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  • Le Convoi de la peur: du pure ciné 70s

    Cette semaine, Arte m’a permis de voir un film emblématique du cinéma américain des années 70 : le Convoi de la peur (Sorcerer) de William Friedkin, tourné en 1977.  Apocalypse, now de Coppola et la Porte du Paradis de Cimino, films monstres, ruineux et cultes ont fait de l’ombre à ce film difficile à trouver dans une version DVD correcte, ne passant jamais à la TV, alors que c’est un bijou.

     

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    Pourquoi Sorcerer n’a-t-il pas l’aura des films cités ? Parce que l’irascible William Friedkin, réalisateur de l’Exorciste et de French connection, n’avait pas bonne presse auprès de la critique - Pauline Kael parlant de lui comme d’un réalisateur « commercial », dépourvu de pensée. Pourquoi Sorcerer s’est-il planté commercialement ? Parce que le réalisateur s’est ingénié à produire une œuvre que les spectateurs de l’époque n’avaient pas envie de voir. Le Convoi de la peur, c’est :

    - un film sans tête d’affiche : Roy Scheider, Bruno Cremer, Amidou et Francisco Rabal, aussi talentueux et impliqués soient-ils n’ont pu compenser l’absence d’un star charismatique comme Steve McQueen, qui avait accepté le rôle mais à des conditions que Friedkin a finalement rejetées ;

    - un film sans réel personnage féminin ni histoire d’amour : c’était justement ce que McQueen réclamait, qu’on donne un rôle à Ali McGraw, sa compagne. Friedkin, atterré par le bide de son film, s’en mord toujours les doigts ;

    - un film d’une misanthropie impitoyable : les quatre personnages sont des crapules ou des figures de la violence contemporaine : Manzon l’escroc, Scanlon le braqueur, Nilo le tueur, Kassem le terroriste. Le film n’est pas tant une équipée qu’un panier de crabes filmé sans aucune compassion. On ne s’étonnera donc pas que toute idée de happy end y soit hors-jeu ;

    - un film imprégné d’une esthétique de la crasse et de la corruption. Que ce soient les plans sur les mets dans le restaurant que fréquente Manzon ou les lents travellings sur la ville minière de Poza Rica, une même fascination s’exprime pour la corruption. Friedkin a un regard de peintre flamand, d’une grande crudité dans les détails mais capable en même temps de magnifier dans ses plans aériens la verdeur de la forêt amazonienne ;

    - un film de cinéphile, remake du Salaire de la peur de Clouzot : ça pouvait sembler à contretemps alors que Star Wars triomphait sur les écrans mondiaux…  Le Convoi de la peur n’a rien à voir avec le cinéma commercial, léché et simpliste qui se généralisera dans les années 80 ;

    - un film au montage méticuleux, qui prend le temps d’étirer les séquences, de capter les détails, sans aucune concession à l’esthétique TV. La durée d’exposition des personnages est de plus de trois quart d’heures, une hérésie comparé au cinéma d’aujourd’hui ; 

    Approche jusqu’au-boutiste et mégalomaniaque

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    Cela dit, tous ces éléments et choix esthétiques sont recevables et je n’ai pas boudé mon plaisir. Quatre hommes en fuite se retrouvent dans un coin paumé du Nicaragua et acceptent pour l’argent de transporter en camion des charges de nitroglycérine. C’est un transport à haut risque car le chargement peut exploser à la moindre secousse. Côté action, on est servis par Friedkin qui fait de deux séquences, le passage d’un pont suspendu et l’explosion d’un arbre, des moments dantesques. Dans la lutte contre les éléments hostiles, il a transformé ses deux camions en monstres mythiques affrontant la jungle. Les séquences sont d’autant plus impressionnantes qu’à l’époque il n’y avait ni numérique ni effets spéciaux capables de produire ce qu’il y a à l’écran. Qu’on lise pour en savoir plus le Nouvel Hollywood de Peter Biskind. Friedkin a déployé une énergie et une folie peu commune pour que les séquences spectaculaires du film soient à la hauteur de sa vision, faisant de son tournage un cauchemar pour ses équipes ! Ces camions chargés d’explosifs et traversant la jungle sont de belles métaphores de l’approche jusqu’au-boutiste et mégalomaniaque du réalisateur.  

    Misanthropie et faiblesse du remake

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    Je parlais de misanthropie. Elle constitue l’essence et la grande faiblesse du film. Le convoi de la peur est une lutte furieuse pour la survie, les hommes y sont ramenés à leur condition d’animaux hostiles les uns envers les autres (cf. le zoom sur les crabes du tas d’ordures). On dirait une illustration du Léviathan de Hobbes, sauf que les quatre personnages sont sortis depuis longtemps de l’état civil et nous jouent la guerre de chacun contre tous. S’il y a coopération entre eux, c’est par nécessité. Le but est de ramener la cargaison et de toucher la prime : si les autres meurent, cela fera plus pour les survivants. Cette approche misanthrope a l’inconvénient de réduire à son minimum les liens entre les « héros », les scènes d’interaction entre les personnages en souffrent. Accoudés à un comptoir, Scanlon et Manzon débitent leur dialogue de façon mécanique et la scène ne fonctionne pas du tout. L’approche laconique de Friedkin échoue d’autant plus qu’il a beaucoup de personnages, peut-être trop à sa disposition. Ce qui faisait la grande force du Salaire de la peur de Clouzot, les rapports entre les personnages, a disparu. Le remake n’est donc pas à la hauteur de son modèle, bien qu’il rivalise esthétiquement. Hormis la faiblesse d’écriture des personnages, on a quand même affaire à du cinéma, du vrai, du bon, du fort.