John Huston
2014: année divertissante mais pas de chef-d'oeuvres
La fin d’année est l’occasion des palmarès. Je n’ai pas le sentiment d’avoir vu des chefs d’œuvre en 2014 mais quelques grands films divertissants. La procrastination m’a empêché d’écrire quelques chroniques, j’en profite pour me rattraper.
Top 2014
Interstellar de Christopher Nolan: c’est un film d’une ambition enthousiasmante, coupable hélas de relâchements scénaristiques embarrassants et d’une morale gnangnan (« l’amour plus fort que la relativité »). Je le place haut car Interstellar mélange avec virtuosité fin du monde, mythe de la frontière, Raisins de la colère (si si) et physique quantique. Je le considère comme une collision réussie entre John Ford et Steven Spielberg. Il part du postulat futuriste que la Terre devenant irrespirable il faut relancer la conquête spatiale pour trouver une planète habitable. Loin d’être désespéré, il est porteur d’une vision optimiste du futur. Lancée dans l’espace comme dans un nouveau Far West, l’Humanité s’en sortira. C’est de la science-fiction épique et positive, qui m’a totalement transporté. Interstellar a subi le même dédain critique en France que Gravity. Ce sont certes deux films commerciaux, tenus par des conventions, mais visuellement splendides et taillés pour le grand écran.
Boyhood de Richard Linklater: Mason, un garçon américain, est filmé de l’enfance aux débuts de l’âge adulte. On voit grandir le même comédien, Ellar Coltrane, dans les années 2000. Plus que par son procédé, Boyhood déroute car le personnage de Mason n’a rien d’extraordinaire et sa vie n’est aucunement romanesque. Mais le filmage sur le long terme a une force inattendue : non seulement voir grandir un garçon est intéressant, à la fois dans la transformation physique et dans l’exploration des choses anodines marquant une vie, mais c’est aussi passionnant d’un point de vue de genre tant les modèles masculins ont changé. Il est donc faux de dire que le film ne raconte rien, comme certains critiques ont pu l’affirmer. Si la mère (Patricia Arquette) est omniprésente, élevant seule Mason avec sa sœur Samantha, le modèle du père est multi face, en pleine mutation et en crise, Boyhood le montre très bien. Vu comme un homme jeune d’esprit et peu stable, souvent absent, Ethan Hawke est pourtant pour Mason un père complice, aimant et attachant alors que les autres compagnons de sa mère reproduisent un modèle virile autoritariste, borné, à l’ancienne, qui s’avère complètement défaillant. Un film riche de sens sous une apparence simple.
Eastern boys de Robin Campillo: j’apprécie les films qui à partir d’un sujet d’actualité parviennent à broder une trame très romanesque. C’est le cas d’Eastern boys qui débute en Gare du Nord, au contact d’une bande de jeunes clandestins d’Europe de l’Est. Daniel, un quinquagénaire solitaire joué par Olivier Rabourdin, aborde Marek (Kirill Emelyanov) et l’invite chez lui pour une passe. Attiré par Marek, il lui propose un échange régulier: du sexe contre des cadeaux. Seulement, quand la relation bien balisée se transforme en idylle, Daniel doit lutter pour arracher Marek à sa bande et à sa condition de clandestin. Eastern boys est un film surprenant, construit sur des ruptures, obligeant le spectateur à changer de regard en même temps que Campillo bouscule ses personnages. L’enjeu est simple : que Daniel, consommateur passif et calculateur, et que Marek, jeune de l’Est intéressé par l’argent, se libèrent de leurs places sociales et accèdent à l’humanité et à l’amour.
Gone girl de David Fincher : on peut avoir des raisons de détester cette machination un brin misogyne et bâtie sur des artifices de scénario. Moi j’ai plutôt eu des raisons d’y adhérer. A partir d’un scénario déjà vu – une femme disparaît, vraisemblablement tuée et son mari devient le suspect n°1 -, David Fincher a monté un film très sombre et très paranoïaque, à mon avis assez fidèle à l’ambiance de guerre des sexes et de voyeurisme médiatique qui prévaut aux Etats-Unis. C’est un film noir, genre que j’adore, où se bousculent les personnages tordus. Face à Nick, joué tout en simplicité bovine par Ben Affleck, Amy (Rosamund Pike) est une épouse machiavélique, la garce type du film noir mais pas seulement. C’est surtout un personnage de femme aliénée, victime qui réagit en monstre à la perversité qu’elle subit de la part des hommes et notamment de son inquiétant prétendant, Desi Collings, superbement joué par Neil Patrick Harris.
2014, en plus
De 2014, je retiens dans une moindre mesure Sils Maria de Olivier Assayas, l’occasion de découvrir face à Juliette Binoche une Kristen Stewart subtile et à l’aise dans un registre européen éloigné de Twilight. J’ai par ailleurs dit tout le bien que j’ai pensé de Timbuktu, des Combattants de Thomas Cailley et surtout de Under the skin de Jonathan Glazer, film rempli de visions sidérantes.
De cette année de cinéma, je n’ai pas tout aimé, loin de là. Mommy a été une déflagration d’émotions dont il ne reste pas grand-chose. Winter sleep, avec ses interminables rails de dialogue dans l’obscurité, a agi sur moi comme un puissant somnifère. Bande de filles m’a par moment enthousiasmé, le plus souvent déçu. Céline Sciamma n’a pas réussi à insuffler beaucoup d’intérêt dramatique à son film, malgré l’énergie et la beauté de ses comédiennes.
Que serait 2014 sans Rohmer ?
Enfin, que serait une année de cinéphile sans belles découvertes par la VOD ? L’amour l’après-midi d’Eric Rohmer (1972), est un bijou, probablement occulté par le Genou de Claire qui l’a précédé. Ce que j’aime chez Rohmer, c’est ce décalage permanent entre ce que disent ou font croire ses personnages et leurs désirs profonds. Ce sont en général les hommes qui se mentent à eux-mêmes. Ils sont poussés à se contredire par les femmes, maîtresses du jeu social. Dans ce beau film parisien, Frédéric (Michel Verley) est un homme marié qui se convainc lui-même qu’en ayant épousé Hélène, « il étreint toutes les femmes ». Il ne veut tout simplement pas s’avouer qu’il a envie de la tromper, quand arrive Chloé – Zouzou, mannequin star des années 60-70, toujours vivante, qui a bien connu Garrel, Brian Jones et l’héroïne.
Chloé a une beauté garçonne et désinvolte bien dans l’époque, qui séduit Frédéric. L’amour l’après-midi est un film débordant d’érotisme et de désirs mal dissimulés. Une scène m’a particulièrement amusé, celle de l’achat de chemise, malheureusement introuvable sur le web. On y voit Frédéric dans un magasin de mode, venu acheter un pull. La vendeuse, à la fois sensuelle et indifférente finit par pousser Frédéric à acheter une chemise de couleur vive. Toute la scène est bâtie sur le jeu corporel et la voix de la vendeuse qui arrive par petites impulsions à convaincre Frédéric de faire quelque chose qu’il n’avait pas envie de faire. Scène métaphore du pouvoir de suggestion des femmes pour Rohmer, annonciatrice de la relation entre Frédéric et Chloé.