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naomi watts

  • Birdman : survol de la condition hollywoodienne

    Dans chaque décennie de cinéma, on pourra trouver un film-miroir dans lequel Hollywood adore se contempler. Ces films-là sont reconnus et récompensés par ceux-là même qui sont fustigés pour leurs vices: Sunset Boulevard (Wilder), The big knife (Aldrich), The player (Altman) et bien d’autres sont des charges virulentes contre le petit monde hollywoodien. A propos de Birdman, je pense à Quinze jours ailleurs de Vincente Minnelli (1962), pendant amer du très beau Les ensorcelés (1952), et j’y reviendrai.

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    bouger pour se sentir vivre

    Où en est la star de cinéma dans les années 2000, à l’époque des reboot, sequel, prequel, super-héros et du tout twitter ? Il n’est question que de ça dans Birdman de Alejandro Gonzalez Inarritu. Reggan Thomson (Michael Keaton) est une star grâce à Birdman, une franchise de super-héros. Il est depuis devenu un has-been essayant de monter une adaptation théâtrale de Raymond Carver. La préparation de la pièce est une souffrance car Reggan doit affronter le birdman qui est en lui, excroissance monstrueuse de son égo de star, qui lui souffle que ce projet est nul. Il est aussi confronté à une palette de comédiens déjantés ou névrotiques joués avec enjouement par Naomi Watts, Edward Norton et Andrea Riseborough. On retrouve aussi Emma Stone qui joue la fille ex-junkie de Reggan, lui rappelant à l’occasion le ratage de sa vie de père. Tout ça met en péril les générales qui arrivent et se regarde avec amusement, mais ça n’est pas très original : une suite de clichés appuyés, prétextes à mettre en valeur les acteurs du film, qui se font mousser au maximum. Inarritu ne refait pas une version d’Opening night de Cassavetes qui parlait de la souffrance et des doutes des comédiens à l’approche de la première. Ici, la mise en scène tourbillonnante prime sur l’écriture des personnages et des situations. La valeur de Birdman réside dans cette caméra –oiseau mobile, voletante, simulant un tourbillon ininterrompu entre réalité et délire, une caméra elle-même transformée en un Icare qui vole et risque à tout moment de se brûler et de s’écraser. La condition de star, acteur ou réalisateur est celle-ci selon Inarritu : bouger en permanence pour vivre et se sentir vivre, carburer à l’ego, à la toute-puissance, pour ne pas devenir un raté. Reggan a besoin de se sentir voler, comme toutes les stars de son espèce car il sait qu’il doit sans cesse bouger et dominer les événements pour ne pas s’écraser. Ce qui vaut pour un acteur vaut aussi pour le réalisateur mexicain : il est aujourd’hui un « génie » célébré par la mecque du cinéma, qu’en sera-t-il demain, après un éventuel échec ?

    de la merde et de l’Art

    Reggan a débuté sa carrière en récitant sur scène du Carver et il se retrouve quelques années après à faire le super-héros dans un costume ridicule. L’imposture et le grotesque ne sont jamais loin. C’est le lot permanent à Hollywood : faire de la merde pour le grand public mais en gardant à l’esprit qu’il y a aussi de l’Art dedans et que tous viennent de là. D’où le regard compréhensif porté sur le projet théâtral de Thomson. Certes, il monte la pièce de Carver pour regonfler son ego d’un succès. Mais il se considère avant tout comme un artiste et a foncièrement besoin qu’on le prenne au sérieux. Il mise sur un projet, il prend un risque, crie-t-il à la figure de la critique new yorkaise qui n’a que mépris pour lui. C’est l’histoire récurrente des acteurs célèbres : un Shia LaBeouf qui joue dans l’horrible Transformers de Michael Bay ET dans Nymphomaniac de Lars Von Trier. Pour une star, la légitimité commerciale ne vaut rien sans légitimité artistique.

    Quinze jours ailleurs

    Birdman, c’est donc une forme d’autoportrait critique du monde du cinéma, avec tout le côté divertissant d’une production hollywoodienne. Il y a de la satire mais ça reste très édulcoré à côté de productions passées. Le film m’a fait beaucoup penser à Quinze jours ailleurs de Minnelli dans lequel Kirk Douglas jouait une star déchue qui accepte de se remettre en cause lors d’un tournage à Rome. Là où Birdman est volontairement virevoltant et survole ses personnages, le film de Minnelli est le constat profond et cruel de la condition hollywoodienne. Dans un style théâtral dominé par des dialogues et confrontations, les relations humaines y sont décrites dans toute leur férocité et on attend longtemps avant de trouver une rédemption pour le héros. Kirk Douglas y frôle le suicide et le film le tragique. Birdman est loin de ça tout comme il est loin d’All about eve de Mankiewicz, autre tableau féroce sur la célébrité. Par son côté superficiel, il me fait penser au Celebrity de Woody Allen mais dans une version réussie. Pas un chef-d’œuvre donc mais un film habile et enjoué dont on comprend qu’il ait plu à l’industrie du divertissement, qui lui a donné quatre Oscars.

