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Ciné-club ambulant, voyage en cinéphilie - Page 44

  • Ma vidéothèque idéale : La dernière séance (The last picture show)

    Je me souviens qu’avant de me plonger avec passion dans Le nouvel Hollywood de Peter Biskind, je ne connaissais pas Peter Bogdanovich et son cinéma. Ce livre paru en France en 2002 le place dans cette génération de cinéastes majeurs qui a pris le pouvoir à Hollywood à partir de la fin des années 60. La saga de cette génération est un rêve de cinéphile qui englobe Scorsese, Coppola, Spielberg, Lucas, De Palma mais aussi les (un peu et hélas) oubliés Hal Ashby ou Bob Rafelson, dont j’ai chroniqué le très beau Five easy pieces.

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  • L'homme irrationnel: ni bien ni mal

    L’homme irrationnel est-il le meilleur Woody Allen de ces dix dernières années ? de ces vingt dernières années ? Va savoir ! J’en ai vu beaucoup (pas tous) dont certains ont provoqué du scepticisme autour de moi (Vicky Christina Barcelona que j’aime bien), de l’enthousiasme (Match point) voire de la franche déception (To Rome with love). Chaque année sort un nouveau Woody Allen et de cette marque de fabrique, il y a autant de raisons de s’agacer que de s’enthousiasmer. Chaque année, les acteurs sont convaincants, la bande son et la photographie sont soignées et chaque année le new yorkais nous invite à adhérer à une narration fabriquée. Evidemment tous les scénarios sont des fabrications sauf qu’avec lui les coutures sont apparentes, les ficelles sont visibles, la recette est ultra lisible.

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  • Sicario (Denis Villeneuve)

    Sicario de Denis Villeneuve est un film qui ne ménage pas ses effets pour impressionner le spectateur pendant 2 heures. La musique de Jóhann Jóhannsson est grandiloquente. La réalisation privilégie les plans longs et les mouvements de caméra amples – ah cette montée sur un toit au coucher de soleil pour observer Ciudad Juarez ! La photographie de Roger Deakins est magnifique. Le film est un bel objet dont le scénario et le propos m’ont paru problématiques (attention spoilers !). Je suis sorti de ce film à la fois impressionné et frustré.

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  • Straight Outta Compton: Fuck l'un peu lisse

    Pour un spectateur qui ignorerait tout de la culture hip-hop, y a-t-il un intérêt à aller voir Straight Outta Compton (F. Gary Gray), la saga des pionniers du gangsta rap Niggas with Attitude ? La réponse ne me paraît pas évidente passé la première heure posant le décor de cette aventure musicale. La deuxième phase de ce film un peu long (2h27) est consacrée à la gestion de la réussite des NWA, à leurs conflits d’affaires et aux difficultés à rester amis dans un contexte de compétition. Cela n’est pas désagréable à suivre mais laissera de côté ceux qui ne voient pas d’intérêt aux arcanes du rap business.

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    Faire partie d’un gang ou s’en sortir par la musique

    Au milieu des années 80, pour un jeune noir vivant dans un quartier pauvre comme Compton (Los Angeles), les options semblent peu nombreuses : faire partie d’un gang, vivre d’un petit boulot ou s’en sortir par la musique. Tandis qu’Eazy E. est un pur produit du deal et de la rue, Dr Dre, Ice Cube, MC Ren et Yella animent des soirées en boîte de nuit. Tout ce petit monde décide de mettre ses forces en commun pour percer dans l’industrie musicale. L’enjeu du film est la sortie du ghetto par la réussite capitalistique. Il montre bien que cette histoire est d’abord celle de l’absorption du rap hardcore, genre marginal, par l’industrie du divertissement. La question des origines du mouvement est beaucoup plus intéressante que celle de la gestion du succès et elle est brillamment filmée. La scène d’ouverture, assaut par la police d’une crackhouse se révèle la plus tranchante du film. A l’époque, la question de la criminalité des ghettos noirs se règle d’un point de vue policier et militaire, littéralement au char d’assaut ! Arrestations au faciès, violence et harcèlement policier : les jeunes noirs sont constamment mis sous pression. Il était donc normal qu’ils répliquent avec cette bombe musicale que constitue Fuck tha police. Cette chanson écrite par Ice Cube après un contrôle policier musclé a une puissance équivalente au Say it loud, I’m black and I’m proud de James Brown. L’adrénaline monte quand NWA, contre les avertissements de la police locale, décide de la jouer lors d’un concert à Detroit. C’est un fait, Straight Outta Compton stimule davantage quand il se met à parler musique. Il joue le clin d’œil  pertinent au spectateur dans quelques scènes réussies, quand un jeune rapper fiérot du nom de Snoop Doggy Dogg déboule pour poser son flow traînant sur Nuthin' But a G Thang ou que Tupac Shakur découvre la mélodie de California Love.

