John Huston
Bac Nord (Cédric Jimenez)
On devine depuis La french (2014) que la subtilité n’est pas la principale qualité du cinéma de Cédric Jimenez. Les schémas scénaristiques étaient déjà simples et lisibles: magistrat contre truand, guerre et complicité viriles mêlées, Marseille comme décor de western. Ce cinéma-là est très calibré, il lui faut de grands acteurs, des scènes d’action efficaces et des plans panoramiques sur le littoral marseillais. On rajoute une bande-son estampillée 70s pour donner un vague cachet scorsesien et le résultat à l’écran, plutôt rythmé, donne l’impression de se retrouver dans les années 70 au temps des films d’Henri Verneuil, ce qui n’est pas si honteux que ça. Mais quelques jours après, on garde la sensation d’un cinéma assez impersonnel, manquant de saveur malgré les ingrédients qu’on y a mis.
Bac Nord est du même acabit que La french, même s’il m’a paru moins caricatural et un peu plus modeste. Jimenez n’aura jamais à sa disposition ni Gabin, ni Ventura, ni Belmondo, ni Delon. Les grandes figures du cinéma viril ont disparu et Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil, tous bons acteurs, se contentent de jouer plutôt bien des flics ordinaires, des flics de la BAC affectés aux quartiers Nord de Marseille. La presse les décrit comme des ripoux. Disons que comme les flics des Misérables, ils se débrouillent avec la loi et négocient des arrangements avec leur hiérarchie. La différence avec le film de Ladji Ly tient au fait qu’aucun personnage n’adopte un point de vue moral extérieur à celui de la police.
La description de la condition de flic reprend les poncifs entendus sur les chaînes d’info en continu ou dans la bouche des syndicalistes d’Alliance. Tout ce qu’on voit à l’écran, aussi proche de la réalité que ce soit, sonne un peu banal car déjà vu dans les émissions choc du soir sur la TNT: on ne peut plus entrer dans certaines cités, on se fait narguer par les voyous, on reçoit des frigos sur la tête lors des interventions, on fait du chiffre pour contenter le ministère, la hiérarchie vous lâche au moindre faux pas, l’IGPN vous flingue systématiquement. Aux vicissitudes du métier policier, Jimenez et sa scénariste Audrey Diwan agrègent d’autres poncifs : la camaraderie et les rivalités au sein de la brigade, la solidarité indéfectible des compagnes. Bac Nord fait beaucoup penser à la série française Braquo (2009) qui montrait des policiers de la PJ franchir constamment la ligne jaune pour arriver à leurs fins.
On ne doute pas que c’est ce que pensent de nombreux policiers mais le cinéma est-il là pour relayer un discours ambiant banalisé dans les médias ou bien pour aller vers autre chose ? On me rétorquera que c’est la réalité qui est à l’écran. Mais le film est justement intéressant quand il se passe aussi autre chose que ce « réel » simplifié, comme dans cette scène où la patrouille de BAC choppe un gamin agressif pour l’emmener au commissariat. C’était l’occasion de montrer autre chose, de nuancer mais le film ne fait que décrire des policiers seuls, n’ayant que des rapports antagonistes avec la population des quartiers Nord qui les déteste. Ce qui amène à la scène problématique du film (attention spoiler), intégrée dans une séquence très intense il faut le reconnaître. La BAC Nord a réussi à obtenir une information cruciale sur l’existence d’une cache de drogue importante dans une cité. Ils ont obtenu ce tuyau par des moyens illégaux. Le jour J, ils débarquent en force pour saisir la drogue. L’adrénaline envahit le spectateur. Ils se heurtent à une foule de jeunes déchaînés voulant défendre leur territoire et le bloc dans lequel se trouve la came. Yass (Karim Leklou) est coincé dans l’immeuble et menacé par les dealers. Pour se protéger, il se réfugie dans un appartement occupé par une mère et son fils de 14 ans. Ils sont terrorisés et le fils plante un couteau dans le dos du flic. Tout est résumé dans cette séquence : les cités sont des zones sauvages, les flics sont objets de haine, les jeunes sont des animaux déchaînés, il n’y aucune réconciliation possible. Ce couteau dans le dos est prolongé symboliquement par la déchéance des trois policiers. Ils ont triomphé un court instant, ils sont ensuite sacrifiés par leur hiérarchie. Le paquet de drogue récolté pour obtenir l’information sera cause de leur condamnation. Message du film : pour combattre des gangs sans foi ni loi, les flics n’ont d’autre choix que d’employer des méthodes à la limite de la légalité or au moindre problème ils sont sacrifiés par la société et par une classe politique hypocrite. Ils sont des victimes.
Cédric Jimenez et sa scénariste ont le droit de défendre ce point de vue qui trouve un écho fort dans la société française d’aujourd’hui. Après tout le cinéma américain est lui aussi en majorité du côté de la police et personne ne s’en émeut. Mais alors qu’il est situé dans un endroit particulier, les quartiers Nord de Marseille, avec une histoire et une population, il n’en dit rien à part que c’est la jungle. Le problème du film est que le simplisme de son discours se retrouve dans ses poncifs de réalisation vus mille fois (ses plans de coucher de soleil, sa bande-son) et que le personnage qui aurait pu apporter un point de vue divergent, ambigu, celui d’Amel l’indic (Kenza Fortas) n’est pas du tout développé. Alors oui le film ne manque pas de moments spectaculaires, le trio de flics est cohérent et bien interprété (excellent Gilles Lellouche) mais Bac Nord est autant dépourvu de personnalité et de subtilité que La french.