  • Promesses de l'ombre de David Cronenberg

    easternpromises_468x614.jpgLondres, années 2000. Un gangster russe est égorgé dans un salon de coiffure. Une jeune femme à l’accent slave s’évanouit dans une épicerie. Elle meurt à l’hôpital en mettant au monde une petite fille. Une sage-femme d’origine russe, Anna Khitrova (Naomi Watts), trouve un carnet dans les affaires de la défunte, se fait un devoir de le traduire et de donner des nouvelles à la famille du nouveau né. La carte d’un restaurant trouvée dans le carnet la conduit vers l’établissement de Semyon (Armin Mueller Stahl), un patriarche russe aux airs de gentil grand-père, secondé par son fils Kirill (Vincent Cassel) et Nikolaï, leur chauffeur (Viggo Mortensen). A mesure que le carnet est traduit, la vérité se fait entendre en voix off, par la voix désespérée de la défunte.

    Dès les premières scènes, le montage joue d’une dialectique entre identité slave commune aux personnages et appartenance à des univers diamétralement opposés. Deux mondes issus de l’ancien bloc soviétique vivent parallèlement à Londres, sans se toucher : d’une part un monde d’immigrés d’ancienne date décrit comme celui « des gens ordinaires », familial, intime, quotidien, habité par de désirs de normalité et d’intégration, de l’autre un monde violent et mortifère, celui de la mafia russe, des trafics et de la traite des blanches, incarné par Semyon, Kirill, Nikolaï et leurs ennemis. Dans la forme cela donne une alternance entre scènes d’intérieur diurnes et visions de films noirs (caves, maison close, ruelles mal éclairées) que n’aurait pas renié le Jules Dassin londonien des Forbans de la nuit (1959). L’ambiance très étrange du film procède en grande partie dans le frottement entre ces deux univers qui ne tourne jamais tout à fait à l’affrontement. Des portes s’ouvrent bien mais Cronenberg s’amuse à les fermer ou à en barrer le passage. La porte du restaurant de Semyon est filmée comme un passage vers l’Enfer, gardé par le fascinant Nikolaï, figure centrale et personnage multiple de cerbère, apprenti-boss, chauffeur, factotum, ange exterminateur et justicier au corps tatoué. L’espace d’un plan, filmé derrière la flamme d’un foyer Nikolaï révèle son destin de damné, gardien d’un monde infernal interdit aux gens honnêtes. Nikolaï est le personnage pivot entre les deux univers, empêchant en permanence le passage de l’un à l’autre, empêchant surtout Anna d’y pénétrer et de subir peut-être le destin malheureux des filles de l’Est attirées par ces fameuses « promesses de l’ombre » du titre français, qu’on entendrait presque comme « promesses de Londres » : promesses de réussite, d’émancipation, de consommation etc..

    L’étrangeté du film provient également du décalage de traitement entre le monde «  réaliste » d’Ana (la famille, l’hôpital), et un monde de la pègre hautement caricatural. Les stéréotypes mafieux sont grossis : accent russe, violence sanguinaire, figure écrasante du patriarche, tatouages de taulard sibérien, tueurs tchéchènes décrits comme « des loups » etc. Porté par un scénario aux raccords narratifs parfois peu crédibles, le film se situe à la lisière de l’invraisemblable et du grotesque (cf. l’interprétation outrancière de Vincent Cassel). S’il ne tombe pas dedans à pieds joints c’est qu’il ne se lasse pas de détourner les codes du film noir. Si les décors et les personnages sont en partie ceux du genre, les situations ne répondent pas à la logique « fatale » du film noir. Anna Khitrova a beau entrer en contact avec Semyon, elle n’a pas mis le doigt dans un engrenage qui va la broyer. A aucun moment elle n’est menacée physiquement. Elle apparaît même comme un personnage volontaire, courageux, sain. Sur sa moto, elle passe facilement pour le personnage « masculin » du film. C’est véritablement Nikolaï, incarné par Viggo Mortensen, qui semble jouer le rôle « féminin » dévolu au film noir. Il est beau, mutique, ambigu et vaguement menaçant. Son corps tatoué noueux sidère tant il semble contenir de violence. Elle éclatera dans un hammam lors d’un affrontement tétanisant avec les fameux bandits tchétchènes. Cronenberg a créé un personnage d’ « homme fatal », fragile, sexuellement troublant, aussi bien pour Ana que pour le faible Kirill. Décrit comme un bel animal - sa peau décorée comme celle d’un reptile ne lasse pas de fasciner – c’est lui qui par courts instants apparaît comme pris au piège du système mafieux, incarné par cette société criminelle appelée « Vory v Zakone ».

    En arrière plan, le Londres ultralibéral des années Blair est la ville-monde parfaite pour le film. Elle est le miroir impitoyable des mutations violentes qui ont déchiré l’Union Soviétique depuis 30 ans. Décrite par Semyon comme une ville de « putains », elle offre aux uns, les gens ordinaires, des opportunités de réussite et d’intégration, aux autres, mafieux et trafiquants, toutes sortes d’opportunités de business. Entre les deux, de pauvres filles sans le sou cherchant le bonheur ne trouvent que malheur et destruction.

    Etrange est le mot qui me vient le plus à propos de ce film hybride. Construit sur une trame bancale de série B que le premier réalisateur venu aurait transformé en navet bon pour le « direct to video », il fonctionne pour peu qu’on se laisse porter par son romanesque décalé et qu’à l’image du pauvre Kirill on s’abandonne dans les bras viriles de l’envoutant Nikolaï…