    Filles à foison et billets verts

    L’évocation des embrouilles contractuelles est moins convaincante. Elles sont de l’ordre de la petite histoire, celle de Eazy E, Ice Cube et de Dr Dre surtout et ne disent rien de nouveau : les pontes de l’industrie musicale sont des opportunistes et les producteurs comme Jerry Heller (Paul Giamati, pas au meilleur de sa forme) ont toujours de bonnes raisons d’entuber leurs poulains. Il manque à cette seconde partie un ton caustique et distancié sur ce qu’est devenu le gangsta rap, notamment sous la houlette de Dre. Le film l’effleure mais n’ose pas aller trop loin, peut-être parce qu’il est produit par les principaux protagonistes de la saga, Dre et Cube en personne. Le genre qu’ils ont fondé est devenu une caricature. De mode d’expression privilégié de jeunes en colère, il s’est converti en apologie des flingues, de l’argent et des filles faciles. Partant du premier album fondateur des NWA en passant par le révolutionnaire The Chronic, le genre atterrit dix ans plus tard dans les refrains accrocheurs mais cyniques de l’album 2001. Les jeunes stars arrachées au ghetto ont gouté aux filles à foison et au billet vert. Le film a du mal à assumer cette évolution. Il passe à côté des émeutes de Los Angeles (1992) sans en dire grand-chose. Il a aussi beaucoup de mal à rire du mode de vie caricatural des stars du rap. Les scènes de fête sont sages et plates si on les compare par exemple à la frénésie de débauche que Scorsese a mis dans Le loup de Wall Street. Un peu de vulgarité assumée et de flamboyance auraient rendu le film plus percutant. De même, on se demande si la scène où Dre s’engueule avec l’entourage de son sulfureux manager s’est vraiment déroulée de cette façon. Le film le décrit affligé par la violence de Suge Knight mais on peut se demander si la séparation entre les deux hommes n’est pas aussi une question de gros sous et si le passé n’est pas enjolivé par Dr Dre. Le personnage de Suge Knight, visiblement affilié aux gangs – il porte le rouge des Bloods – n'est pas approfondi. Entouré de gorilles, adepte d’un mode de vie saignant, il pouvait entraîner le film sur une pente moins reluisante. Mais les faits divers sont écartés de la belle histoire : mort de Tupac Shakur, rivalité West coast – East Coast, violences sur les femmes (avérées pour ce qui concerne Dr Dre) et règlements de compte divers. Le film se recentre sur l’amitié entre les fondateurs de NWA et sur la fin larmoyante d’Eazy E, convention obligée de tout biopic hollywoodien qui se respecte.

    Divertissant et un peu lisse

    Un biopic du studio Universal ne pouvait pas être le bras d’honneur de jeunes marginaux à la société américaine ni une célébration débridée d’un mode de vie pas du tout politiquement correct. On retiendra in fine que Dr Dre est un grand producteur et un brillant homme d’affaire et qu’Ice Cube est un mec franc et intègre. Confirmation pour moi que les rappers, si célèbres soient-ils, ne brillent pas par leur humilité ou par leur sens de l’autodérision. On peut donc aller voir ce film divertissant et un peu lisse pour sa musique et pour quelques bonnes scènes. Pour se préparer, s’envoyer dans les oreilles The Chronic, Doggy style de Snoop Dogg ou Compton, dernière production quatre étoiles de Dre. Et puis si on veut un éclairage plus politique sur le Los Angeles de cette époque, lire l’excellent roman 6 jours de l’écrivain Ryan Gattis (rentrée littéraire 2015) qui décrit les émeutes de Los Angeles du point de vue des gangs latinos. C’est un livre sanglant qui viendra combler à merveille la modeste minute de pellicule consacrée par le film aux émeutes de 1992.

