John Huston
Ma vidéothèque idéale : La dernière séance (The last picture show)
Je me souviens qu’avant de me plonger avec passion dans Le nouvel Hollywood de Peter Biskind, je ne connaissais pas Peter Bogdanovich et son cinéma. Ce livre paru en France en 2002 le place dans cette génération de cinéastes majeurs qui a pris le pouvoir à Hollywood à partir de la fin des années 60. La saga de cette génération est un rêve de cinéphile qui englobe Scorsese, Coppola, Spielberg, Lucas, De Palma mais aussi les (un peu et hélas) oubliés Hal Ashby ou Bob Rafelson, dont j’ai chroniqué le très beau Five easy pieces.
Dans le livre de Biskind, Bogdanovich est LE cinéphile dans cette génération qui l’était passionnément. Décrit comme un type assez snob et pédant qui révérait Hawks, Ford et Hitchcock et dont la carrière s’est enlisée dès le milieu des années 70, il faut lui rendre justice pour au moins deux films que sont La dernière séance (1971) et La barbe à papa (1973). Son dernier film en date, Broadway Therapy n’était pas si mal et nous rappelait son amour pour l’âge d’or de la comédie hollywoodienne. En regardant la liste et la notation de ses films sur 40 ans, on se dit qu’il mériterait bien une rétrospective à la Cinémathèque Française, ne serait-ce que pour le faire découvrir au public français.
Un style européen, moderne
La dernière séance est l’adaptation d’un roman de Larry McMurtry. Dans la petite ville d’Anarene au Texas, Duane (Jeff Bridges), Sonny (Timothy Bottoms) et Jacy (Cibyll Shepherd) s’ennuient à mourir. Duane et Sonny sont des habitués du bar de Sam the lion (Ben Johnson), un ancien cowboy nostalgique de sa jeunesse. Sam tient aussi un cinéma qui est le lieu d’évasion et de rencontre pour les jeunes de la ville. En chroniquant la vie étriquée, l’espoir de partir, le désir, le ridicule des adultes, le scénario évoque avec tendresse l’apprentissage de la vie et la fin de l’adolescence dans une petite ville du Texas. Comme l’évoque Biskind dans son livre (page 129) : « Cette histoire elle aussi 100% américaine pouvait être transfigurée par un style européen, moderne, une façon française d’aborder les étranges mœurs sexuelles américaines ». En matière de mœurs sexuelles, le scénario sait se montrer cru et impudique sans jamais tomber dans le voyeurisme. Plusieurs scènes sont vraiment drôles, présentant les paradoxes d’une société où on a le droit de peloter les seins de sa copine dans un pickup tout en préservant sa fameuse virginité pour le mariage. Le mariage est d’ailleurs particulièrement malmené par le scénario. Il est source de désespoir pour les femmes, comme l’incarnent les personnages de desperate housewives avant l’heure, joués par Ellen Burstyn et Cloris Leachman.
Toujours tendre, jamais aigre
Le style européen, français mais aussi le néoréalisme italien ont d’évidence guidé le projet artistique. Dès le premier mouvement de caméra, un lent travelling sur une main street déserte et balayée par le vent, on sait que le film ne montrera pas une réalité glamour. Le monde de rêve des studios américains, celui de Doris Day, est bien loin. On pense aux Vitelloni de Fellini, chronique d’une petite ville italienne dont les jeunes aimeraient partir. Le noir et blanc choisi par le directeur de la photographie Robert Surtees met en relief la pâleur, la poussière omniprésente, la vétusté des bâtiments et des intérieurs. Et que dire des paysages ? Il n’y a aucune perspective, aucun horizon véritable dans les plans du film. Les paysages grandioses du western – on est quand même au Texas – se dérobent au regard. On ne voit pas de chevaux sauf à travers les souvenirs de Sam the lion et quand on s’arrête la nuit pour contempler la plaine à travers son pare-brise, on fixe les lumières des puits de pétrole. C’est un monde en fin de course qui nous est représenté et seuls les visages des jeunes mettent de la luminosité dans ce tableau. Avec son visage juvénile, sa peau blanche, ses cheveux dorés qu’on a envie de caresser, Jacy (Cybill Shepherd) représente la seule image de beauté dans ce monde rude et fatigué mais elle est la première à vouloir s’arracher à cette ville sans âme. Son portrait est certes moins reluisant que celui de Sonny (elle est menteuse et manipulatrice) mais qu’a-t-elle de plus que ses charmes pour s’en sortir ? Le monde d’Anarene et de ses petites gens n’est heureusement pas à jeter à la poubelle. Le film est toujours tendre, jamais aigre. Sans cesse bercé par la musique (omniprésence de la radio, du jukebox, des disques), c’est le monde attachant des teenagers qui rêvent d’un ailleurs plus excitant mais dont certains restent car ils ne peuvent pas faire autrement.
Nostalgie
La dernière séance est un film sur l’ennui où on ne s’ennuie jamais. Sa grande force réside dans le jeu subtil de ses jeunes acteurs et dans un ton nouveau qui tranche avec le cinéma poussiéreux des studios à l’époque en plein marasme. Le scénario de Bogdanovich et McMurtry est en plus assez habile pour s’adresser à la fois aux jeunes et aux adultes, aux modernes et aux classiques. Aux uns il parle sur un ton libre de frustration sexuelle et d’évasion, aux autres il évoque un mode de vie aventureux et sauvage qui a hélas disparu avec la modernité. Ce monde de cowboys n’existe plus que dans les souvenirs de certains et dans les westerns. L’écran de cinéma tranche par sa netteté et par l’éclat de son image. Le réalisateur cinéphile y montre quelques extraits de La rivière rouge d’Howard Hawks, avec des gros plans de cowboys allègres. Avec la fermeture de la salle de cinéma, la nostalgie du film se double d’une nostalgie pour le passé hollywoodien. Bogdanovich est et restera un grand nostalgique du cinéma classique. La télévision arrive, avec son écran minuscule et c’est un autre monde qui naît. Il est amusant de constater que le Texas, dix ans après La dernière séance sera le décor de la série emblématique des années télé, Dallas (ton univers impitoyaableuh !).