un héros embrassant sans complexe les valeurs d’un certain public américain, celui qui a fait le succès du film : famille, patrie, bible, flingues. Le problème ici est que le film est une adaptation de l’autobiographie de Kyle et qu’Eastwood n’a pas cru bon porter un point de vue alternatif à celui de Kyle. Au plus peut-on dire qu’American Sniper est une hagiographie traversée de moments d’incertitude.

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  • A most violent year: a most tepid film

    New York, 1981. L’atmosphère de la ville est viciée par le crime. Abel Morales (Oscar Isaac) est un entrepreneur en fuel qui essaie de s’imposer dans un secteur aux pratiques mafieuses. Ses camions sont braqués, ses chauffeurs agressés mais Abel tient bon. Il ne se salira pas les mains, il ne fera rien qui pourrait compromettre son affaire et son projet d’expansion. Il restera propre malgré les pressions de son épouse (Jessica Chastain) et de son avocat (Albert Brooks). L’ancien immigré latino parti de rien a en plus un procureur aux fesses (David Oyelowo). Mais il fera tout pour rester honnête et démasquer ceux lui veulent du mal.

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    Al Pacino constipé

    Sur l’affiche, il est dit « Magistral » (Télérama) et la majorité de la critique française chante les louanges de A most violent year de JC Chandor. Il est frustrant de sortir d’une salle de cinéma et de se dire « c’est ça, le chef d’œuvre de l’année ? » Rien de trépidant dans ce film que j’avais envie d’aimer parce qu’il invoque Sidney Lumet (Prince of the city, Serpico), un peu le Parrain,  James Gray, Al Pacino - auquel Oscar Isaac fait penser. Mais rien ne m’a vraiment captivé dans ce film, succession linéaire de scènes dialoguées dans lesquelles Abel, mécaniquement, s’en tient à son éthique et à sa panoplie de self-made-man respectable. Il n’y a rien de mal à décrire un personnage honnête mais encore faut-il nous faire comprendre pourquoi il s’en tient à ses principes contre vents et marées. Quel est son moteur ? Qu’est-ce qui l’incline à rejeter la violence et les magouilles alors que ce sont les règles du jeu ? Emprisonné dans son rôle, Gregory Isaac en est réduit à serrer les dents et à jouer comme un Pacino constipé. Il en devient ennuyeux, exagérément raidi dans son costume d’homme intègre. Face à lui, Chandor avait un personnage en or, celui d’Anna, l’épouse d’Abel, dont le père est un mafieux. C’est un élément sous-exploité alors qu’on la devine clé dans le parcours d’Abel et dans l’intrigue. Mais Anna reste en pointillé, toujours au second plan. Elle aurait dû être le grain de sable, l’étincelle qui fasse péter le couple mais le scénario désamorce toute explosion. D’ailleurs, il n’y a dans le film aucune scène qui prenne aux tripes.

    Retenu, étouffé,...

    Je retiens la beauté de nombreux plans et mouvements de caméra, comme celui embrassant d’abord les buildings de New York puis les rives de l’Hudson. L’aspect artistique du film est soigné mais ça ne suffit pas. D’un film qui évoque une année parmi les plus violentes, j’attendais à minima de la tension, de l’énergie, du fuel ! Or rien n’est intense dans la mise en scène de JC Chandor, tout m’a paru retenu, étouffé, constipé comme s’il ne fallait surtout pas imiter les anciens, les Scorsese, Friedkin, chroniqueurs  percutants et déjantés de la violence new-yorkaise. On me rétorquera que c'était l'intention. A most violent year évoque une transition douce, un passage symbolisé par Abel, entre le New York de French connection, violent, sale et cafardeux et la mégapole du capitalisme reaganien, en apparence plus propre, plus respectable. Abel symbolise une nouvelle génération d’immigrés intégrés car convertis aux affaires et à la légalité. JC Chandor est un type capable (Margin call, vraiment bien) qui dit des choses intelligentes mais avait-il besoin de faire un film aussi mou pour nous les faire comprendre ?

  • Le Convoi de la peur: du pure ciné 70s

    Cette semaine, Arte m’a permis de voir un film emblématique du cinéma américain des années 70 : le Convoi de la peur (Sorcerer) de William Friedkin, tourné en 1977.  Apocalypse, now de Coppola et la Porte du Paradis de Cimino, films monstres, ruineux et cultes ont fait de l’ombre à ce film difficile à trouver dans une version DVD correcte, ne passant jamais à la TV, alors que c’est un bijou.

