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Contes du hasard et autres fantaisies (Ryusuke Hamaguchi)

En japonais, il s’intitule Gûzen to sôzô, soit Hasard et imaginaire. Son titre international est Wheel of fortune and fantasy (Roue de la chance et imagination, pourrait-on traduire) mais les distributeurs français l’ont baptisé Contes du hasard et autres fantaisies en hommage aux contes moraux et contes des quatre saisons de Rohmer. Il est vrai qu’on retrouve comme chez Rohmer le goût des événements fortuits, des coïncidences et des conversations au cours des trois histoires racontées. Dans Magique ?, tout part d’une conversation dans un taxi entre deux amies, Meiko et Tsugami, à propos de la rencontre que Tsugami a faite d’un homme éprouvé par une précédente relation. Dans Porte ouverte, l’étudiant Sasaki décide de se venger de son professeur Segawa en utilisant son amante Nao. Dans Encore une fois, Natsuko séjourne à Sendai pour une réunion d’anciens élèves et reconnaît l’amie dont elle était amoureuse dix-huit ans avant. Je ne donnerai pas plus de détails car les hasards ont une grande importance. Ne dévoilons pas les surprises constantes des récits.

Le japonais n’est pas le premier cinéaste à utiliser la parole, on a parlé à son propos de Rohmer mais on pourrait aussi citer Bergman, Cassavetes, Woody Allen ou Hong Sang-soo. La puissante originalité de ce cinéaste est de faire surgir le flot des mots comme un puissant souffle de vie au milieu du néant urbain et social. Ce qui frappe dans les décors extérieurs ou intérieurs que filme Hamaguchi, c’est leur impersonnalité et leur caractère froid et silencieux. Tout est blanc, gris, beige, propre et fonctionnel. Au milieu: des individus qui tentent de s’épanouir et d’exprimer leur vie intérieure par des mots. Meiko et Tsugumi parlent librement dans un taxi filant sur une autoroute urbaine. Nao et le professeur Segawa se jaugent dans le bureau impersonnel d’une faculté de lettres. Natsuko et Aya se croisent sur un escalator puis discutent dans la maison cossue d’Aya. Les éléments de l’architecture urbaine sont omniprésents mais le cinéaste parvient à sortir de ce cadre massif et minéral par de subtiles mouvements. C’est comme s’il avait besoin de ce décor de béton pour faire ressortir le sensible des êtres qu’il filme et l’intensité de leurs conversations. A la fin de Magique ?, il fixe un ensemble d’immeubles en béton puis la caméra s’élève vers les branches d’un arbre en fleurs, illustrant la promesse d'un bonheur nouveau. Quand Natsuko et Aya évoquent leurs vies passées et présentes, le cinéaste préfère les filmer dans le même plan que d’utiliser le champs-contrechamps. A l’arrière-plan domine par la large fenêtre un massif de verdure, ce qui donne un souffle vivant, comme une incarnation du flux reliant les deux femmes.

Le réalisateur a le goût du jeu et de la déviation. Il manie la surprise et le quiproquo comme un auteur de théâtre. Les nombreux hasards déjouent des récits qui semblaient écrits d’avance mais c’est surtout l’imaginaire induit par la parole qui l’intéresse. Les dialogues ont chez lui un pouvoir décuplé, thérapeutique, révélant désirs, regrets et fantasmes. Les paroles sont libres, sensibles et érotiques (excellent conte que ce Porte ouverte). Le cinéaste dose avec habileté le formalisme de la conversation japonaise et son opposé impudique. Il y a dans ces trois contes un magnifique mélange de sérénité insufflée par les décors et de passion produite par les mots. Ici ce sont les femmes qui portent la parole sensible et authentique alors que les hommes sont sur la défensive ou dans le calcul. On l’avait déjà compris dans le très beau Senses mettant en scène un groupe d’amies : Hamaguchi est un cinéaste féministe, sensible à la parole singulière des femmes, à leurs désirs, à leur volonté d’épanouissement dans une société qui ne les valorise pas du tout. C’est peut-être un détail mais c’est la première fois que je vois dans un film nippon un personnage ouvertement lesbien, Natsuko, non pas représenté comme une bizarrerie mais comme une femme portant des souffrances et une existence singulières.

Ces contes du hasard ont produit sur moi de drôles de sentiments contradictoires. J’ai été saisi par le calme et la sérénité qu’ils dégagent. J’ai été dérouté par les surprises et déviations des histoires. Comme Asako 1 & 2 ou Senses, ce film singulier est un enchantement. Qu’attends-je donc pour voir Drive my car ?

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