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Tromperie (Arnaud Desplechin)

Les interviews à propos de Tromperie permettent à Arnaud Desplechin d’avouer sa dette envers l’écrivain américain Philip Roth. L’œuvre de Roth, que je connais très partiellement (Portnoy et son complexe, grand souvenir de lecture), est constituée d’une quarantaine de romans dans lesquels il excelle à brouiller les frontières entre réel et fiction. Desplechin l’avoue, il voulait reproduire par sa réalisation cette bascule autofictionnelle entre vie et imaginaire. Il s’est pour cela approprié Tromperie, un texte très fragmentaire publié en 1990 et composé uniquement de dialogues entre Philip, écrivain américain installé à Londres et plusieurs femmes dont sa maîtresse et son épouse. Ce serait à travers ce roman en forme d’essai que Desplechin aurait trouvé l’inspiration de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle).

Précisons que le film a été tourné en période de confinement et qu’il a un côté œuvre en chambre même s’il y a quelques échappées hors les murs. La plupart des séquences en intérieur entre Philip (Denis Podalydès) et son amante anglaise (Léa Seydoux) sont enveloppées de couleurs chaudes. Le directeur de la photographie Yorick Le Saux qui a collaboré avec Assayas, Ozon, Guadagnino ou Giannoli, a travaillé une image douce renforçant la sensation d’intimité et de « bulle » entre les personnages. Où se confie-t-on le plus ? Dans sa chambre à coucher, avec les gens qu’on aime et en qui on a confiance ou bien dans le cabinet d’un psychanalyste. Le récit est une suite disjointe de dialogues entre l’écrivain et plusieurs femmes. Il s’y décrit comme un « écouteur », un « audiophile » et on ne peut que rapprocher son travail d’écrivain de celui d’un analyste qui tout en maîtrisant le dialogue extrait de ses interlocutrices des vérités similaires. Sauf que l’écrivain, être un peu pervers, va plus loin que le psy en utilisant la vie des femmes pour nourrir son œuvre. L’anglaise vit un mariage insatisfaisant, la tchèque (Madalina Constantin) est une intellectuelle qui a trouvé dans l’exil en Angleterre une position sociale dégradante. L’ex étudiante en lettres particulièrement brillante et avec qui il a eu une liaison (Rebecca Marder), fait de fréquents séjours en clinique psychiatrique. Quant à Rosalie (Emmanuelle Devos), elle se demande ce qu’elle fiche dans un hôpital, accablée par un cancer. Ces femmes brillantes ne sont pas à leur place, elles ont manqué quelque chose dans leurs vies. Leurs dialogues avec Philip, souvent brillants et caustiques, laissent voir leur vulnérabilité.

L’écrivain est le maître du récit, l’ordonnanceur des chapitres. Il écoute puis passe à ses souvenirs de Tchécoslovaquie, visité pendant la Guerre Froide. Il dit son identité juive, sa détestation de l’antisémitisme sournois qu’il perçoit en Angleterre puis se met en scène dans un procès, accusé de misogynie. Même si Desplechin procède à une appropriation du texte de Roth, l’intérêt qu’on porte à son film dépend fortement des affinités avec les thèmes de l’écrivain : autofiction, littérature, sexe, infidélité, identité juive et antisémitisme. Il faut donc apprécier ici la propension à discourir, à théoriser : après tout c’est un écrivain qui parle et a des choses à dire. J’avoue m’être parfois ennuyé dans cette succession de chapitres dans lesquels Philip, excellemment incarné par Podalydès, garde une maîtrise assez rigide et toute masculine de la situation. Alors que les femmes sont dans le lâcher prise, exprimant leurs échecs et désirs, il conserve une position dominante, assez agaçante, dans laquelle il n’exprime que peu de failles. Il se paie même le luxe du mensonge éhonté face à son épouse trompée, jouée par Anouk Grinberg. On voit donc un démiurge tout puissant, souvent drôle, mener à sa guise un récit chaotique et parfois vain. On y pense mais on est assez loin du Bertrand Morane de L’homme qui aimait les femmes de Truffaut, homme-enfant fasciné qui ne se place jamais au-dessus des femmes qu’il raconte.

Le réalisateur parle à propos de l’œuvre de Roth d’un mélange d’humour et de sauvagerie mais ces ingrédients m’ont manqué dans Tromperie. Le chaos du récit est bien trop maîtrisé pour être réellement captivant. Accordons à Desplechin que tous ses acteurs sont remarquables et que sa réalisation est soyeuse.

En DVD, Blu-Ray, VOD et EST le 4 mai. Édité par Le Pacte (site Internet, page Facebook et Twitter)

Fiche Cinetrafic: https://www.cinetrafic.fr/film/63093/tromperie

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