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Titane (Julia Ducournau)

Dans son discours de remerciement pour la palme d’or cannoise, Julia Ducournau parle de la chance qu’elle a eue de pouvoir créer le monstre qu’est Titane. Dans mon souvenir, elle répète qu’il n’est pas parfait, que la perfection n’est pas atteignable mais qu’elle y a mis tout son cœur. Je la crois sincère et ayant prévu d’aller au cinéma ce soir-là, je renonce à Benedetta de Verhoeven pour aller découvrir la sensation cannoise toute fraîche. J’avais vu et critiqué Grave qui m’avait « secoué », c’est le terme employé dans l’article mais j’avais pointé déjà quelques limites d’écriture : une difficulté à utiliser le temps et à écrire des personnages intéressants. Titane comporte les mêmes défauts qui cette fois-ci excèdent largement ses qualités et nous font penser que soit cette palme est un coup, soit la sélection de cette année n’était pas suffisamment forte.

Jouant sur les métamorphoses « monstrueuses » d’Alexia (Agathe Rousselle), son personnage principal, Titane est un conte. Suite à un accident de voiture causé par son père, on pose à cette enfant une plaque de titane près du cerveau. On la retrouve quinze ans plus tard en stripteaseuse farouche agressée par un fan. Terrifiée par le sexe, elle se transforme (spoiler) en serial-killeuse enceinte puis prend l’identité d’un garçon disparu. Elle devient alors Adrien (!!!), un jeune soldat du feu au comportement aussi étrange que celui de son nouveau paternel, un commandant de pompiers au bout du rouleau joué par Vincent Lindon. On se retrouve dans une sorte de Peau d’Âne qui multiplie les thèmes transgressifs contemporains : terreur et attirance incestueuse vis-à-vis de la figure paternelle, dégoût de la sexualité hétérosexuelle et de la maternité, fusion de la chair humaine avec la machine, fluidité du genre et trans-identité. J’évoque le film de Jacques Demy à dessein, Alexia fuyant un père toxique et changeant d’identité / de peau comme la Princesse du conte. Les références plus évidentes sont connues depuis que le film a été montré à Cannes : Crash de Cronenberg (la chair et le métal) ou Alien (la maternité monstrueuse, le crâne rasé d’Alexia comme celui de Ripley).

Beaucoup de scènes visent le choc et je ne citerais que celle où Alexia décide de changer son visage pour ressembler à Adrien, qui est difficile à regarder. Bizarrement, malgré la débauche de violence et la multiplication des plans sur le corps déformé, meurtri, cicatrisé de l’héroïne, le film n’est pas cette expérience limite et sidérante qu’on veut bien nous vendre. Il est même bien inférieur à Grave qui provoquait plus facilement l’identification grâce à son thème initiatique. La photographie et l’utilisation des thèmes musicaux ne sont pas très originales ni marquantes. Plus que la terreur, c’est parfois le fou-rire qui domine dans certains plans gore et cela semble voulu. Titane est donc un film très chargé en motifs transgressifs, en scène agressives mais qui à force d’enflure provoque une certaine indifférence, le fameux « tout ça pour ça ! »

C’est la réalisatrice qui a écrit et dialogué le film et les défauts d’écriture déjà évoqués pour Grave sont hélas exacerbés dans celui-ci. L’absence de toute psychologisation, même minimale, fait qu’on s’intéresse assez peu au personnage d’Alexia. Agathe Rousselle la joue tellement farouche et glaciale qu’à aucun moment son personnage ne suscite de compassion. Et pourtant que de tourments charnels et psychiques ! Quels sont ses rapports avec son père joué par Bertrand Bonello ? Comment sont survenues cette terreur du sexe et cette pulsion de violence ? A partir du moment initiatique de l’accident de voiture, le spectateur est prié d’accepter le monstre qu’est déjà la jeune femme. Le film n’est alors plus qu’un programme monstrueux à dérouler, à coup de scènes chocs et de broches enfoncées dans le crâne, comme si la cinéaste avait projeté de manière brute les fantasmes qui la travaillent mais sans leur donner de liant narratif solide. Si le changement de genre et la polarisation des représentations entre ultra-féminité (la stripteaseuse) et ultra-virilité (les pompiers) est ce qu’il y a de plus réussi, le thème du mariage entre chair et mécanique est trop superficiel, pas assez approfondi pour être mémorable. Il faut revoir Crash de Cronenberg et lire le roman de J. G. Ballard dont il est adapté. Les deux sont des expériences assez troublantes et malsaines, parlant de la fusion entre orgasme et douleur provoquée par les accidents de voiture.

Crash avait été prix spécial du jury en 1996 et il avait mis mal à l’aise le jeune spectateur que j’étais. A cette époque, il y avait sûrement des vieux types comme moi aujourd’hui qui trouvaient ça bizarre et pas vraiment réussi comme Titane. Mais pour l’instant, que ce film de genre surchargé et froid fasse une palme d’or monstrueuse tout à fait légitime, cela me paraît une idée saugrenue.

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