     

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    Pourquoi Sorcerer n’a-t-il pas l’aura des films cités ? Parce que l’irascible William Friedkin, réalisateur de l’Exorciste et de French connection, n’avait pas bonne presse auprès de la critique - Pauline Kael parlant de lui comme d’un réalisateur « commercial », dépourvu de pensée. Pourquoi Sorcerer s’est-il planté commercialement ? Parce que le réalisateur s’est ingénié à produire une œuvre que les spectateurs de l’époque n’avaient pas envie de voir. Le Convoi de la peur, c’est :

    - un film sans tête d’affiche : Roy Scheider, Bruno Cremer, Amidou et Francisco Rabal, aussi talentueux et impliqués soient-ils n’ont pu compenser l’absence d’un star charismatique comme Steve McQueen, qui avait accepté le rôle mais à des conditions que Friedkin a finalement rejetées ;

    - un film sans réel personnage féminin ni histoire d’amour : c’était justement ce que McQueen réclamait, qu’on donne un rôle à Ali McGraw, sa compagne. Friedkin, atterré par le bide de son film, s’en mord toujours les doigts ;

    - un film d’une misanthropie impitoyable : les quatre personnages sont des crapules ou des figures de la violence contemporaine : Manzon l’escroc, Scanlon le braqueur, Nilo le tueur, Kassem le terroriste. Le film n’est pas tant une équipée qu’un panier de crabes filmé sans aucune compassion. On ne s’étonnera donc pas que toute idée de happy end y soit hors-jeu ;

    - un film imprégné d’une esthétique de la crasse et de la corruption. Que ce soient les plans sur les mets dans le restaurant que fréquente Manzon ou les lents travellings sur la ville minière de Poza Rica, une même fascination s’exprime pour la corruption. Friedkin a un regard de peintre flamand, d’une grande crudité dans les détails mais capable en même temps de magnifier dans ses plans aériens la verdeur de la forêt amazonienne ;

    - un film de cinéphile, remake du Salaire de la peur de Clouzot : ça pouvait sembler à contretemps alors que Star Wars triomphait sur les écrans mondiaux…  Le Convoi de la peur n’a rien à voir avec le cinéma commercial, léché et simpliste qui se généralisera dans les années 80 ;

    - un film au montage méticuleux, qui prend le temps d’étirer les séquences, de capter les détails, sans aucune concession à l’esthétique TV. La durée d’exposition des personnages est de plus de trois quart d’heures, une hérésie comparé au cinéma d’aujourd’hui ; 

    Approche jusqu’au-boutiste et mégalomaniaque

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    Cela dit, tous ces éléments et choix esthétiques sont recevables et je n’ai pas boudé mon plaisir. Quatre hommes en fuite se retrouvent dans un coin paumé du Nicaragua et acceptent pour l’argent de transporter en camion des charges de nitroglycérine. C’est un transport à haut risque car le chargement peut exploser à la moindre secousse. Côté action, on est servis par Friedkin qui fait de deux séquences, le passage d’un pont suspendu et l’explosion d’un arbre, des moments dantesques. Dans la lutte contre les éléments hostiles, il a transformé ses deux camions en monstres mythiques affrontant la jungle. Les séquences sont d’autant plus impressionnantes qu’à l’époque il n’y avait ni numérique ni effets spéciaux capables de produire ce qu’il y a à l’écran. Qu’on lise pour en savoir plus le Nouvel Hollywood de Peter Biskind. Friedkin a déployé une énergie et une folie peu commune pour que les séquences spectaculaires du film soient à la hauteur de sa vision, faisant de son tournage un cauchemar pour ses équipes ! Ces camions chargés d’explosifs et traversant la jungle sont de belles métaphores de l’approche jusqu’au-boutiste et mégalomaniaque du réalisateur.  

