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Sirat (Oliver Laxe)

Le mouvement long, la pulsation mécanique, l’alternance de calme et d’explosion, le minimalisme : l’esthétique de cinéma déployée par Oliver Laxe se confond avec celle de la musique techno. Les premières minutes alternent des plans larges sur des flancs de montagnes ocres et des plans serrés sur des amplis. Des bras assemblent et branchent des colonnes de machines qui formeront une cathédrale projetant un son gigantesque sur les hauteurs monumentales. Nous sommes dans une rave, quelque part au Maroc. Une foule hybride d’hommes, de femmes, de tatoués, de marginaux, d’éclopés danse frénétiquement, en communion collective, tandis que Luis (Sergi Lopez) cherche sa fille Mar en compagnie de son fils Esteban. Elle se trouve quelque part, pas dans cette fête mais peut-être dans une rave qui se situe plus au Sud.

Sergi Lopez est la seule « star » du film et le reste de la distribution est composé d’acteurs amateurs. On sait par la presse que Richard Bellamy (Bigui), Stefania Gadda (Stef), Joshua Liam Henderson (Josh), Tonin Janvier (Tonin), Jade Oukid (Jade) sont des gens venant de l’underground, habitués des raves. Ce sont des visages et des corps marginaux, "documentaires" dans le sens où on n’a pas l’habitude de les voir au cinéma. Quand Luis / Sergi Lopez décide de suivre en voiture ces nouveaux compagnons qui partent plus au sud, vers une autre rave, son personnage se dissout progressivement dans un collectif. Il apparaît comme une pièce rapportée, incarnant un mince fil narratif qui s’effiloche au fur et à mesure de la fuite du groupe. Le scénario et les dialogues sont évasifs, au mieux allusifs. On ne sait pas si la fille de Luis a fugué, s’il y a un conflit familial à résoudre. On ne sait pas qui est Luis à part qu’il est espagnol, encore moins ce qu’il fait dans la vie. On apprend par la radio qu’une guerre est en cours, sans doute sur le continent européen mais on ignore qui en sont les protagonistes.

Sirat a tout d’une allégorie du monde contemporain. Le minimalisme esthétique et l’absence de psychologie des personnages invite le spectateur à l’interprétation. Il peut pourquoi pas s’y retrouver dans quelques références cinéphiles. La fuite en camions dans un paysage désertique et nu nous a fait penser à Mad Max, d’autant que la guerre en cours augure d’une apocalypse mondiale. On pense un peu aussi à Gerry de Gus Van Sant avec ses personnages qui marchent dans le désert et cherchent quelque chose mais on ne sait pas quoi. Sirat est-il un film mystique ? Il en porte quelques traces, comme cette image télévisuelle de La Mecque, sa foule de croyants tournant autour de la Kaaba. Mais il n’invite pas vraiment à la contemplation mystique ou à la retraite spirituelle. Débordant d’images renvoyant à la brutalité du réel, il semble nous inviter au contraire à saisir la matérialité d’un monde en pleine catastrophe. Le désert, le sable, les cailloux figurent un monde asséché et dépeuplé, à la nature détruite, que traversent des humains marginalisés, nomadisés, abîmés dans leurs chairs comme le sont Tonin et Bigui à qui il manque un pied et une main. Cette petite troupe marginale qui va de rave en rave, qui vit de débrouille et de récupération constitue l’humanité en survie, à laquelle Luis le bon père de famille est contraint à se joindre. Le son d’une guerre au loin justifie l’exode, la fuite qui semblent le seul recours pour l’Humanité.

Scénaristiquement, le film assume sa sécheresse. Les dialogues et les jeux d’acteurs sont minimaux. Il est davantage question d’une suite d’événements qui percutent le spectateur que d’une intrigue. La bande son techno imprime au film ce mouvement perpétuel et mécanique, comme un fond sonore qui tout d’un coup s’amplifie, explose. Est-ce qu’il y a un sens à tout ça ? Une communauté solidaire se constitue en se mettant en mouvement vers un but incertain (trouver une fête aux confins du Maroc et de la Mauritanie) et sur le chemin est confrontée à l’arbitraire de la mort. On ne donnera pas de détails mais la mort arrive de manière sournoise, injuste et les personnages semblent démunis, incapables d’y faire face. La vie sur terre n’apparaît pas comme un chemin avec un sens, une rédemption possible mais plutôt comme une suite de pièges cruels.
 
Sirat est donc un film dur et brut qui happe le spectateur dans son mouvement et sa musique, tout en restant opaque dans son propos et assez simple d’un point de vue romanesque. De par son caractère nihiliste et déroutant, ses échos lointains de la violence guerrière, c’est une œuvre symptôme d’un certain désarroi occidental. On espère qu’elle n’a rien d’un mauvais présage.

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