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Nomadland (Chloé Zhao)

Les motifs du nomade, du vagabond traversant les Etats-Unis, tout cela nous ramène à Kerouac, à Sur la route, aux Clochards célestes et aux pionniers aussi. Des gens jeunes ont tout quitté pour trouver la terre promise ou un endroit où vivre provisoirement. Le territoire est immense, sans limite, la frontière est sans cesse repoussée. Je me souviens de Sal Paradise le héros de Kerouac qui ne peut jamais se fixer quelque part, un jour une récolte avec des migrants mexicains, un autre jour retrouvant des amis vagabonds. La route devient un but en soi, surtout ne jamais se fixer quelque part. Les nomades de Chloé Zhao sont à l’intersection entre ce mythe très américain et quelque chose de beaucoup plus sombre, la dépression économique. Contrairement aux hobos mythiques et jeunes qui peuplent cet imaginaire, les personnages de Nomadland sont des gens âgés ou proches de la retraite. On comprend qu’ils sont d’un poids négligeable pour le système économique qui les utilise de manière intermittente.

2011. Fern (Frances McDormand) a quitté Empire, ville quasi fantôme du Nevada depuis que l’usine locale a fermé. Son mari Bo est décédé, ils n’ont pas eu d’enfants. Elle décide de devenir une nomade au volant de son van. Elle rejoint un entrepôt Amazon pour la période de Noël puis participe à des récoltes plus au Sud. Elle fait dorénavant partie d’une amicale de nomades souvent du même âge qu’elle. Entre ces êtres aux parcours singuliers, seule compte l’entraide et l’écoute. Ils apprennent ensemble à survivre sur la route et à devenir autosuffisant. On ne sent pas de révolte ou de volonté revendicative contre un système qui plonge les gens dans la précarité. On a reproché à Chloé Zhao de ne pas se mouiller et de montrer une forme de résignation. C’est vrai que le film a un côté cotonneux et mélancolique, effectivement fataliste. Ces gens sont-ils contraints ou bien libres d’assumer ce mode de vie nomade ? Zhao se refuse à trancher et préfère développer ses portraits dans leur singularité individuelle. Chacun porte le poids de ses souvenirs de sa vie d’avant, chacun a ses raisons d’avoir adopté ce mode de vie. Nomadland se regarde comme un documentaire esthétique sur l’intimité des naufragés de la récession.

Sans doute les gens décrits ici, la plupart baby-boomers ont largement adhéré au système capitaliste. Fern a travaillé comme cadre RH de l’usine de plâtre d’Empire. Le scénario montre qu’elle a toujours été indépendante et un peu excentrique. Finalement ce mode de vie lui convient même s’il comporte des moments difficiles et qu’il dépend en grande partie de solidarités individuelles ou familiales. Frances McDormand, toute en retenue et en moues dubitatives, joue une femme qui s’est résignée à son statut d’individu seul dans l’immensité des plaines. Elle pourrait se retrouver une famille et des liens mais elle opté pour la solitude. Cette vie n’a pourtant rien de formidable : endurer le froid, le manque d’argent, la dépendance aux petits boulots sans lendemain. C’est une réalité très dure que la cinéaste enrobe un peu trop dans la poésie et dans une perspective de choix individuel.

Nomadland ne cherche pas à exprimer quoi que ce soit de politique et contestataire mais plutôt à décrire ce qu’est aujourd’hui le Far West pour des américains modestes et sincères. Les moyens qu’elle met, prises de vue amples, focalisation sur les paysages désertiques, teintes mélancoliques, accentuent la solitude des grands espaces. C’est l’Amérique du grand vide qu’ont affronté les pionniers qui aujourd’hui sert de cadre aux nouveaux nomades contemporains. Le mythe est toujours là mais comme vidé de son énergie du passé. La réalisatrice a nimbé son film d’une poésie crépusculaire au diapason de ses personnages en bout de course. On regrettera l’omniprésence d’une musique au piano sirupeuse, on aurait préféré un blues un peu rouillé pour accompagner ces virées.

Le voyage est donc très beau et triste, parfaitement mis en image et dimensionné pour le grand écran. Il lui manque pour être inoubliable à mes yeux quelque chose qui fasse dire à ces personnages, dans un moment d’extrême lucidité que c’est trop d’injustice de terminer comme Swankie, nomade seule et emportée par le cancer. On parle souvent des américains blancs modestes comme de gens qui ne se plaignent jamais, qui détestent se lamenter sur leur sort mais abandonner sa retenue et se servir de sa voix de cinéaste pour dénoncer l’injustice, n’était-ce pas un risque minime à prendre pour Chloé Zhao ?

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