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Grave (Julia Ducournau)

Justine (Garance Marillier) a été élevée par ses parents, vétérinaires et végétariens, dans l’horreur de la viande. Elle intègre une école de vétérinaire où elle retrouve sa sœur Alexia (Ella Rumpf) et sympathise avec Adrien, un garçon de milieu modeste (Rabah Nait Ouffella). Elle est plongée dans la période du bizutage, faite de rites bestiaux (manger des abats d’animal mort) et de libération sexuelle. La séquence de la première soirée d’école dévoile le programme du film : le corps gracile de Justine, assourdi par la musique, bousculé par les danseurs, est projeté dans un monde chaotique de désirs.

La jeune comédienne joue avec justesse ce personnage protégé de première de la classe, livrée innocente à des rites de passage, et qui va se révéler « anormale ». Si la demoiselle s’appelle Justine, comme l’héroïne de Sade, c’est qu’il est question d’initiation. Initiation d’une innocente à son propre corps, à la chair, la sienne et celle des autres.  Justine se transforme et cela passe d’abord par le visage de son interprète. Garance Marillier peut montrer celui d’une vierge comme celui d’une louve. Ses grognements de désir, son corps en convulsion filmé en gros plan préludent à une mue digne d’un film de loup-garou. Grave effleure Twilight ou les films de vampire, en les mariant à la crudité physiologique d’un Cronenberg. Mais objet insolite et « auteur », il ne franchit pas la frontière menant au genre fantastique car Justine reste un personnage humain auquel le spectateur peut s’identifier. Il y est beaucoup question d’un corps travaillé par des pulsions irrésistibles et des injonctions à la normalité. Le scénario ne pouvait choisir meilleur contexte pour cela que l’ambiance conformiste et oppressante d’un bizutage d’école, moment où vous presse de rentrer dans un moule. Moment paradoxal où une jeune femme doit se conformer à des modèles de comportement tout en libérant sa sexualité. Le cannibalisme opère comme une amusante métaphore d’un désir incontrôlable et insatiable de sexe !

Grave m’a secoué

J’avoue : j’ai été une petite nature. Au moment où Justine se mord le bras pour ne pas avoir à manger Adrien, je ne sais pas si c’était la fatigue, la température de la salle ou bien la mise en scène oppressante mais j’ai eu un coup de chaleur. La tête qui tourne, les jambes qui flageolent. Ça m’est déjà arrivé en salle pour d’autres films (bizarrement jamais des comédies romantiques), comme Irréversible (Noé) ou Idioten (Lars Von Trier). J’avoue : Grave, premier film de Julia Ducournau m’a secoué. L’approche frontale évoque celle de Gaspard Noé. Quand apparaît le titre, lettres capitales assénées sur fond rouge, semble se confirmer une filiation avec le réalisateur de Love. Mais les effets paroxystiques rappellent surtout Argento ou De Palma. L’utilisation des couleurs, de la musique, des images malsaines exacerbent la sensation d’angoisse. Cinéma tout en impact sensoriel donc, qui a plus de difficultés à se construire en récit « classique », à mener une progression temporelle vers l’horreur. Le film se passe le temps d’une période de  bizutage mais il est impossible d’en mesurer la durée : une semaine, un mois, plus ? De même, les relations entre Justine et sa sœur puis entre Justine et Adrien se font à coups de scènes mal raccordées, s’enchaînant en un rythme heurté, sans doute voulu. Flottant hors d’un temps logique, Grave est construit d’une suite de séquences de plus en plus gore, où la poussée dans la transgression tient lieu de progression narrative.  Au rayon des références, notons que Cronenberg, qui a aimé le film, est cité par la cinéaste. Mais disons-le tout de suite : contrairement au canadien, Ducournau ne sait pas se faire insidieuse et son jeune cinéma échoue dans les moments creux de la narration. La scène de la station-service, où Bouli Lanners incarne un camionneur au comportement malsain, ne produit qu’un effet gratuit de bizarrerie. Grave est donc faible dans ses temps morts mais puissant quand il s’agit de choquer (la scène de l’épilation, celle des corps maculés de peinture). Il reste maintenant à laisser décanter ce film très insolite dans le cinéma français, voir ce qu’il en restera dans quelques semaines. Idée aussi, sur l’usage du cannibalisme : revoir et comparer avec Trouble Every Day de Claire Denis.

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