    Misanthropie et faiblesse du remake

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    Je parlais de misanthropie. Elle constitue l’essence et la grande faiblesse du film. Le convoi de la peur est une lutte furieuse pour la survie, les hommes y sont ramenés à leur condition d’animaux hostiles les uns envers les autres (cf. le zoom sur les crabes du tas d’ordures). On dirait une illustration du Léviathan de Hobbes, sauf que les quatre personnages sont sortis depuis longtemps de l’état civil et nous jouent la guerre de chacun contre tous. S’il y a coopération entre eux, c’est par nécessité. Le but est de ramener la cargaison et de toucher la prime : si les autres meurent, cela fera plus pour les survivants. Cette approche misanthrope a l’inconvénient de réduire à son minimum les liens entre les « héros », les scènes d’interaction entre les personnages en souffrent. Accoudés à un comptoir, Scanlon et Manzon débitent leur dialogue de façon mécanique et la scène ne fonctionne pas du tout. L’approche laconique de Friedkin échoue d’autant plus qu’il a beaucoup de personnages, peut-être trop à sa disposition. Ce qui faisait la grande force du Salaire de la peur de Clouzot, les rapports entre les personnages, a disparu. Le remake n’est donc pas à la hauteur de son modèle, bien qu’il rivalise esthétiquement. Hormis la faiblesse d’écriture des personnages, on a quand même affaire à du cinéma, du vrai, du bon, du fort. 

  • 2014: année divertissante mais pas de chef-d'oeuvres

    La fin d’année est l’occasion des palmarès. Je n’ai pas le sentiment d’avoir vu des chefs d’œuvre en 2014 mais quelques grands films divertissants. La procrastination m’a empêché d’écrire quelques chroniques, j’en profite pour me rattraper.

    Top 2014

    Interstellar de Christopher Nolan: c’est un film d’une ambition enthousiasmante, coupable hélas de relâchements scénaristiques embarrassants et d’une morale gnangnan (« l’amour plus fort que la relativité »). Je le place haut car Interstellar mélange avec virtuosité fin du monde, mythe de la frontière, Raisins de la colère (si si) et physique quantique. Je le considère comme une collision réussie entre John Ford et Steven Spielberg. Il part du postulat futuriste que la Terre devenant irrespirable il faut relancer la conquête spatiale pour trouver une planète habitable. Loin d’être désespéré, il est porteur d’une vision optimiste du futur. Lancée dans l’espace comme dans un nouveau Far West, l’Humanité s’en sortira. C’est de la science-fiction épique et positive, qui m’a totalement transporté. Interstellar a subi le même dédain critique en France que Gravity. Ce sont certes deux films commerciaux, tenus par des conventions, mais visuellement splendides et taillés pour le grand écran.

    boyhood.jpgBoyhood de Richard Linklater: Mason, un garçon américain, est filmé de l’enfance aux débuts de l’âge adulte. On voit grandir le même comédien, Ellar Coltrane, dans les années 2000. Plus que par son procédé, Boyhood  déroute car le personnage de Mason n’a rien d’extraordinaire et sa vie n’est aucunement romanesque. Mais le filmage sur le long terme a une force inattendue : non seulement voir grandir un garçon est intéressant, à la fois dans la transformation physique et dans l’exploration des choses anodines marquant une vie, mais c’est aussi passionnant d’un point de vue de genre tant les modèles masculins ont changé. Il est donc faux de dire que le film ne raconte rien, comme certains critiques ont pu l’affirmer. Si la mère (Patricia Arquette) est omniprésente, élevant seule Mason avec sa sœur Samantha, le modèle du père est multi face, en pleine mutation et en crise, Boyhood le montre très bien. Vu comme un homme jeune d’esprit et peu stable, souvent absent, Ethan Hawke est pourtant pour Mason un père complice, aimant et attachant alors que les autres compagnons de sa mère reproduisent un modèle virile autoritariste, borné, à l’ancienne, qui s’avère complètement défaillant. Un film riche de sens sous une apparence simple.

    Eastern boys de Robin Campillo: j’apprécie les films qui à partir d’un sujet d’actualité parviennent à broder une trame très romanesque. C’est le cas d’Eastern boys qui débute en Gare du Nord, au contact d’une bande de jeunes clandestins d’Europe de l’Est. Daniel, un quinquagénaire solitaire joué par Olivier Rabourdin, aborde Marek (Kirill Emelyanov) et l’invite chez lui pour une passe. Attiré par Marek, il lui propose un échange régulier: du sexe contre des cadeaux. Seulement, quand la relation bien balisée se transforme en idylle, Daniel doit lutter pour arracher Marek à sa bande et à sa condition de clandestin. Eastern boys est un film surprenant, construit sur des ruptures, obligeant le spectateur à changer de regard en même temps que Campillo bouscule ses personnages. L’enjeu est simple : que Daniel, consommateur passif et calculateur, et que Marek, jeune de l’Est intéressé par l’argent, se libèrent de leurs places sociales et accèdent à l’humanité et à l’amour.

