John Huston
Eddington (Ari Aster)

C’est à Eddington, petite ville fictive du Nouveau Mexique, qu’Ari Aster décrit les vives tensions qui traversent la société américaine au temps du Covid-19. Surprise : ce cinéaste issu du film d’horreur (Hérédité, Midsommar) se tourne vers la description réaliste de la petite ville américaine, son shérif débordé et anti-masque (Joaquin Phoenix) gérant une épouse perturbée (Emma Stone), son maire d’origine hispanique (Pedro Pascal), visiblement Démocrate et pro-mesures sanitaires, ses jeunes chauffés à blanc par le mouvement Black Lives Matter etc. Ce récit s’inscrit dans une longue tradition du cinéma américain : l’horreur surgit dans la quiétude d’une petite ville sans histoire et va avoir des effets irrémédiables. On peut convoquer tant de films, de l’Invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel (1956), aux Gremlins (1984), à la série des Scream (1996)… à Rambo (first blood) dont la dernière séquence de fusillade entre en résonance avec celle d’Eddington.
On sent chez Aster une volonté de témoigner des maux de l’époque, d’y coller au maximum, sans doute trop : isolement, polarisation, défiance et paranoïa. Le tout exacerbé par les écrans qui sont omniprésents. On les consulte pour chercher une vérité alternative, on les sort et on filme pour revendiquer et témoigner, voire pour se protéger des autres ou des institutions. Alors que les médiations sociales sont inopérantes (plus personne ne se fait confiance), que la petite communauté d’Eddington se délite, les écrans deviennent pour les gens la garantie d’une vérité incontestable. Pendant la première moitié du film, le scénario sature le spectateur d’informations et de situations antagonistes. C’est une logorrhée qui enfle et produit un sentiment d’exaspération. Tout se déverse de manière confuse : Covid, George Floyd, Black Live matters, théories du complot, rumeurs pédophiles etc. Malgré ou à cause de ce trop-plein, les séquences s’étirent et produisent de l’ennui. Le film peine à faire vivre ses personnages alors que le casting est de haute volée. Il est dommage qu’Emma Stone ne puisse incarner qu’un personnage terne d’épouse traumatisée, dont on ne connaîtra pas grand-chose. De même, Austin Butler joue une sorte de gourou séduisant mais qui ne fait que passer. A part le shérif Cross, les protagonistes d’Eddington ne sont que des coquilles vides, comparables à des trolls de réseaux sociaux guidés par des affects négatifs. Aucun ne suscite d’empathie ou d’intérêt, ce qui affaiblit le propos du film.
Ne supportant plus les mesures anti-covid, dont le port du masque, Joe Cross se porte candidat à la mairie contre la réélection de Ted Garcia. En se focalisant sur cet homme influençable et à la santé fragile, Aster donne du crédit à une population de gens modestes qui avec les mesures sanitaires déplorent l’effacement des liens communautaires, paniquent aussi et finissent par se tourner vers le pire, en gros la politique à la Donald Trump. A Eddington, il est aussi question de l’installation d’un datacenter consacré à l’IA, qui va occuper des terres de la commune et suscite des oppositions quant à son impact écologique. Il y avait donc un sujet de fracture à approfondir, entre les réflexes de peur et de conservation portés par Cross et la volonté de modernisation impulsée par Garcia. En plus de restituer le chaos, le film pouvait se positionner sur le terrain de la confrontation politique mais cela nécessitait de sortir des effets pompiers du film d’horreur, de développer un personnage comme celui de Ted Garcia, hélas sacrifié par le scénario.
De plus en plus seul, Joe Cross finit par péter les plombs dans une seconde partie en roue libre, une explosion de violence qui tient du grotesque et de l’invraisemblable. L’agacement que cela produit est décuplé par le jeu d’acteur énervant de Joaquin Phoenix, toujours le même à chaque film et qui phagocyte tous les autres. J’en ai assez de l’incarnation du pauvre type stupide et bégayant, les yeux exorbités, en pleine dégénérescence. Ce personnage caricatural, incapable d’une réflexion politique, même pas fichu de tenir un discours d’aspirant à la mairie, est sans doute un reflet réaliste de la base MAGA de Donald Trump qui ne s’est construite que sur de la rage. On pourra toujours dire qu’Eddington restera comme le portrait franc et édifiant de l’Amérique trumpiste (une véritable horreur), il n’en est pas moins lourd, long et démonstratif. Un pensum en ce qui me concerne.