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Ma vidéothèque idéale : Harry dans tous ses états (Woody Allen)

Dans la foulée de Tout le monde dit I love you et de Maudite Aphrodite, très amusants mais sans doute secondaires dans son œuvre, Woody Allen sort Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry) en 1997. Après cette comédie se passent huit ans qui correspondent pour moi à un gros tassement créatif. Avant le sursaut de Match point (2005), je ne m’enthousiasme guère pour Celebrity, Escrocs mais pas trop, La vie et tout le reste, Hollywood ending etc : tous ces films sont de seconde main. Les stars d’Hollywood accourent et servent de béquilles à des scénarios paresseux. Le savoir-faire d’Allen vivote en quelques bonnes répliques et c’est là qu’on se dit qu’il tourne trop.

Autoflagellation hilare et lubrique

Harry dans tous ses états se situe très haut dans cette période moyenne. C’est un film féroce et drôle qui puise son énergie dans le sentiment d’échec et l’auto-dénigrement forcené. Dans ce portrait d’Harry Block, écrivain à succès nourrissant son œuvre de sa vie privée, on devine l’autoportrait d’un Woody Allen en pleine autoflagellation hilare et lubrique. La grande affaire du film, c’est le sexe et ses relations tourmentées avec femmes, ex-femmes et petites amies. Harry Block fait penser au personnage de Portnoy du roman de Philip Roth, écartelé entre désir et culpabilité. A quoi servait donc de tromper sa femme Janet (Amy Irving) avec sa sœur plus délurée Lucy (Judy Davis) si c’était pour jeter cette dernière au profit de Fay (Elisabeth Shue) qui finalement convolera avec son ami Larry (Billy Cristal) ? Si la vie affective d’Harry Block est un tel désastre, c’est parce que voulant coucher avec toutes les femmes depuis tout jeune et ne se souciant finalement que de lui-même, il finit par se comporter comme un connard dès que l’extase romantique et sexuelle se dissipe.

La foule grandissante de contempteurs de Woody Allen arguera que l’autoportrait (si c’en est un) a beau être critique, il se permet de rire aux dépends des femmes, notamment les ex comme Joan (Kirstie Alley). Il est vrai qu’il utilise des stéréotypes comme celui de l’épouse devenue irascible une fois mère mais son personnage de mâle immature leur donne des raisons d’être furieuses. Kirstie Alley en psychanalyste essayant de dominer sa colère livre une des scènes les plus drôles de la filmographie du new yorkais. L’égoïsme, la cruauté et l’inconséquence d’Harry sont flagrants mais au lieu de plonger le film dans l’amertume, le comique incessant des dialogues et des situations agit comme un coup de fouet masochiste. C’est douloureux mais ça finit par faire rire.

A quoi sert la fiction ?

On rigole en entendant des dialogues comme « Doris: You have no values. Your whole life: it's nihilism, it's cynicism, it's sarcasm and orgasm / Harry Block: You know, in France, I could run on that slogan and win. “ Le film est dans une telle logique d’accumulation burlesque et d’accablement qu’il serait compliqué de distinguer l’autobiographie de l’invention. On pourrait voir dans son chaos et dans son agencement déstructuré le reflet de sa vie d’alors. Alors que le montage opère des coupes heurtées à l’intérieur de certaines séquences, il s’organise comme un puzzle emboitant la fiction et la vie réelle. Harry travestit sa vie et ses relations dans des nouvelles et romans. Les séquences sont très drôles mais transpirent la culpabilité et la peur de la mort. A quoi sert la fiction pour Harry ou Woody ? Sans doute à régler quelques comptes, à grossir plus que de raison certaines fautes pour les dégonfler mais aussi à se purger du mal fait aux autres, à mettre à distance de soi la mort qui viendrait châtier une existence peu reluisante. La fiction est aussi un refuge dans lequel s’oublier, voguer au milieu de personnages plus touchants ou risibles que ceux de la vie réelle. Comme souvent chez Woody Allen, la fiction aide à supporter la vie. C’est un paradis pour quelqu’un se croyant destiné à l’enfer.

Deconstructing Harry ou Deconstructing Woody ? La culpabilité dépasse le cadre de l’affectif pour embrasser aussi la judéité, le rapport à la société et à la famille. Plaisanteries féroces, invention, exagérations certes mais tout ce qu’Harry Block dit semble sortir de la bouche même de Woody Allen. A l’époque, on ne débattait pas vraiment sur la séparation entre l’artiste et l’homme. Avec Harry dans tous ses états, Woody Allen pulvérise allègrement cette distinction. A redécouvrir donc cette farce aux airs cyniques qui fait un beau contrepoids au Woody Allen "dernière époque", nostalgique et romantique de Café Society ou Magic in the moonlight.

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