    Gone girl de David Fincher : on peut avoir des raisons de détester cette machination un brin misogyne et bâtie sur des artifices de scénario. Moi j’ai plutôt eu des raisons d’y adhérer. A partir d’un scénario déjà vu – une femme disparaît, vraisemblablement tuée et son mari devient le suspect n°1 -, David Fincher a monté un film très sombre et très paranoïaque, à mon avis assez fidèle à l’ambiance de guerre des sexes et de voyeurisme médiatique qui prévaut aux Etats-Unis. C’est un film noir, genre que j’adore, où se bousculent les personnages tordus. Face à Nick, joué tout en simplicité bovine par Ben Affleck, Amy (Rosamund Pike) est une épouse machiavélique, la garce type du film noir mais pas seulement. C’est surtout un personnage de femme aliénée, victime qui réagit en monstre à la perversité qu’elle subit de la part des hommes et notamment de son inquiétant prétendant, Desi Collings, superbement joué par Neil Patrick Harris.

    2014, en plus

    De 2014, je retiens dans une moindre mesure Sils Maria de Olivier Assayas, l’occasion de découvrir face à Juliette Binoche une Kristen Stewart subtile et à l’aise dans un registre européen éloigné de Twilight. J’ai par ailleurs dit tout le bien que j’ai pensé de Timbuktu, des Combattants de Thomas Cailley et surtout de Under the skin de Jonathan Glazer, film rempli de visions sidérantes.

    De cette année de cinéma, je n’ai pas tout aimé, loin de là. Mommy a été une déflagration d’émotions dont il ne reste pas grand-chose. Winter sleep, avec ses interminables rails de dialogue dans l’obscurité, a agi sur moi comme un puissant somnifère. Bande de filles m’a par moment enthousiasmé, le plus souvent déçu. Céline Sciamma n’a pas réussi à insuffler beaucoup d’intérêt dramatique à son film, malgré l’énergie et la beauté de ses comédiennes.

    Que serait 2014 sans Rohmer ?

    Enfin, que serait une année de cinéphile sans belles découvertes par la VOD ?  L’amour l’après-midi d’Eric Rohmer (1972), est un bijou, probablement occulté par le Genou de Claire qui l’a précédé. Ce que j’aime chez Rohmer, c’est ce décalage permanent entre ce que disent ou font croire ses personnages et leurs désirs profonds. Ce sont en général les hommes qui se mentent à eux-mêmes. Ils sont poussés à se contredire par les femmes, maîtresses du jeu social. Dans ce beau film parisien, Frédéric (Michel Verley) est un homme marié qui se convainc lui-même qu’en ayant épousé Hélène, « il étreint toutes les femmes ». Il ne veut tout simplement pas s’avouer qu’il a envie de la tromper, quand arrive Chloé – Zouzou, mannequin star des années 60-70, toujours vivante, qui a bien connu Garrel, Brian Jones et l’héroïne.

    Chloé a une beauté garçonne et désinvolte bien dans l’époque, qui séduit Frédéric. L’amour l’après-midi est un film débordant d’érotisme et de désirs mal dissimulés. Une scène m’a particulièrement amusé, celle de l’achat de chemise, malheureusement introuvable sur le web. On y voit Frédéric dans un magasin de mode, venu acheter un pull. La vendeuse, à la fois sensuelle et indifférente finit par pousser Frédéric à acheter une chemise de couleur vive. Toute la scène est bâtie sur le jeu corporel et la voix de la vendeuse qui arrive par petites impulsions à convaincre Frédéric de faire quelque chose qu’il n’avait pas envie de faire. Scène métaphore du pouvoir de suggestion des femmes pour Rohmer, annonciatrice de la relation entre Frédéric et Chloé. 


    L'Amour l'Aprés-Midi BA-VF par _Caprice_