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Timbuktu (Abderrahmane Sissako)

Timbuktu d'Abderrahmane Sissako est l’histoire d’une rencontre entre une ville historique de l’Islam (Tombouctou) et une mouvance fanatique de cette religion, le djihadisme. C’est un film que je craignais manichéen mais qui s’avère d’une douceur et d’une beauté peu communes pour un sujet aussi brûlant.

Une scène me paraît révélatrice de l’intention du réalisateur, celle de l’entrée des djihadistes dans la mosquée historique de Timbuktu, Sankoré. La caméra suit la traversée de cette mosquée par trois djihadistes, de pièce en pièce, jusqu’à leur rencontre avec l’imam. Ils marchent lentement, peut-être intimidés tandis que des fidèles prient. Ils viennent prendre possession des lieux et se réclament du djihad mais l’imam les enjoint à se montrer respectueux et à se retirer. Ils obéissent sans insister. Scène simple qui dit l’empiètement à la fois brutal et embarrassé de cet Islam-là dans un lieu structuré par la religion depuis des siècles - l’université islamique de Sankoré comptait 25000 étudiants au XVème siècle. Le film n’aura plus de cesse que de décrire dans la vie quotidienne cette rencontre paradoxale, à la fois pacifique et extrêmement violente entre deux mondes proches mais antagonistes. Une sorte de mariage forcé et voué à l’échec entre deux tendances d’une même religion : un Islam de paix, un Islam de guerre.

Résistance du quotidien

Ce qui m’a le plus surpris dans les premières minutes du film c’est l’absence de scènes violentes. Il y a bien au tout début la poursuite de la gazelle par une jeep ou le mitraillage de statues traditionnelles mais il faut attendre longtemps avant de voir de la violence contre des hommes. Rempli que je suis d’images mentionnant exécutions, mains coupées, lapidations, je découvre un film où les djihadistes sont d’abord décrits dans leur humanité. Il y en a qui parlent de football. Un autre apprend laborieusement à conduire un quatre-quatre. Ils sont maladroits, ils ont du mal à communiquer en arabe, ils n’ont rien d’impressionnant, mais ils ont des armes. On voit une milice acculturée, incapable de maîtriser une langue commune, essayer de prendre possession d’une ville riche de traditions et d’Histoire. On se sent désarçonné par l’absence d’images « choc » puis on se rend compte que la première des violences est celle des interdits (musique, cigarette, rencontres hommes femmes) et que ce qui intéresse Sissako est la résistance du quotidien, minuscule mais vivante, contre ceux-ci. De jeunes hommes jouent au football mais sans ballon. Une poissonnière refuse de mettre des gants pour manipuler ses poissons. Une mère refuse de laisser sa fille épouser un djihadiste. Évidemment la force s’impose petit à petit, la violence fait irruption dans les images, mais Sissako rend hommage à la résistance des gens modestes contre l’arbitraire.

D’où vient la musique, pour l’extirper

On peut être choqué de tellement de façons par la violence islamiste. Parmi tant d’autres, l’interdit de la musique a marqué ma perception de Timbuktu. Le Mali est une terre de musique qui fascine de nombreux artistes – je pense à Damon Albarn. La musique malienne, c’est comme un blues mélancolique et rythmé, un alliage de joie et de peine, qui dit la dureté de la vie et la patience qu’il faut pour la supporter. Kidane le touareg joue de la guitare. La voix d’une femme résonne dans la ville d’un chant mélancolique, tandis que les djihadistes cherchent d’où vient la musique, pour l’extirper. Il y a dans cet interdit une haine aveugle pour l’émotion et pour la beauté, qui terrifie. Un des djihadistes confesse d’ailleurs qu’avant de consacrer sa vie au djihad il faisait du rap. Les djihadistes, tout à leur rigorisme borné en veulent à la vie.

Dieu de pardon contre dieu de vengeance

Je ne dévoilerai pas l’épisode qui conduit à l’exécution de Kidane le touareg. Principal fil conducteur romanesque, il est révélateur de l’antagonisme qui se joue dans Timbuktu. Se sachant condamné, Kidane souhaite donner des nouvelles à Satima son épouse et revoir sa fille Toya. Le jury djihadiste l’écoute mais n’accèdera pas à sa demande. Aucun geste de tolérance ou d’humanité pour l’homme condamné, bien qu’il accepte son châtiment. La sanction est plus importante que tout le reste : l’homme sera exécuté, vite, selon les principes de la Charia. Ici s’est joué le combat entre un dieu de pardon et un dieu de vengeance, un dieu de vie contre un dieu de mort. Timbuktu, ville de beauté, de savoir et de tolérance était sans doute le plus beau décor pour mettre en scène cet affrontement déséquilibré.

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