  • Il était une fois la révolution : hommage nostalgique à Ennio Morricone

    Mes parents n’achetaient pratiquement pas de musique contemporaine, surtout pas de la pop ni du rock mais ils s’étaient offert les bandes originales de quelques films de Sergio Leone, composées par Ennio Morricone. Ils aimaient ces westerns italiens et nous ont transmis ça.  Dans mes souvenirs, ça ne passait que sur FR3 (comme les westerns de la Dernière séance). Quand c’était le mardi soir je pouvais les regarder jusqu’au bout mais un autre jour de la semaine, j’allais me coucher avec la frustration d’un petit quart d’heure de film et j’avais du mal à m’endormir.

    La voix sublime d’Edda dell’orso

    Je me souviens surtout de la pochette avec le pendu d’Il était une fois dans l’Ouest et de James Coburn sur la pochette d’Il était une fois la révolution (1971, en italien Giu la testa). Cette dernière bande originale m’a toujours fait quelque chose. Je l’associe bien sûr à ce film que j’aime mais elle peut s’écouter sans l’image. Le film est picaresque et mélancolique à la fois. Il évoque le dévoiement de la cause révolutionnaire, le fait de rester idéaliste alors que la lutte a été pervertie. Mais comme cette réalité est vue par les yeux d’un péon grossier et naïf (joué par Rod Steiger), il y a aussi beaucoup de moments truculents. La bande originale enchaîne donc les orchestrations solennelles, les plages mélancoliques et les tableaux fantaisistes. Giu la testa commence sur un ton grave et orchestrale, introduit par un thème sifflé le personnage de Sean (James Coburn) puis nous engloutit dans la mélancolie avec la voix sublime d’Edda dell’orso qui résume à elle seule la tristesse épique du film. Les thèmes développés dès l’entame reviennent mais l’instrumentation varie les plaisirs, passant sans cesse du léger au grandiloquent, du bouffon mexicain au mélancolique irlandais. Le film raconte l’épopée de personnages naïfs ou idéalistes pris dans le vacarme de l’Histoire. De multiples instruments visitent les mêmes phrases, alternant le grave (l’Histoire) et le léger (l’humain) comme dans le théâtral Marcia degli accatoni où se succèdent coassements, trompette, xylophone, orgue, cordes et chœurs. Autres moments magiques d’un disque qui s’écoute d’une traite : I figli morti, Scherzi a parte, Invenzione per John, Dopo l’esplosione.

    Voilà, je la trouve magnifique cette bande originale et on n’en fait plus des comme ça, sauf peut-être par clin d’œil post-moderne au western spaghetti. Il y a le kitsch des « Sean / Sean » qui font très 70s mais pour moi priment l’émotion pure et la nostalgie contenues dans cette musique.

  • Much loved

    Much loved de Nabil Ayouch surprend dès son entame par sa crudité et son approche frontale. On parle de trois prostituées, Noha (Loubna Abidar), Soukaina (Halima Karaouane) et Randa (Asmaa Lazrak) qui se préparent à aller à une fête organisée par des saoudiens. Les mots sont lâchés : « fric », « petite bite », « pouffiasse » etc. et l’une d’entre elles réclame du coca pour soulager son sexe qui risque de saigner. Le langage est cru : le quotidien de ces femmes n’a rien de romantique. Le réalisateur a choisi de nous le décrire sans aucune forme de misérabilisme glauque ou d’esthétisation hypocrite. La fête qui suit est un modèle de sobriété de la part d’Ayouch. Ce qui nous est montré n’est ni excitant, ni répugnant : il filme en équilibre entre deux pôles opposés. La caméra prend la position d’un témoin discret au milieu d’une fête. Des hommes qui ont de l’argent paient pour que des femmes pauvres se trémoussent et leur donnent du plaisir. C’est à la fois réaliste, vulgaire, consternant, ridicule et filmé à bonne distance pour éviter tout clin d’œil complaisant au spectateur.

