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France (Bruno Dumont)

Le cinéma de Bruno Dumont produit en moi les mêmes préjugés que celui de Lars Von Trier. A chaque sortie, je suis curieux du sujet, attentif aux critiques mais réticent à aller voir. Ce sont des regards de cinéastes bizarres, déviants, irritants, inconfortables, qui ne me causent pas beaucoup de plaisir. Je n’ai pas vu ses deux Jeanne d’Arc et mon dernier film de lui était Ma loute, comédie plus insolite que réellement drôle. France a été l’occasion de renouer avec le réalisateur, à l’occasion d’un sujet satirique à priori abordable. Il s’agit de faire le portrait d’une journaliste star de chaîne d’information, France De Meurs, interprétée par Léa Seydoux, de porter un regard cruel sur la caste médiatique et de dire quelque chose aussi sur le pays homonyme dont elle est le visage télévisuel.

En fait de satire rythmée, ce qui n’était pas l’intention de Dumont, on se retrouve face à une œuvre théorique toute en contrastes et en changements de ton. Prise dans une alternance de séquences cruelles et de phases dépressives, la journaliste star est décrite comme l’incarnation de la société du spectacle de Guy Debord, une créature cynique inconsciente de produire « dans le monde réellement renversé », ce « vrai » qui « est un moment du faux ».  Cornaquée par son assistante Lou (amusante Blanche Gardin), France de Meurs se met en scène, met en scène le réel et produit sans aucune honte une marchandise médiatique complètement falsifiée, à la fois voyeuse et dégoulinante de bonnes intentions. Jugées comme caricaturales par une partie de la presse, les séquences dans lesquelles elle exerce son métier sont les plus cruelles et intéressantes du film. Léa Seydoux interprète à merveille cette jeune femme plus aliénée que réellement stupide ou mal intentionnée.

Habituée à surfer sur le réel et à le déformer pour les besoins de son métier, France chancèle quand celui-ci percute sa vie. Accompagnant son fils à l’école, elle renverse un jeune livreur, Baptiste (Jawad Zemmar), ce qui la bouleverse. La vedette du petit écran prend soudain conscience de son vide existentiel et de l’existence même des autres, non pas des personnages de reportage mais des êtres humains. C’est alors que France devient le récit d’un calvaire personnel en même temps que le portrait d’un pays en phase dépressive. Dumont mélange le futile et le tragique dans un cocktail au goût étrange. Jouant sur l’inversion, il montre une jeune femme constamment déstabilisée dans sa vie intime, pleurant dès qu’elle est remise en cause, perdant le contrôle au contact des gens, alors qu’elle paraît euphorique sous les bombes ou dans un bateau de migrants. Bienvenue dans le monde contemporain où la vie narcissique prime sur celle des autres et sur les drames collectifs (guerres, catastrophes…), réduits à du spectacle pour faire frissonner ou larmoyer.

L’écran a remplacé l’imagerie religieuse. Le visage à la blancheur éclatante de France de Meurs tient lieu d’icône pour le petit peuple aimanté par la télévision. Elle est elle-même une marchandise, sacralisée par son statut de star mais une marchandise quand même. Elle qui a l’habitude de transformer la vie des autres en produit en devient un quand sa vie est exploitée par les journaux à scandale. Manipulant sans vergogne la vie d'autrui, elle ne supporte pas qu’on puisse la manipuler ou la trahir. Le portrait existentiel de la star médiatique et de l’individu contemporain est d’une très grande cruauté et donne à Léa Seydoux son meilleur rôle, le plus touchant, le plus fragile et le plus pitoyable en même temps. Dumont parvient à inspirer de la pitié, non pas de la sympathie mais une forme d’empathie pour son vide si contemporain, qu’elle semble réaliser et vouloir combattre. Derrière le narcissisme qui se fissure on voit des élans confus de bonté et de culpabilité.

En revanche, la vision que le réalisateur a du pays et de la société française est ce qu’il y a de moins attrayant et de plus caricatural. Autant les paysages naturels sont beaux, autant le reste est souvent laid et terne. On n’aimerait pas vivre dans l’appartement des de Meurs, pourtant place des Vosges et plein d’œuvres d’art, mais qui a des allures de chambre froide. A l’image de son mari, Fred (Benjamin Biolay) ou de son fils Jojo, les riches sont antipathiques et superficiels. Ils forment une caste prétentieuse qui se réunit dans des événements mondains où ils font la leçon aux autres. France se rend à un dîner qui ressemble aux fameux dîners du Siècle, rendez-vous de la caste médiatico-politique française. Face aux riches un petit peuple vu sous un angle misérabiliste assez agaçant. Pas de classe moyenne mais une masse de petites gens gentils et un peu idiots balançant entre fascination pour les VIP et rage incontrôlée.

Le balancement permanent entre déconstruction du personnage médiatique, portrait dépressif, satire sociale du pays réel donne un trop plein tortueux et lassant sur 2H13. Pas très léger, France louvoie entre lucidité cruelle, moments touchants et grosses caricatures. Léa Seydoux est tout de même excellente et contredit tous ceux qui pensent qu’elle n’est pas bonne actrice.

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