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Steve Jobs

Je viens le plus souvent au biopic par affinité avec un univers esthétique. Amy, Love & mercy ou Get on up, la bio sympathique de James Brown, ça m’intéresse a priori, tout comme Mishima de Paul Schrader. Par goûts personnels donc, je me fous de la bio de Lady Di mais pas de celle d’Ian Curtis, l’excellent Control d’Anton Corbijn. Après il y a des films sur des personnages qui ne m’intéressent pas a priori mais qui dépassent complètement la vie d’une personne et sont d’abord la vision d’un auteur. The Aviator et son Howard Hugues névrosé, c’est du Scorsese pur jus, j’adore. Saint Laurent, c’est un univers esthétique magnifié par Bertrand Bonello. Et The Social Network ? Hé bien j’en parlerai plus bas.

Du côté des coulisses… l’envers sombre du décor

Il y a une originalité à reconnaître dans Steve Jobs, c’est d’avoir choisi trois moments de la vie du créateur d’Apple, chaque fois des lancements de produits révolutionnaires et de les avoir exploré du côté des coulisses personnelles sans aucune bienveillance pour le personnage. Steve Jobs a révolutionné la communication sur les produits de nouvelle technologie, c’est certain. Ses keynotes, moments de communion avec des consommateurs transformés en fans, étaient des prêches mettant en vedette l’ergonomie des produits Apple et leur force d’innovation sur la vie courante. On ne verra pas les keynotes mais on découvrira l’envers sombre du décor. Steve Jobs était un personnage tyrannique, arrogant et paranoïaque. Le scénario d’Aaron Sorkin est assez malin pour faire un constant parallèle entre le personnage et sa philosophie de l’informatique. Il milite pour les systèmes fermés, sur lesquels on ne peut ajouter ni logiciels ni matériel, symptôme de son refus à coopérer avec les autres et de sa volonté de toute puissance. De même, le personnage semble « bugger » sans cesse sur les mêmes problèmes, en 1984, en 1988 et en 1998. Il est enfermé dans les mêmes blocages qui l’empêchent d’être un être humain normal. Il refuse de se reconnaître le père de Lisa. Il refuse à la mère de sa fille une vie digne alors qu’il est multimillionnaire. Il refuse à Steve Wozniak (Seth Rogen), cofondateur d’Apple, la reconnaissance qu’il mérite. Moment touchant et bonne idée d’écriture quand le personnage se décrit à la fin comme « mal conçu dès le départ », comme on décrirait un système informatique.

bavard avec des procédés répétitifs

Dans la forme, le film donne à fond dans une théâtralisation de la mise en scène où chacun vient à Jobs et lutte pour obtenir quelque chose de lui. Mon impression mitigée tient aussi à son aspect mécanique : chacun revient sur scène pour rejouer le même acte, dire les mêmes choses. Steve Jobs est donc un film très bavard et fait de procédés répétitifs, qui tient surtout par la performance de ses acteurs. Si Michael Fassbender fait de son Jobs un tyran shakespearien assez réussi et si Kate Winslet est tout à fait convaincante en fidèle directrice marketing, le film a du mal à insuffler un intérêt dramatique ailleurs que dans la relation que Jobs entretient avec sa fille, qui évolue au fil du temps. La deuxième séquence, celle de 1988, lancement de Next, m’a même paru assez boursouflée, retraçant à coups de flashbacks surdramatisés le moment où Jobs s’est fait virer d’Apple par Sculley (Jeff Daniels). C’était triste pour lui mais l’intérêt cinématographique de la séquence ne m’a pas sauté aux yeux. On notera un infléchissement du personnage au fil du temps et une forme de contrition, pas vraiment originale pour ce genre de film mais qui a le mérite de mettre un peu de la chair sur la frénésie verbale du film.

Ici ou là, on évoque le scénario et les dialogues brillants d’Aaron Sorkin. J’avoue avoir un faible pour deux films qu’il a écrits : le Stratège (Benett Miller) et bien sûr The Social Network (David Fincher), qui sont des films très bavards aussi. Mais ils m’ont beaucoup plus enthousiasmé que Steve Jobs car ils étaient pour moi des vraies-fausses biographies, dépassant largement leurs dimensions de biopic. Le Stratège, c’est quoi ? Au premier degré un film sur un entraineur ayant révolutionné le baseball, sport abscons dont je me fous totalement, et mettant en scène des mecs qui parlent dans des bureaux sur la façon de gagner des matchs. C’est un film passionnant sur la mutation récente du capitalisme, basée sur la maîtrise des données et de l’information. The Social Network, c’est quoi ? Au premier degré l’histoire d’un petit con arrogant et incapable de se faire des amis, qui monte un célèbre réseau social, parmi les services les plus marquants de l’époque contemporaine. C’est surtout une saga faite de trahisons, de paranoïa et de millions de dollars illustrant parfaitement aussi ce capitalisme nouveau, ultra-spéculatif et faussement cool. Autrement dit les aspects personnels passent au second plan. C’est ce que Steve Jobs, qu’on peut voir comme une annexe de Social network, n’arrive pas à atteindre. A la fin, on en revient comme d’habitude à l’histoire personnelle, forcément touchante, ayant forcément un lien avec une filiation problématique (Jobs a été adopté…).

Manque d’une dimension épique

Il faut qu’à un moment on se dise que l’histoire d’un individu célèbre dépasse la petite histoire personnelle. Que l’héritage laissé engloutisse le côté anecdotique d’une vie. Que le film offre une perspective plus large. Sur ce point, je ne suis pas sorti convaincu du film de Danny Boyle. Le conseillerais-je à mes parents qui ne connaissent rien à Steve Jobs et à l’informatique ? Je ne suis pas certain que le film, traitant d’un personnage avec lequel ils ont peu d’affinités, les intéresserait. Toute vie est intéressante, certes, mais encore faut-il qu’elle soit racontée d’une manière qui touche des non-initiés. Or Steve Jobs a pour moi un problème de dimensions. Il est trop confiné, au sens propre comme au sens figuré, pour intéresser au-delà du milieu high-tech et des familiers du personnage. Il ne suffisait pas d’introduire le film par une interview d’Arthur C Clark, écrivain de science-fiction et futurologue pour en faire un grand film sur l’emprise des nouvelles technologies. Il m’a manqué une dimension épique qui transcende l’histoire personnelle de Steve Jobs.

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