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La loi de Téhéran (Saeed Roustayi)

C’est au cœur de l’été que se niche ce genre de découverte cinématographique. Hélas pour la loi de Téhéran c’était parmi huit spectateurs, dans une salle désertée à cause du pass sanitaire. Les amoureux de polar ultra-réaliste découvriront avec ce film l’ampleur du trafic et de la consommation de drogue en république Islamique d’Iran. Ils apprendront que le pays des mollahs compte plus de 6 millions et demi de toxicomanes et que son régime très répressif n’y change pas grand-chose, au contraire il semble l’amplifier. Alors que l’intrigue débute sur un objectif assez classique - des flics ordinaires doivent faire tomber un baron du crack – la mise en scène de Saeed Roustayi montre la prolifération de la drogue, sa pénétration anarchique dans la société iranienne et donc le caractère dérisoire de l’enquête.

Pour remonter jusqu’au gros bonnet de la drogue Naser Khakzad, il faut ratisser les consommateurs, leur faire cracher les noms de leurs dealers puis remonter aux grossistes. C’est ce qu’entreprennent les flics Samad (Payman Maadi) et Hamid (Houman Kiai). Le scénario s’attarde sur ces hommes ordinaires, empêtrés dans leurs problèmes personnels et professionnels. Leurs motivations sont disparates : venger un proche assassiné, régler par une promotion des problèmes de famille. En même temps, ils sont l’objet de suspicions de corruption et travaillent sous la contrainte bureaucratique. C’est un des traits les plus frappants du film : son réalisme social minutieux et sans apprêt. Il ne cherche jamais à se fondre dans la mythologie du genre, que ce soit pour évoquer les flics ou les bandits. Pas de musique tonitruante, de grosses chaînes en or ou de scène d’action outrancières. Il y a des incontournables du genre (poursuite dans la rue, interventions, interrogatoires) mais qui sont systématiquement subordonnés à la description du phénomène massif de la drogue en Iran.

La drogue est partout, à tel point qu’elle transforme des gens ordinaires en dealers ou en consommateurs. On voit des jeunes, des vieux, des femmes, des enfants. On n’a jamais l’impression d’être aux marges de la société iranienne mais plutôt en son cœur. Le cinéaste parvient à de nombreuses reprises à nous faire sentir l’ampleur sociale du problème, par ses mouvements de caméra panoramiques, ses prises de vue larges et sa capacité à utiliser les  foules et les groupes. La séquence du ratissage des camés impressionne. Quand la police arrive, les consommateurs fument leur crack dans de grands tuyaux de béton utilisés d’habitude dans des chantiers de construction. Ces tuyaux empilés les uns sur les autres forment une structure alvéolaire de ruche, à l’image d’une société compartimentée (les femmes, les hommes, les vieux…) mais totalement cohérente. Le réalisateur utilise travellings et montage accéléré pour nous faire voir une collectivité soudain affolée par la répression, qui à défaut d’être sa marge n’est que la face pourrissante de la société iranienne. Les corps sont innombrables, la prison fonctionne comme un moyen de traitement de la masse anonyme.

Du collectif, le film passe à l’individuel en multipliant les séquences dialoguées. Dans une société répressive mais pauvre et corrompue, les individus négocient avec le système pour s’en sortir. Les flics suspectés de triche négocient avec le procureur. Le trafiquant enfin arrêté (formidable acteur que ce Navid Mohammadzadeh) use de tous les moyens pour sauver sa tête. On assiste même aux atermoiements d’un enfant hésitant entre dénoncer son père ou filer en maison de correction ! Comme dans les films d’Asghar Farhadi, la parole est omniprésente, fébrile, cassante. Elle révèle les mécanismes sociaux à l’œuvre. Il faut menacer les gens pour qu’ils disent la vérité. Saeed Roustayi donne à voir une société dont les individus négocient et mentent pour échapper à la répression, survivre ou obtenir des bénéfices matériels. Le réalisateur ne juge pas et se refuse à enfermer ses personnages dans des clichés faciles. Dans ce qui s’avère un film de procès, procès d’une société plutôt que thriller classique, chacun a la possibilité de faire son plaidoyer. Navid Mohammadzadeh incarne un personnage de trafiquant peu sympathique mais dont on comprend les motivations et la rage de survivre. Comprendre et expliquer n’est pas pardonner. D’ailleurs le film nous montre un Etat répressif assez obtus et inefficace qui ne fait que courir après la criminalité qu’il a engendrée.

Aucun manichéisme ne transparaît de cet écheveau complexe mais très maîtrisé de description sociale et de portraits individuels. La loi de Téhéran est un film ambitieux, à la fois spectaculaire et instructif, à découvrir !

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