John Huston
Nouvelle vague (Richard Linklater)
Ce sont les minorités agissantes qui font les révolutions. Quand débute Nouvelle Vague de Richard Linklater, c’est en l’occurrence un tout petit milieu qui s’agite autour des Cahiers du cinéma et conspire pour changer le cinéma. Des jeunes gens très sûrs d’eux fréquentent des projections de films, des soirées où on croise Juliette Greco et des starlettes. Ce sont les meneurs insolents de la révolution, qui s’appellent Jean-Luc Godard (Guillaume Marbeck), François Truffaut (Adrien Rouyard), Claude Chabrol (Antoine Besson), Agnès Varda (Roxane Rivière). Ils vénèrent Rosselini, Lang, Hitchcock, Renoir, Bergman entre autres. A chaque nouvelle séquence, Richard Linklater procède par plan fixe-vignette, accolant à des acteurs ressemblant un nom connu. Ainsi on croise une multitude de personnages clés qui constituent les forces en présence : ceux des Cahiers (André Bazin, Eric Rohmer, Jacques Rivette…), les compagnons de route et satellites (Suzanne Schiffman, José Benazeraf, Liliane David), les maîtres respectés (Rosselini, Bresson, Melville) et puis la troupe qui va contribuer à créer A bout de souffle (Georges de Beauregard le producteur du film, Jean-Paul Belmondo, Jean Seberg, Raoul Coutard, Pierre Rissient etc.).
A ce stade de l’article, j’ai surtout égrené des noms et touché du doigt un travers dans lequel Nouvelle vague aurait pu s’enfoncer complètement : n’être que l’album photo nostalgique d’un moment historique du cinéma. Peut-être que certains spectateurs ont éprouvé de l’agacement devant tant de name-dropping mais comme tout film a ses héros, toute révolution a ses leaders. Le scénario de Nouvelle vague investit complètement le personnage de Jean-Luc Godard et en fait la figure centrale du film. Si le cinéma est une entreprise collective, c’est aussi un monde dominé par des égos puissants. Le mouvement collectif du film est en permanence court-circuité par la figure de Godard. Parmi ses compagnons des Cahiers, il n’est pas le premier à avoir lancé sa carrière de réalisateur et on sent un désir intense de rattraper ses amis, camouflé derrière des citations et des réparties brillantes. Quand débute Nouvelle vague, Truffaut triomphe à Cannes avec les 400 coups et Godard piqué au vif ne peut plus attendre. A partir du moment où il a convaincu le producteur Georges de Beauregard de financer A bout de souffle mais surtout Jean Seberg (Zoey Deutsch) d’en être la star, un nouveau départ est donné au récit, qui s’avère plus captivant que son premier tiers.
Godard décrit par Linklater est le maître d’un jeu dont il invente et change les règles au fur et à mesure, lui seul les connaissant. Le réalisateur américain s’intéresse au mythe et au personnage que Godard s’est lui-même forgé, absolument pas à ses états d’âme ou à ses angoisses. Alors que Jean Seberg est peut-être le seul être à consistance humaine du film (elle doute, elle s’agace), l’apprenti cinéaste passe son temps à provoquer, à bluffer, à dérouter. Pendant les 20 jours de tournage fournissant le découpage séquentiel qui amène le film à son terme, le spectateur se place dans la peau de Seberg (effarée) ou de celle de Georges de Beauregard (consterné), tout en s’amusant beaucoup. Le cinéphile connaisseur d’A bout de souffle constate une dichotomie entre le retentissement mondial du film et les conditions décousues et approximatives de sa réalisation. A la fois stratège et joueur de poker, Godard amène son équipe à transgresser les règles de production normales d’un film, comme se foutre des raccords ou opérer des raccourcis dans le montage. Adepte d’une spontanéité créatrice, il refuse les règles établies et le confort tout en faisant preuve de culot et de provocation. Pour donner sens au chaos, sans doute faut-il un leader qui a la foi pour tous les autres et finit par leur faire oublier leurs doutes. C’est l’histoire du cinéma, vue chez Minelli (Les ensorcelés), Truffaut (La nuit américaine) et tant d’autres.
Comme beaucoup de films de tournage, Nouvelle vague est très divertissant. On sent la jubilation de Linklater à conter les aléas d’un premier tournage, l’inventivité dont il faut faire preuve pour contourner des problèmes logistiques et techniques. Même si cela peut paraître cliché, il y a une magie qui émerge, un esprit de troupe qui se crée. A l’image du jeune Belmondo incarné avec humour par Aubry Dullin, on finit soi-même par rigoler et à y trouver un côté frais et léger. Paradoxal, le personnage de Godard prend au sérieux son rôle de réalisateur et son processus de création mais sans avoir jamais imposé un esprit de sérieux à la fabrication de son film.
Après le buzz qu’il y a eu à Cannes, Nouvelle vague peut sembler un poil surestimé d’autant que l’aventure collective et les nuances historiques sont occultées par le côté hagiographique du récit. Disons qu’à la place de Nouvelle vague, le film aurait pu s’appeler « Godard mon amour ». En tout cas, cette affection sincère pour JLG donne furieusement envie de revoir A bout de souffle et ce qui suit.