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Cinéclub : Redacted (Brian De Palma)

Décrit à sa sortie en 2007 comme un brûlot contre la Guerre du Golfe, Redacted a sans doute bénéficié de la mansuétude de la critique française. Hélas pour ceux qui aiment l’œuvre de De Palma, cela fait depuis plus de 20 ans (depuis Snake eyes ?) que le cinéaste a perdu de son lustre. Servi par des acteurs inconnus, assez démonstratif, Redacted tente à la fois la description objective d’une réalité écœurante et la mise à nu du concept de vérité dans nos sociétés gavées d’images. Le titre signifie « caviardé », expression désignant ces rapports raturés de l’armée américaine passant sous silence les bavures et exactions à l’encontre de la population irakienne. Par le biais des images, il s’agit de montrer une vérité étouffée, déformée, que personne n’a envie d’entendre : comment des soldats US en garnison à Samarra, Irak, ont violé une fille de 15 ans puis l’ont exécutée avec le reste de sa famille.

Réalisateur du réemploi, de l’emprunt, du clin d’œil référentiel, De Palma raconte un épisode tragique en parodiant la technique du found footage. Le film mélange les bandes vidéos de la caméra du soldat Salazar (Izzy Diaz), des images d’actualité TV, des vidéos de caméra-surveillance. Il insère aussi les images d’un documentaire français un peu pompeux qui accentue la gêne globale devant son film. Tout a l’air faux et parodique, comme à dessein. C’est comme si la profusion d’images pendant cette guerre (CNN etc.) avait complètement brouillé notre vision. La guerre du Golfe a démonétisé les images d’actualité certes mais en les reconstruisant maladroitement, De Palma nous plonge dans une certaine confusion. Ses images trop propres d’une guerre particulièrement sale font que le film sonne faux. Quand on voit ces images de vidéo-surveillance et le son parfait qui nous permet d’entendre distinctement le dialogue, on se demande pourquoi il nous embarque dans tous ces paradoxes.

Tout au long de Redacted, j’ai beaucoup pensé à Outrages (1989), son film sur le Vietnam. Outrages est une œuvre bouleversante. Je me souviens des acteurs excellents, Sean Penn, Michael J. Fox, de la musique d’Ennio Morricone. Les moyens du cinéma employés à leur meilleur donnent un film déchirant sur l’épisode sordide du viol d’une jeune vietnamienne. Les moyens du faux donnent une impression de vérité saisissante. Avec Redacted qui raconte quelque chose de similaire, tout est retourné : les moyens du vrai donnent une impression de faux. Le sujet ne serait pas tant le viol d’une innocente que celui général de la vérité. Le mensonge s’est insinué partout, la vérité n’a plus qu’une image parodique. En s’en amusant, les brutes parlent de la protection du peuple irakien tandis que les lâches, ceux qui n’ont pu empêcher le viol, fondent en larmes. Ecartés de la scène du crime, ils n’auront même pas pu voir le drame en face. Alors que les bourreaux Reno (Daniel Sherman) et BB Flake (Patrick Caroll) ont l’air de s’en sortir, ceux qui pourraient incarner la justice, comme ce « Lawyer » Mc Coy (Rob Devaney) n’ont que leurs yeux pour pleurer.

Intéressant pour ce qu’il essaie de démontrer, Redacted est un film sec et désespérant qui laisse un goût d’inachevé. C’est une sorte de Full Metal Jacket appauvri et terre-à-terre. Comme dans le film de Kubrick, on ne s’attache à personne, pas même au soldat Blix qui lit de la littérature ni à Salazar l’apprenti cinéaste. Mais chez Kubrick qui avait transformé un quartier désaffecté de Londres en Nord Vietnam, le cinéma parvenait à atteindre la vérité avec les artifices du faux. Dépourvu de la virtuosité habituelle de De Palma, Le film révèle une forme d’impuissance du cinéma face au mensonge. Cet exercice sans éclat est à la fois frustrant et profondément prophétique, une décennie avant Trump. Les soldats Flake et Reno sont l’avant-garde cynique de la « vérité alternative » tel qu’on la vit de plus en plus.

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