    Un sujet politique

    Ayouch a probablement su qu’il tenait un sujet politique. Much loved apparaît dans un contexte de réaction islamiste, au sein d’une société fortement conservatrice. Il y a donc quelque chose de revigorant et de brutal à mettre en scène des femmes et des personnages aux marges de la société (il y a aussi des prostitués travestis) qui parlent de sexe et de dépendance financière aussi franchement. Comme elles le disent aux saoudiens, elles sont le pétrole du Maroc, ce sont elles qui rapportent du fric et elles n’en ont aucune honte. Quand elles rentrent de leurs fêtes en voiture, elles voient la réalité marocaine, celle d’une société pauvre et triste. Elles reversent à leurs proches qui bien sûr les condamnent mais acceptent l'argent. Elles vendent leurs corps à des étrangers, arabes du Golfe ou européens et cela résonne comme un symbole de la dépendance économique du Maroc et de ses habitants. On ne s’étonnera donc pas que le film ait été si mal reçu là-bas: le réalisateur a été menacé. Rehaussé par l’excellence de ses actrices (surtout Loubna Abidar), le film montre là son côté le plus intéressant. Il a même l’avantage de nous rappeler que le monde arabe n’est pas ce monde prude et pudibond que notre regard a fini par reconstruire, comme un contrecoup de l’islamisme. Les trésors du patrimoine littéraire arabe regorgent de textes érotiques mettant en scène  des sexualités débridées, ne l’oublions pas. C’est peut-être le sens de cette belle scène où le saoudien Ahmad récite un poème d’amour à Soukaïna. Cette culture a célébré la sensualité, n’en déplaise aux censeurs actuels.

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    Un romanesque sacrifié

    Hélas, Much loved n’est pas à la hauteur de son discours politique. Il a d’abord un problème de rythme. N’étant pas nourri de suffisamment d’aliments dramatiques, il alterne de façon monotone les séquences festives et le quotidien des prostituées. Il a tendance à se répéter, c’est flagrant. Ensuite, mettre en scène trois personnages puis un quatrième – Hlima la campagnarde – finit par peser sur les épaules du scénario. Le personnage de Randa est le moins réussi. Elle souhaite rejoindre son père en Espagne et elle a des tendances lesbiennes. Pourquoi pas mais Much loved n’a pas le temps de développer ce personnage, qui apparaît un peu superflu. En voulant développer chacune de ses figures comme un symbole des maux du pays, le film sacrifie le romanesque. Tout ce que nous voyons à l’écran est typique du cinéma sur les prostituées. Je pense surtout au magnifique Les nuits de Cabiria de Fellini. Comme dans ce chef d’œuvre de 1957, Much loved expose les thèmes du besoin d’amour des prostituées, de leurs superstitions, du rejet par leurs proches et de la violence qu’elles subissent des hommes. Mais il fait preuve de beaucoup moins d’originalité dans le récit que le film italien alors que l’interprétation de Loubna Abidar est pratiquement aussi bonne que celle de Giulietta Masina. La relation entre Noha et le client français qui lui déclare son amour n’est pas exploitée comme élément dramaturgique. C’est dommage. La relation de Noha avec sa sœur qui semble prendre le même chemin qu’elle n’est pas non plus approfondie. Encore dommage. Et que dire du personnage de Saïd, leur accompagnateur : qui est-il ? que pense-t-il ? Nous ne le saurons pas.

    Rien de tel néanmoins que la figure de la prostituée pour dire les maux d’une société en souffrance. Du jeune homme sans le sous au millionnaire, en passant par le vendeur de fruits, la putain a une fonction centrale qui la fait côtoyer et juger avec lucidité toutes les couches de la société. On ne pourra pas enlever cela à Much loved et à ses courageuses et formidables actrices qui même mauvaises n’auraient mérité de telles réactions de haine.